Ce que l'on dit un jour n'est jamais ce que l'on dit toujours. Ce que l'on est un jour n'est pas davantage ce que l'on est toujours. Cependant il me semble qu'il est important d’être à soi. Quelqu'un pourrait rétorquer qu'il l'a toujours été. Alors tout est dit… Mais comme je suis bavard, je poursuis sur ce sujet.
Souvent nous sommes dans des projections extérieures à nous que nous considérons comme nôtres. La mode en est un exemple. On veut avoir, posséder, être dans le dernier ton. Cette logique amène jusqu’à voler et devenir malsain. On n’est alors plus à soi. Être à soi consiste au contraire sans doute tout d’abord à être dans son esprit : l’ouvrir en se relaxant profondément. Ensuite c’est être dans son corps, prendre conscience et soin de lui, la maladie venant souvent du fait qu’on le néglige, ce qui peut être considéré comme de la malpropreté, dans le sens large et ancien du terme. On le délaisse pour ‘partir’ hors de soi, et devenir en quelque sorte son propre ennemi.
Michel de Montaigne écrit dans ses Essais (livre I, ch. XXV) : « L’âme, qui loge la philosophie, doit, par sa santé, rendre sain encore le corps ; elle doit faire luire jusques au-dehors son repos et son aise ; doit former à son moule le port extérieur, et l’armer, par conséquent, d’une gracieuse fierté, d’un maintien actif et allègre, et d’une contenance contente et débonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c’est une éjouissance [une jouissante réjouissance] constante ; son état est, comme des choses au-dessus de la lune, toujours serein […] cette vertu suprême, belle, triomphante, amoureuse, délicieuse pareillement et courageuse, ennemie professe et irréconciliable d’aigreur, de déplaisir, de crainte et de contrainte, ayant pour guide nature, fortune et volupté pour compagnes […] »
Y a-t-il une grande différence entre ce qui est en soi et hors de soi ? Sans doute pas tellement, car, comme je l’ai dit, nous sommes beaucoup dans la projection, et les projections extérieures aussi… Ce n’est pas que cela ne soit pas réel, mais pas vraiment au sens humain du terme « réel », c’est-à-dire basé sur une appréhension très limitée de la réalité bornée par les sens (âme comprise). D’une certaine manière, être à soi consiste à être davantage pleinement conscient de tout et en même temps nulle part : d’être et ne pas être en même temps… On est ni dans le Cogito ergo sum ni dans le To be or not to be, mais dans l’être et le non-être. Finalement le paraître est le pas être, le n’être pas… seulement une image…
Durant l’Antiquité, on avait une conscience de ce jeu, et on l’exprimait à travers le théâtre, certaines fêtes, l’art en général très figuratif et aussi des rituels domestiques comme le culte des mânes et des ancêtres. Lorsqu'une personne de la famille mourrait, on faisait d'elle un masque de cire que l’on conservait dans une sorte de placard formé d’étagères sur lesquelles étaient posés ces masques des ancêtres : les imagines (imago au singulier) qui notamment étaient portées lors des enterrements par des acteurs. On retrouve ce genre d’imagines dans les plus anciens manuscrits illustrés des pièces de théâtre antiques, mais cette fois présentant les masques de chacun des personnages de la pièce, comme ci-dessus pour l’Andrienne de l’auteur romain Térence. Beaucoup de personnes grecques et romaines se sont de même faites enterrer avec des figurines représentant des personnages de théâtre ou avec des masques sculptés sur leur sarcophage. Le théâtre était le lien ! Une des premières choses sur laquelle la Chrétienté s’est acharnée c’est justement le théâtre, et cela du Moyen Âge jusqu’au XVIIe siècle, et ensuite sur les images religieuses avec le Protestantisme. Mais notre société est toujours dominée par l’image qui nous submerge jusqu’à nous faire vivre dans une fausse réalité, une hyperréalité. Nous ne nous regardons plus dans un miroir mais à travers un écran, tellement que nous assistons à une nouvelle forme de vol qui est celui du voleur d’image, qui dérobe notre identité et cherche à la manipuler… si on peut dire, car la réserve d’images est aujourd’hui tellement importante que l’on est dans un monde davantage géré par la machine construite par les hommes que par ces derniers.
Ci-dessus : Double-page de l’édition de 1717 de la comédie Andria de Térence traduite par Mme Dacier (1654 - 1720), fameuse traductrice et érudite impliquée dans la 'querelle' des Anciens et des Modernes de son époque. Les illustrations sont des copies d’un des plus anciens manuscrits médiévaux conservés de l’auteur romain Térence, qui lui-même était dans une lignée de copies fidèles d’originaux de l’Antiquité. Cette image montre une étagère à masques (imagines) qui sont ici ceux des personnages de la pièce. J’ai écrit plusieurs articles sur les comédies de Térence, les masques de théâtre et les imagines, comme Sortir masqué, La personne, le personnage et la mode, Écrire le théâtre, Masques, mascarades, mascarons et Le théâtre antique et les conventions… classiques…
Ci-dessous : Messages d'eBay et d'Amazon pour que je puisse accéder à mes comptes de vendeur. Facebook a été un des premiers sites à demander une pièce d’identité à certains de ses adhérents. Aujourd’hui, des sites comme Amazon ou eBay, imposent aussi qu’on leur fournisse des preuves d’identité si on veut continuer à vendre par leur intermédiaire, ce qui est encore illégal et de toutes les façons immoral. Nous sommes dans un monde 'humain' (plutôt inhumain) devenu fou et complètement orwellien.
Ne me pliant pas à ces injonctions d’obligation de donner mon identité en pâture, et n’ayant pas non plus de téléphone portable, aujourd’hui de plus en plus de services sur Internet me sont interdits, sans parler de la censure qui gère mes choix et mon travail sur le Net. Je me retrouve donc marginalisé, sans le vouloir… et c’est comme cela depuis très longtemps, depuis que la société elle-même impose des choix contraires à mon éthique… et même à mon simple bien-être personnel. Cela fait plus de vingt ans qu’en partie je me nourris, me soigne et prends soin de moi avec des plantes sauvages que je cueille. Même en étant Parisien, j’y arrive avec le RER (train d'Île-de-France), et même s’il le faut en prenant ma bicyclette pour aller les chercher dans les coins les moins pollués, toujours plus éloignés bien sûr du centre-ville. Mais je reparlerai de cela dans un article sur les autonomistes et les alternatifs. Personnellement, je ne suis pas du tout survivaliste. Je cherche juste à faire ce qu’il y a de mieux et goûter ce qu’il y a de meilleur, malgré mon esprit étroit, à prendre soin de moi et de ce qui m’entoure en toute harmonie, à être indépendant grâce au savoir qui permet de distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais : à être distingué. Il ne s’agit pas de se retrancher mais au contraire de s’ouvrir, notamment aux savoirs, ni de se préparer à une catastrophe mais d’être constamment dans l’autonomie… à soi, ce qui nécessite aucune préparation, seulement une nouvelle fois du savoir… Les connaissances de base qui consistent à savoir respirer, bouger, boire, manger, prendre soin de soi sans prendre sur son environnement, sont des savoirs de base qui devraient être enseignés à l’école, qui nous rendent libres et que nous ne devons subordonner à personne. Le savoir est liberté, et la liberté est raison ; car elle est une vue claire, la première étant de sa propre mesure. Comme le disent certains philosophes, il y a ce qui dépend de soi et ce qui ne dépend pas de soi. Nous ne pouvons agir que sur ce qui dépend de nous, ce qui est déjà beaucoup ! Au concept de « survivre » je préfère largement celui de « vivre » ! Enfin, je le répète, tout cela sera le sujet d’un autre article.
Ci-dessous : A côté de chez moi, des artistes chaque fois différents, exposent une oeuvre sur un panneau d'affichage grâce à l'association Le MUR. Cet exemple (la photographie date de samedi dernier) résume très bien où en est l'écologie aujourd'hui. Quand je rentre dans une épicerie bio, je suis surpris que l'on m'oblige à porter un masque, me demande de me laver les mains avec une solution hydroalcoolique et nettoie ce que je touche avec cet alcool. En politique, des Écologistes (maires, députés, sénateurs...) sont parmi les plus virulents à imposer le passe-sanitaire, le masque médical ou la vaccination obligatoire. Pourtant, il me semble que vouloir tout aseptiser est contraire à une notion saine de l'écologie. Les gens veulent tout à la fois : s'allonger dans l'herbe et tuer toutes les bêtes s'y trouvant ; profiter d'espaces naturels paradisiaques tout en continuant une vie de consommateur pollueur ; prôner la diversité tout en favorisant voire imposant un monde uniforme, une vue unique et fascisante ; profiter de rapports humains naturels à travers le téléphone portable ou les réseaux sociaux ; etc.
Pour être à soi il faut aussi des espaces de liberté pour chacun, et surtout pour les enfants, les adolescents et les jeunes adultes, afin qu'ils puissent développer leur sociabilité en s'amusant entre eux. Prendre du bon temps ne devrait être interdit à personne !
Aujourd'hui on nous force à nous diriger vers un « méta-univers » (appelé « métavers »), un monde parallèle virtuel connecté à la réalité et même à la chair (le passe sanitaire en est un premier exemple), ou plutôt dans lequel la réalité est connectée au virtuel et en devient une part. On perd son identité sociale pour une identité numérique, et le soi devient virtuel. On n'est plus dans le théâtre ou la mode : le jeu avec la représentation et la socialisation, mais dans une aliénation pure, un véritable cauchemar où l'être humain est beaucoup moins dépendant de l'harmonie de la nature, et plus du tout dans une organisation sociale démocratique, évoluant dans un monde technologique géré par la machine et quelques personnes. Cette pollution est sans commune mesure. Nous baignons de plus en plus dans les ondes électromagnétiques qui nous affectent profondément (on devient de toute évidence plus stupides) ainsi que les autres êtres naturels qui nous entourent. Le sans fil nous fait consommer la planète comme jamais, les gens ayant un pied ici et la tête à des milliers de kilomètres. Nos relations sociales sont extrêmement atteintes et nous nous enfermons dans une bulle d'égoïsme où on se contemple à l'infini tout en nous dépersonnalisant. Comment s'en sortir ? Pour le moment je ne vois que ces solutions : – Abandonner toutes les technologies sans fil ; – Se donner au moins une journée par semaine sans écrans et plusieurs jours de vacances numériques par an ; – Apprendre à découvrir la nature qui nous entoure ; – Faire des exercices physiques (personnellement j’affectionne beaucoup le yoga) ; – Essayer de se réunir entre êtres humains comme autrefois en faisant la fête, en mangeant et buvant, voire en priant (pourquoi pas, et chacun à sa manière)… bien que les relations humaines aient été peut-être déjà irrémédiablement endommagées par le téléphone portable et autres technologies sans fil qui polluent notre réalité sociale et communautaire dans le sens humain et naturel du terme ; – Par un gandisme où l'on reprend en main notre vie coutumière naturelle (toilette, vêtements et attitudes distingués et/ou originaux, affabilité et politesse non contrainte, avoir du style…) ; – En conservant notre patrimoine ; – En investissant dans le concret et non pas le virtuel ; – En consommant moins et en cherchant à être le plus possible autonomes ; – En parlant un français recherché et poétique sans américanisme ; – En prenant conscience de la grandeur du monde, que la réalité virtuelle n’est qu’une prison et de notre liberté inhérente…