
Photographie : « Louis Béroud, L’Escalier de l’opéra, 1877. Huile sur toile, 65 × 55 cm. Musée Carnavalet - Histoire de Paris. ©Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris. »
Jusqu’au 7 septembre 2025, le musée du Petit-Palais, à Paris, présente l’exposition Worth, inventer la haute couture.
Cette rétrospective, de celui qui est appelé « le premier grand couturier », dévoile plus de 400 pièces sur 1 100 m², avec de nombreux vêtements et photographies, ainsi que des peintures et plusieurs documents sur son travail et celui de ses ateliers : des petites-mains qui, elles aussi, ont fait le prestige de la mode parisienne. Leur présence est prégnante le long du parcours de cette exhibition. Il est émouvant de voir les photographies d’ateliers, avec des grisettes habillées parfois d’une simple blouse, penchées sur leur ouvrage aboutissant, par exemple, à des robes de cour très raffinées.
Charles Frederick Worth (1825 – 1895) se place à une époque charnière, à la fois dans la continuation et le renouveau, ce qui est vrai à toutes les périodes de la mode française. Du reste, mis à part, sans doute, une nouvelle façon d’envisager le commerce de la mode, qu’a-t-il véritablement inventé ? Quel est son apport artistique ? La ligne princesse, sans couture au niveau de la taille serait de lui. Mis à part cela, je pose sincèrement la question, car on en fait souvent un grand précurseur de la haute couture. Il est vrai que cette expression est employée surtout à partir de son époque, mais les grands professionnels de la couture existaient déjà auparavant, mais l'organisation y était différente. L’Ancien Régime était sans doute plus riche, et beaucoup de métiers s’effacèrent avec la haute-couture qui commença avec les débuts du prêt-à-porter et des grands magasins.

Photographie : « Worth, Robe de cour de Lady Curzon, vers 1900. Corsage, jupe et traîne en soie crème avec broderie zardozi en fils métalliques argentés et dorés. Fashion Museum Bath, Royaume-Uni. © Fashion Museum Bath / Photo Peter J Stone. »

Photographies ci-dessus et ci-dessous : Cette veste d’habit à la française, qui porte la griffe de Worth, a été réalisée à partir d’un habit d’homme de vers 1780. Le cartel explique que « Le modèle original a été adapté à une silhouette féminine et transformé par l’ajout d’un gilet, de garnitures et de baleines intérieures. » Les broderies sont très belles. La France excellait dans ce domaine, mais la mode de l’habit à la française passant, à partir de la fin du XVIIIe siècle, et avec les broderies, ce savoir-faire fut conservé en particulier dans les tenues féminines et dans certains habits de cérémonie. Collection privée.

Charles Frederick Worth s’inscrivait dans une nouvelle époque, dans le basculement de l’Ancien Régime vers l’époque contemporaine, avec le Second Empire, et dans une profonde mutation des métiers liés à la mode et à son industrialisation. Aujourd’hui, qui connaît les noms des grands professionnels de la mode d’Ancien Régime ? Mis à part pour la marchande de modes Rose Bertin, il est très difficile d’avoir des informations sur ceux-ci, car très peu étudiés. Pourtant, ils étaient bien plus nombreux par habitant avant Charles Frederick Worth, qu’après, et cela, dans des domaines très variés, tous liés à la mode vestimentaire, et à toutes les époques, en France et en particulier à Paris. Chaque génération possédait ses célébrités dans tous les domaines : tailleurs, couturières, coiffeurs, barbiers, marchandes de modes, teinturiers, marchands merciers, bottiers, brodeurs, orfèvres, joailliers, fabricants divers, etc. Je le répète, les métiers liés à la mode étaient aussi plus nombreux. Aujourd’hui, les informations sur les grands couturiers depuis Charles Frederick Worth sont importantes, parce que les moyens de communication le sont et les enjeux financiers aussi, plusieurs maisons de haute couture anciennes, devenues des marques de luxe, étant toujours existantes.
La distinction entre une haute et une basse coutures n’existait pas. On se contentait de distinguer des professionnels dans leur domaine.
Un autre changement important fut, qu’à partir de Charles Frederick Worth (1826 – 1895), la mode se créait beaucoup moins en binôme avec le client, le couturier s’instituant comme le créateur. Progressivement, elle s’appauvrit, se détachant de sa base qui ne devint qu’un simple consommateur, alors qu’auparavant, elle était elle-même créatrice.
Avant le Second Empire, la mode était dans les mains de toute la population, et pas seulement dans celles de quelques professionnels. Avant les années 1970, chaque gros village possédait encore son tailleur et sa couturière, ainsi que son bottier, sa mercerie, etc. C’était une affaire qui touchait toutes les couches de la société… Je me répète, mais il le faut, car j’entends si souvent dire le contraire. Bien sûr, seuls les plus riches pouvaient se permettre d’accéder à des professionnels de renom, et c’était le jeu des plus modestes de dénicher de nouveaux talents ou simplement un professionnel à l’écoute des désirs et des inventions de sa clientèle.


Il est à noter qu’aujourd’hui, certains professionnels du sur-mesure essaient d’élargir leur clientèle, notamment à travers des initiatives comme celle entreprise par Hugo Jacomet dont un des travaux consiste à permettre aux nouveaux amoureux du sur-mesure, mais sans importants moyens financiers, d’accéder à cet univers, à travers des événements comme les opérations « Premier costume sur-mesure », ou « Souliers de qualité ». Voir par exemple ici, ici et ici.
Pour en revenir à l’exposition, les vêtements présentés montrent combien, après le Second Empire et les robes à crinoline, les robes prirent en lourdeur, avec ce qui fut appelé « le style tapisser ». Par contre, des grands couturiers, comme Paul Poiret, qui débuta chez Charles Frederick Worth, furent de véritables créateurs et artistes, apportant non seulement une richesse issue du savoir-faire de l’industrie et de l’artisanat français, mais aussi beaucoup de fantaisie et d’innovation mélangées à une élégance, cette dernière étant présente aussi chez Charles Frederick Worth, comme dans toute l’histoire de la mode française qui conjuguait industrie avec artisanat, art, invention, savoir-faire, élégance et surtout humanité, car le costume n’est qu’une partie de la grammaire d’une société derrière laquelle l’être humain est toujours présent, nu, dans toute sa fragilité et sa lumière qui font l’essence de la vie.