Les trois grâces du collectionneur

Merveilleuses et merveilleux

Je suis collectionneur, un modeste collectionneur en particulier d'estampes et de livres. Cela fait depuis plusieurs années que j’ai quasiment arrêté d’acheter, parce que je n’ai pas d’argent et aussi parce que je cherche le moyen de transmettre cette collection et de la montrer. Je profite de cet article pour dire que je suis à la recherche d’un endroit pour entreposer gratuitement et dans de bonnes conditions ma collection, voire l’exposer.

Collectionner est une chose, la plus agréable peut-être, et peut-être aussi la plus facile. Mais il ne s’agit que d’un tiers du ‘travail’ du collectionneur qui ne l’est pas par étourderie ou par maladie. La seconde partie consiste à se donner les moyens de la conservation, et la troisième à transmettre. Ces trois éléments se tiennent la main, comme les trois Grâces, où l’une reçoit, l’autre conserve et la troisième offre. Ces divinités sont présentes dans la culture occidentale dès la plus haute Antiquité. Garder la mesure est toujours indispensable : savoir s’arrêter quand c’est le moment, prendre ses responsabilités, et chercher à transmettre une passion honnête, comme cela se disait au XVIIe siècle. Diffuser ma collection à travers mon blog et mes livres est déjà une bonne chose, mais ne donne pas la garantie de la conservation des documents d’époque que je possède dans le futur.

Alors que l’on trouve facilement le temps et les aides (vendeurs) pour acheter, il est beaucoup plus difficile de trouver tout cela pour conserver ce que l’on a. Quant à la transmission, il s’agit d’accéder à des personnes honnêtes et amoureuses des mêmes choses. Bien sûr, jamais rien n’est sûr, et même les meilleures bonnes volontés se trouvent parfois confrontées à des obstacles infranchissables. Mais on regrette toujours de ne pas avoir au moins essayé de mettre toutes les chances de son côté, et que ce côté soit intelligent et bon. Il est aussi possible de laisser les choses se faire, vendre, ou tout abandonner à la convenance des héritiers. Ce sont des ‘solutions’, mais certainement la plus saine reste de se mettre sous la protection prospère des trois Grâces, sauf évidemment si on a collectionné sans réfléchir, voire pour oublier ou je ne sais quoi.

La fuite en avant est une maladie non seulement de personnes, mais de nombre de sociétés, et en particulier de l’actuelle. On ne sait pas s’arrêter, se contenter de ce que l’on a, et donner à qui le mérite davantage que soi-même. On ne reconnaît pas que la peur peut être à l’origine de l’accumulation irraisonnée, par exemple la peur de perdre, ou bien au contraire que l’on provoque la perte par la peur de prendre ses responsabilités. Chaque acte a sa conséquence ; il est nécessaire d’assumer ses actes, et personne ne doit et ne peut le faire pour nous.

Photographie ci-dessus : Les Trois Grâces. Photographie sur verre ancienne. Il s’agit d’un élément du monument funéraire du cœur du roi Henri II (1519 – 1559), datant du XVIe siècle), par Germain Pilon (Paris, vers 1535 – 1590) et Dominique Florentin (Florence, vers 1506 - 1565), provenant de l’église des Célestins et conservé au Musée du Louvre. Davantage d’informations ici.

Photographie ci-dessous : La dernière de mes acquisitions de ma collection Petits-maîtres. Elle est vraiment très modeste. Je l’ai achetée pour moins de dix euros (sans les frais de la maison de ventes). D’après moi, il s’agit d’une statuette de vers 1800, en vieux Bruxelles, représentant un incroyable avec ses attributs : chapeau rond ancêtre du haut-de-forme, cheveux courts, cravate haute à pois, habit carré, rayures, main dans le manteau (position très employée par Napoléon Bonaparte qui était toujours à la dernière mode), pantalon, bottes… Collectionner sur les petits-maîtres m’est venu naturellement. En 2006 – 2007, j’ai essayé de vendre des objets d’art sur Internet, activité que j’ai arrêtée, n’ayant pas le droit de cumuler avec un nouveau métier commencé en 2008 et poursuivi jusqu’en 2014. Je me suis aperçu que j’avais un certain don et un véritable goût pour dénicher, pour très peu cher, des gravures et des livres anciens sur la mode et en particulier sur les petits-maîtres. J’ai continué à acheter pendant mon nouveau travail. Revenir à ce sujet me fait toujours du bien. J’y trouve de la gaieté, du merveilleux, de la richesse, et cela, sans prétention. Ce sujet ressemble à une pierre précieuse sortie de sa gangue. On ne s’aperçoit de sa beauté qu’une fois qu’elle est taillée. La preuve est que ce sujet m’a inspiré tout un ouvrage sur la Poétique de l’Élégance, que j’attends de publier, lorsque j’en aurai les moyens.

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Rythmes

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Les rythmes sont à la base de la vie. Ils sont l’outil permettant de survivre, de bien-vivre et de vivre en communauté. Les premiers rythmes à connaître sont les siens propres, quels sont les besoins de notre corps, comment se comporte notre âme, comment dois-je me conduire avec mon entourage. Les seconds permettent une vie harmonieuse en communauté. Chaque ensemble a les siens : sa langue, ses lois, sa religion (j’y inclus la laïcité), sa culture… Les pouvoirs cherchent à s’insinuer dans les rythmes afin de les dominer et par là-même les gens. Il est important de faire la part entre les rythmes bons, permettant une vie harmonieuse, et ceux qui sont mauvais : utilisés pour dominer. Mais il existe bien d’autres rythmes imperceptibles pour l’être humain et encore davantage indécelables pour les appareils électroniques comme l’ordiphone. Aux rythmes invisibles s’ajoutent tous ceux des êtres humains qui sont présents mais inapparents, comme le profond océan sous les vagues superficielles et changeantes, par volonté et par impossibilité, mais qui se révèlent comme le soleil dans le ciel quand les nuages se dissipent. Il est nécessaire de faire confiance à cette grandeur du monde que la société actuelle nous fait accroire petit (le village global, la mondialisation, les guerres mondiales, les pandémies…), et que nous imaginons petit simplement parce que nous le sommes.

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Le libertin et l’honnête-homme

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Saint-Évremond (1614 – 1703) écrit dans ses Observations sur le goût et le discernement des Français : « Le point le plus essentiel est d’acquérir un vrai discernement, et de se donner des lumières pures. La nature nous y prépare, l’expérience et le commerce des gens délicats achèvent de nous y former. »

Saint-Évremond est considéré comme un libertin et un honnête homme. À son époque, le mot « libertin » a une définition plus large qu’aujourd’hui et désigne aussi un amoureux de la liberté. Dans ce sens, au début du XIXe siècle, on le remplace par celui de « libéral », puis de « libertaire ». Il est intéressant de constater que les définitions de tous ces termes changent assez rapidement dans le temps, perdant leur caractère universel pour être enfermés dans du particulier. Il en est de même pour « épicurien » ou « sceptique », ce dernier mot voulant dire en grec ancien (skeptikós, σκεπτικός) : qui examine, observe avec soin, qui réfléchit.

Le libertin comme l’honnête homme mettent en avant la raison. Même cette dernière n’est pas une fin en soi. Ils ne suivent pas des dogmes ou des croyances. On les dit « athées », mais ils ne sont ni athées ni non-athées, ni pour, ni contre. Ils sont justes, dans la justesse et la justice, dans la vérité, tout en sachant cette dernière relative pour l’être humain. Ils sont libres, ce qui ne les rend pas stupides, au contraire, mais ouverts. Je rappelle que « Français » vient de « franc », qui signifie libre, avec cette autre définition d’honnête. Autrefois, ce terme était de surcroît lié à la vaillance et à la courtoisie (voir par exemple la définition donnée dans le Trésor de la langue françaiseThresor de la langue francoyse, 1606 – de Jean Nicot : 1530 – 1604).

Finalement, qu’est-ce qui plus important que l’harmonie, ou pour le dire autrement : la paix ?

Dans ses Esquisses pyrrhoniennes, Sextus Empiricus (IIe et IIIe siècles) écrit (traduction de Pierre Pellegrin) : « Par conséquent non seulement nous n’entrons pas en conflit avec la vie quotidienne, mais nous sommes de son côté, donnant notre assentiment sans soutenir d’opinion à ce à quoi elle se fie, et en nous opposant aux fictions propres aux dogmatiques. »

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Le cœur de la politesse : « La forme emporte le fond »

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Dans cet article, je suis le plan dialectique thèse-antithèse-synthèse… Vous allez comprendre pourquoi…

La plupart des personnes prennent la politesse dans un sens inverse de ce qui me semble la bonne manière : Ils s’attachent à la forme avant de le faire du fond, et souvent pas du tout du fond. La politesse y perd totalement de sa substance. Autrefois, la politesse juvénile, celle enseignée aux enfants, l’était en même temps que les principes chrétiens, comme la charité ou l’amour du prochain, et d’autres encore plus anciens, que tout être humain peut comprendre, car aux fondamentaux de la vie, et dont même les autres êtres vivants ont la conscience, parfois sans doute davantage que les humains. Sans cette sagesse fondamentale, la politesse n’est qu’une coquille vide.

Pourtant, dans son livre Le Mode français, ou Discours sur les principaux usages de la nation française (Londres, 1786), Jean-François Sobry (1743 – 1820) écrit qu’il existe un adage français très ancien et encore en usage de son temps selon lequel : « La forme emporte le fonds. » Il ajoute qu’il s’agit d’« une de nos lois fondamentales. Elle est à la base la plus générale & la plus solide de la liberté & de la tranquillité publique. » « Rien au monde n’existe que par les formes ; tout est vague, incertain, imparfait sans les détails. » Selon lui, ces détails sont « les seules choses existantes ». Au cas où le fond ait été blessé, il est nécessaire que celui-ci soit sacrifié à la forme, sans quoi ni l’une ni l’autre n’existeraient bientôt plus, d’autant plus qu’un fond parfait reste impossible à obtenir, même si, selon moi, il est indispensable de tendre vers cette perfection. De toutes les façons, cette perfection ne peut être frôlée et transmise sans la forme qui est son soutien, comme l’est la langue. Il donne l’exemple du droit : « Votre droit n’est que la chose particulière : la conservation des formes est la chose générale. Votre fait n’est que votre intérêt du moment : la formalité est votre intérêt de tous les temps. » « De cette loi féconde en résultats heureux, que nous laissons développer au Lecteur, naît surtout la nullité [sans doute au sens juridique du terme] ; la nullité par qui tout ce qui est imparfait & tyrannique est à la fin renversé, qui laisse dans toutes les affaires où l’arbitraire a prévalu, une porte toujours ouverte, par laquelle la raison rentre tôt ou tard victorieuse dans tous ses droits. » Cet amour des Français « pour les formes exactes & pour les procédés convenus » se retrouve aussi « dans les usages » et «  dans les mœurs », tant « cette nation est au fonds conséquente & solide, malgré son apparente légèreté. Ce n’est pas assez en France d’avoir de bonnes intentions & de pratiquer le bien, il faut encore le revêtir de formalités qui en rendent la distribution praticable. Et si les formes tempèrent l’austérité de la vertu, aussi mettent-elles un frein aux entreprises du vice ! »

De la mesure est toujours nécessaire. La mesure est le principe même qui tend un mode vers la perfection. Elle soutient la raison et la rend agréable, comme la musique nous en donne un exemple flagrant ; c’est aussi le cas dans tous les autres domaines. Le rythme est la forme même. Il porte le fond (ou le fonds comme l’écrit M. Sobry) ou, bien plus, il est le fond : « l’emporte »… Il nous faut travailler la forme, pour qu’elle soit la plus belle et la plus bonne possible, la plus juste et la plus agréable, pour qu’elle ne soit qu’harmonie.

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Les plaisirs

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Une grande différence existe entre les plaisirs et les désirs. Les premiers sont dans le moment présent et dans sa délectation, sans regards vers le passé ou le futur, mais entièrement dans l’instant. Nous pouvons être dans le plaisir, voire le bonheur, sans le savoir, ce dont on se rend compte quand celui-ci s’éloigne. C’est dommage. Alors qu’en étant vraiment dans l’instant présent, il ne peut y avoir de regrets.

Saint-Évremond (1614 – 1703), une des figures de l’honnête homme, comme le sont le maréchal de Clerambau (Philippe de Clérambault, comte de Palluau : 1606 – 1665), son ami, et surtout le chevalier de Méré (1607 – 1684), exprimait très bien cela lorsqu’il écrivait Sur les Plaisirs à monsieur le comte d’Olonne : « Il faut jouir des Plaisirs présents, sans intéresser les Voluptés à venir. / Il ne faut pas aussi que l’imagination des Biens souhaités fasse tort à l’usage de ceux qu’on possède. C’est ce qui obligeait les plus Honnêtes-gens de l’Antiquité à faire tant de cas d’une Modération, qu’on pouvait nommer Économie dans les choses désirées ou obtenues. »

Ailleurs, Saint-Évremond offre l’exemple de Pétrone (Petronius Niger : Ier siècle ap. J.-C.), décrit par Tacite comme arbitre du bon goût : « Cet erudito luxu, cet arbiter elegantiarum, est le caractère d’une politesse ingénieuse, fort éloignée des sentiments grossiers d’un vicieux : aussi n’était-il pas si possédé de ses plaisirs, qu’il fût devenu incapable des affaires. » Il partit dans la mort, comme si celle-ci n’était rien.

Le plaisir est comme une personne nue, parfaitement belle, et les désirs comme des détritus que l’on amoncellerait autour d’elle, ce qui est juste stupide et abject. Le plaisir est une partie de la sagesse. Le plaisir suit la sagesse et donc la raison.

« J’ai vescu sans nul pensement,
Me laissant aller doucement
A la bonne loy naturelle,
Et si m’estonne fort pourquoi
La mort osa songer à moi
Qui ne songeay jamais à elle. »

Épitaphe composée pour lui-même par Mathurin Régnier (1573 – 1613).

Photographie  ci-dessus: Conversations sur divers sujets par Mademoiselle Scuderi, tome premier, Lyon : Thomas Amaulry, 1680. Ici, il s’agit du début de la conversation intitulée « Des plaisirs » par Madeleine de Scudéry (1607 – 1701).

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Égrégore

Il existe une sorte d’inconscient collectif qui favorise certaines optiques au détriment d’autres. Cet égrégore suit une direction qui, soit élève la communauté, soit la pervertit, soit lui conserve la stabilité de son état. Elle rabaisse certains, porte au pinacle d’autres. D’aucuns parlent de bénédiction ou de malédiction, de chance ou de malchance, mais il ne s’agit que d’égrégore : d’une vague qui se sublime ou se corrompt elle-même, et qui par ses remous emporte ou attire ce qui se trouve près d’elle. Elle crée des courants, des modes, des modes de vie. Elle possède une certaine force qui augmente en croissant, emportée par son propre mouvement, puis qui décroît ou se fracasse. Il est nécessaire de faire avec cette vague qui emporte plus ou moins, selon la manière de nager de chacun, à moins qu'il soit possible de la survoler

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Expositions de rentrée

Jean-Baptiste Greuze : L’enfance en lumière

Ars est celare artem. Si l’art consiste à cacher l’art, comme la nature qui est le meilleur artiste mis à la disposition de nos sens, âme comprise, et donc suscitant le sentiment, face aux grands maîtres anciens de la peinture, j’aimerais que l’on me donne des clés de lecture qui ne consistent pas simplement à m’informer sur la vie du peintre mais à me faire découvrir sa tékhnê : quelles sont ses techniques permettant cette harmonie et ce sentiment. Les néophytes et chercheurs de merveilles, comme moi, ont besoin de cela, d’aller en deçà du sentiment, ante (avant) lui. Les expositions d’œuvres et d’artistes anciens que je parcours ne vont jamais dans ce sens.

Cet adage, Ars est celare artem, rejoint l’idée antique des arts comme imitation de la nature. Pour réussir à toucher le sentiment de celui qui contemple une œuvre, l’artiste a besoin de connaissances harmoniques, de techniques, d’élégance, de savoir-faire et d’un esprit tourné vers la grandeur. Bien que la technique s’efface pour accéder directement au sentiment, dans tout cela il n’y a rien de secret, et c’est ce dont j’aimerais m’entendre instruire.

Si ce genre de description des tableaux n’est pas présente, non plus, dans l’exposition Jean-Baptiste Greuze : L’enfance en lumière (au Petit-Palais de Paris jusqu’au 25 janvier 2026), celle-ci nous permet, tout de même, de contempler de nombreuses œuvres du peintre. Mais je trouve difficile de les apprécier sans plonger dans le XVIIIe siècle. Par exemple, ses œuvres exposées au musée Cognacq-Jay, lieu entièrement consacré à ce siècle, sont mises davantage en valeur, car Greuze était un peintre véritablement dans son temps, au milieu des artistes et des êtres humains de son époque qui n’étaient pas tout à fait les mêmes qu’aujourd’hui où nous sommes véritablement devenus des mutants, des êtres gorgés de pollutions multiples.

De même, les enfants du XVIIIe n’étaient pas les mêmes que ceux d’aujourd’hui. On les emmaillotait dans leur plus jeune âge, ne les sexualisait pas ensuite (filles et garçons étaient habillés indifféremment), puis les éduquait ou les faisait travailler. L’enfant était au centre de la vie sociale. Il était représenté partout au XVIIIe siècle, sous la forme de putti ou d’angelots, car il est le fruit de l’amour et de l’espoir de l’avenir d’une société, comme d’une famille. Prendre soin de leur bonheur, c’est le faire de toute la société, aussi car ils sont dépendants et fragiles. L’enfant est un être à part entière, qui se distingue de l’adolescent, de l’adulte et du vieillard. Tous les âges sont égaux, et on apprend de chaque âge de la vie. Jean-Baptiste Greuze a dessiné les enfants avec beaucoup de délicatesse, faisant voir l’âme de ses modèles, sa lumière, leur appréhension et découverte du monde, ce que celui-ci leur transmet et ce qu’ils lui transmettent.

Jean-Baptiste Greuze : L’enfance en lumière

Photographie ci-dessus : Jean-Baptiste Greuze, Jeune berger tenant un pissenlit dit Jeune berger qui tente le sort pour savoir s’il est aimé de sa bergère, entre 1760 et 1761. Huile sur toile, 72,5 × 59,5 cm. Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. CCØ Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Photographie ci-dessous : Jean-Baptiste Greuze, Portrait d'Anne-Geneviève (dite Caroline) Greuze, 1766. Huile sur toile, 41 x 33 cm. Collection particulière. © Collection particulière.

Jean-Baptiste Greuze : L’enfance en lumière

L’exposition Greuze est une des expositions intéressantes de cette rentrée, à Paris et en Île-de-France. Citons aussi : Jacques-Louis David au musée du Louvre, Rosso et Primatice : Renaissance à Fontainebleau aux Beaux-Arts de Paris, Georges de La Tour au musée Jacquemart-André, Chine, Empreintes du passé au musée Cernuschi, L'École de Paris, collection Marek Roefler au musée de Montmartre, Bronzes royaux d'Angkor, un art du divin au musée Guimet, Le comte d'Artois, prince et mécène au château de Maisons-Laffitte, Marie-Antoinette, une reine à Saint-Cloud au musée des Avelines – musée d’Art et d’Histoire de Saint-Cloud, Les Très Riches Heures du duc de Berry avec Une autre histoire de livres d'heures au château de Chantilly et musée Condé, Le Génie et la Majesté : Louis XIV par le Bernin au château de Versailles ainsi que Le Grand Dauphin (1661-1711).

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Les lunettes Petit-Maître LX

La Conciergie Lunetière : Lunettes Petit-Maître

Fabien Sovant est le fondateur d’une marque de lunettes, que je porte et dont j’aime parler, car il l’a baptisée « Petit-Maître ». Il se présente lui-même comme un « opticien de salon » : il est généralement reçu dans les salons de clients privilégiés mais aussi dans les brasseries, les bureaux, les hôtels ou les squares parisiens.

Ayant débuté dans l’optique lunetterie au siècle dernier, son expérience du métier d’opticien-lunetier est considérable. Hier installé avec pignon sur rue et deux magasins Lunetiers Delambre, il a radicalement changé de point de vue sur son travail après son passage dans de grandes maisons d’optique comme chef d’atelier. Il ne vise plus désormais que le beau classique.

La Conciergie Lunetière : Lunettes Petit-Maître

Fort d’un fichier de clients exigeants, il a élaboré un service personnalisé d’optique à domicile à travers sa société, La Conciergerie Lunetière de Paris, créée en 2016. Vous l’appelez et il se déplace jusqu’à vous, de préférence rive gauche… avec son matériel technique portatif, ses outils de mesure de la vue, ses montures Petit-Maître évidemment et d’autres sélections selon les desiderata du client. Il peut aussi vous faire un simple changement de verres. Le tout est monté dans son atelier parisien et livré le plus rapidement possible, avec prise en charge assurée des ordonnances et des assurances médicales.

Si, au contraire, vous souhaitez venir le voir, il vous accueille dans son petit salon léopard en face du Sénat. Toujours, bien sûr, uniquement sur rendez-vous, en appelant le O7 67 10 63 71.

La Conciergie Lunetière : Lunettes Petit-Maître

Fabien Sovant est le fondateur de plusieurs gammes de lunettes.

    • La première gamme, Petit-Maître, se caractérise par la légèreté de ses modèles, leur finesse et leur très grande résistance. Ils sont fabriqués à partir d’un matériau biocompatible développé par la firme américaine Géneral Electric Plastics en 1982, utilisé entre autres dans l’aéronautique, l’électronique et le domaine médical. Ils évitent donc les marques sur le nez du fait de lunettes trop lourdes empêchant une bonne circulation du sang dans l’appendice nasal et ne craignent pas les situations périlleuses.

    • La seconde gamme, La Montparnasse, est réservée aux lunettes faites sur mesure.

    • La troisième gamme, la plus récente, Petit-Maître LX, valorise l’artisanat jurassien et de tradition car, pour lui : « La nouveauté a fait son temps ! » Elles sont intégralement fabriquées dans un atelier familial qui réalise des lunettes d’exception, dans les meilleurs acétates de coton italiens et rivetées à l’ancienne depuis plus d’un demi-siècle pour de grandes maisons aux clients exigeants. Le « LX » est pour « LuXe ». Cela fait référence à la dénomination des voitures-lits les plus chics de l’Orient-Express.

    • La quatrième gamme, en préparation, sera consacrée à une petite série de montures extravagantes. La première (« La Castiglione » par Petit-Maître LX) sera inspirée par la comtesse Virginia de Castiglione « la plus belle femme du 19eme siècle ». La seconde (« Le verre galant » par Petit-Maître LX) sera dans la pure tradition française, à la fois inventive et belle.

La Conciergie Lunetière : Lunettes Petit-Maître
La Conciergie Lunetière : Lunettes Petit-Maître

Pour conclure cet article, disons encore que même le verrier, avec lequel Fabien Sovant travaille, est spécial. Il est installé à Château-Thierry, dans l’Aisne, depuis plus de trente ans. Il est certifié Service France Garanti pour son activité de montage et de télédétourage de verres optiques. Décernée par l’Afnor, cette certification vient compléter son label Origine France Garantie pour toute son activité de fabrication de verres de prescription. Chez Fabien Sovant, faire fabriquer 100 % français n’est pas un slogan : Le label « Origine France Garantie », créé en 2010 par l’association Pro France, est la seule mention qui certifie l’origine française des produits ; contrairement à d’autres inscriptions telles que « Made in France », « Fabriqué en France », « Conçu en France »… qui sont simplement déclaratives.

La Conciergie Lunetière : Lunettes Petit-Maître
La Conciergie Lunetière : Lunettes Petit-Maître
La Conciergie Lunetière : Lunettes Petit-Maître
La Conciergie Lunetière : Lunettes Petit-MaîtreLa Conciergie Lunetière : Lunettes Petit-Maître
La Conciergie Lunetière : Lunettes Petit-Maître

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Les ‘devoirs’ de l’honnête homme

Un texte ancien, important pour comprendre ce qu’est la philosophie de l’honnête-homme à travers les siècles, est Les Devoirs [De officiis : Ier siècle av. J.-C.) de Cicéron (106 – 43 av. J.-C.). L'auteur y développe les notions d’officium, d’honestum et de decorum, mais aussi de temperantia, modestia et de mesure (modus, de la mesure en toutes choses : rerum modus cernitur) importantes pour l’élégance. J’explique cela, je crois clairement, dans mon livre Poétique de l’élégance. J’écris cet article pour présenter une vidéo que j’ai découverte récemment et qui parle de ce texte, ainsi que des commentaires sur ce texte d'un autre philosophe contemporain.

Dans Descartes et la question de la civilité : la philosophie de l'honnête homme (Paris : H. Champion, thèse soutenue le vendredi 26 septembre 2014 à Neuchâtel), l'auteur, Frédéric Lelong, écrit : « Nous n’attendons pas seulement d’un autre homme qu’il fasse son devoir, nous voulons qu’il prenne plaisir et se comporte non pas comme un triste “serviteur” de la loi, mais comme un homme libre qui accomplit de bonnes actions comme un autre fait une belle promenade, “pour le plaisir”, et non pas comme un dur labeur torturant. Le fait est que la plupart des pensées morales qui ne prennent pas en considération les normes de l’urbanité aboutissent à proposer un modèle d’homme invivable et ennuyeux, dès lors que l’on regarde cet homme “en troisième personne”. C’est d’ailleurs ce que Kant a explicitement reconnu. Nous avons aussi le devoir d’être “agréable”, car c’est de cet agrément que dépend le bonheur de cette vie. Le terme “aimable” est à cet égard significatif. Le Chevalier de Méré soutient que sans l’honnêteté et la civilité, l’amour entre les hommes est impossible et le commandement chrétien d’aimer son prochain n’est pas réalisable. »

« “Si la convenance est quelque part, elle est dans l’égalité que l’on conserve avec soi-même dans la vie entière et dans chaque action, et l’on ne pourrait la conserver si l’on imitait le caractère d’autrui”. De même qu’un poète doit se soucier de la “convenance” lorsqu’il prête à un personnage de fiction certaines “actions” et “paroles”, nous devons nous soucier d’agir en accord avec la “dignité” du rôle qui nous a été accordé par la nature, à la fois sur un plan universel (la dignité de l’homme en général par rapport aux autres créatures) et à un niveau individuel (il faut connaître son propre caractère sinon, on risque de sombrer dans l’affectation en imitant autrui) […] Nous avons aussi pour Cicéron le devoir de respecter notre individualité et notre singularité quand elle n’est pas, bien entendu, en contradiction avec la dignité de notre rôle universel d’homme. / La convenance est donc une partie fondamentale de l’éthique, fondée sur la connaissance de soi-même, et elle n’a rien à voir originellement avec une simple répression plus ou moins hypocrite de notre spontanéité naturelle. […] ce qu’il “est” du point de vue de son “rôle” implique une mise à distance qui accompagne la distinction entre l’acteur et le personnage. »

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LES DIALOGUES DU GOÛT V : Alan Chatham de Bolivar

Alain Korutus-Chatham de Bolivar

C’est en lisant le livre de Massimiliano Mocchia di Coggiola intitulé Du Monocle et autres accessoires masculins disparus (Paris : Éditions Le Chat Rouge, 2022) que j’ai appris le décès d’Alan Chatham de Bolivar, un dandy parisien. Voici ce passage : « Un des derniers porteurs de canne était le très regretté Alain Korutus-Chatham de Bolivar : les Parisiens connaissaient bien sa silhouette sautillante et raffinée se baladant à Drouot, sa chemise porte-documents, ses jumelles, ses cravates Hermès… et sa canne à tête de dragon chinois du XIXᵉ siècle. Ce noble personnage portait-il la canne pour soutenir ses années, ou bien par véritable plaisir des beaux objets ? Je n’ai jamais pu le savoir, mais enfin, quelle importance ? »

Je peux répondre à l’auteur que c’était sans aucun doute pour une raison bien supérieure au plaisir des beaux objets ou à celle de soutenir ses années, comme le montre cette anecdote que je vais maintenant relater :

Alan Chatham de Bolivar, que je venais de rencontrer, m’invita au vernissage-presse de l’exposition du musée Carnavalet Au temps des Merveilleuses, qui a eu lieu en 2005. Je n’avais pas encore créé mon blog et commençais à peine à connaître l’existence des merveilleuses et des incroyables. C’est en y allant qu’il me dit que, s’il ne pouvait pas y accéder avec son parapluie (peut-être pleuvait-il ce jour-là), il ne rentrerait pas. Je lui demandais si c’était parce que c’était un objet de collection. Il me répondit que c’était un objet de collection, mais que ce n’était pas pour cette raison qu’il refusait d’entrer dans cette exposition sans. Cet accessoire de la petite oie, comme cela se disait (j’explique de quoi il s’agit notamment ici), était un élément essentiel de son dandysme. Heureusement, personne n’a fait obstacle à ce qu’il parcourt l’exposition avec cette canne pour la pluie !

J’ai rencontré pour la première fois Alan Chatham de Bolivar il y a de cela une vingtaine d’années, à l’Hôtel Drouot où il avait des amis. Je commençais à m’intéresser aux incroyables et aux merveilleuses, et nous nous sommes vus sporadiquement au détour de ventes d’objets d’art. Critique d’art, bibliophile et surtout gentilhomme, poète, esthète et dandy, il émanait de lui une profonde timidité et une sorte d’insondabilité précieuse. Si j’osais le comparer, je le ferais à un Indien issu d’une longue lignée princière venue de l’Atlantide, ayant le mystère d’un comte de Saint-Germain, la vigueur d’âme d’un maréchal de France et le cœur toujours dans l’Ancien Régime, à la fin de celui-ci, au temps du dandysme français. Son arbre généalogique pouvait se remonter au moins jusqu’à une famille aristocrate française du XIIe siècle, s’illustrant par la suite dans le monde entier, en particulier aux Amériques, Alan étant aussi un descendant de Simón Bolívar (1783 – 1830), très célèbre en son temps, et dont on donna le nom à un chapeau (voir cet article). Je crois qu’il était né aux colonies, ses parents étant propriétaires de grandes plantations. Lui-même était métis.

Je suis allé chez lui trois fois. La première fois, j’ai découvert un appartement confortable, situé dans un immeuble ancien aux portes de Paris, entièrement meublé dans un style du XIXᵉ siècle, avec des meubles et des objets d’art d’époque. Beaucoup des accessoires qu’il portait étaient aussi d’époque. Dans sa chambre, il y avait une table de toilette, avec tous les accessoires, ce qui est devenu très rare dans une chambre d’homme. La seconde fois, c’était pour partager un thé avec un de ses amis collectionneur de parfums. La troisième fois, c’était un peu tragique, car on l’obligeait à quitter son appartement, et toute l’âme qu’il lui avait donnée, le maire de la ville ayant décidé de faire détruire l’immeuble pour en reconstruire un neuf. Alors qu’il vivait dans un grand deux-pièces, il fut relogé dans un une pièce en face de la gare. Avec un de ses amis, je l’ai aidé à déménager. Il nous regardait faire, comme si ce déménagement n’était pas le sien et n’engageait pas sa vie. Dans son nouvel appartement, il sépara la pièce en deux, en créant un mur constitué uniquement de catalogues de ventes d’objets d’art, d’expositions et d’artistes. Il me donna plusieurs manuscrits uniques de ses poèmes jamais publiés, car il écrivait et publiait parfois. Par la suite, je l’ai peut-être revu une ou deux fois à Drouot, puis plus rien. Il ne répondait plus à mes messages. Je ne me suis pas inquiété, car cela arrive que des personnes ne communiquent plus avec moi sans que je sache pourquoi. Et ce n’est donc que par l’intermédiaire d’une lecture que j’ai appris qu’il était décédé, sans en savoir davantage.

J’ai pris furtivement la photographie de lui ci-dessus au café Le Père tranquille, à Paris, lieu où j’aime aller depuis que je suis dans la capitale. Pour le coup, je lui ai fait du chantage : le livre Les Petits-maîtres de la mode contre sa photographie. Mais c’est difficile de photographier un papillon qui fuit tout le temps !

Le Père tranquille conserve une grande partie de son décor d’époque. Il a été construit à la fin du XIXᵉ siècle quand les Halles étaient encore le ventre de Paris et nourrissaient toute la Capitale. Il faisait office de cabaret-restaurant avec soupers, dancing, chants et attractions. Il proposait toutes les gammes de prix et s’y mélangeait une faune bigarrée à la fois des plus populaires et des plus chics, brassage qui faisait le charme des Halles où tout le monde se réunissait autour de produits de qualité provenant des alentours de Paris, certains pour y travailler et d’autres venant y finir leur soirée de noctambules invétérés.

J’ai contacté Massimiliano Mocchia di Coggiola afin de lui demander s’il possédait des photographies d’Alain Chatham de Bolivar et des détails sur lui et son décès, afin de compléter cet article. Voici ce qu’il m’a répondu :

« Alain nous a quittés, il y a bien longtemps. Je ne saurais même plus dire combien d’années… en 2018 peut-être ? J’ai été à ses funérailles avec ma femme et quelques amis. Il fut enterré dans un cimetière de banlieue, mais je me rappelle que sa sœur devait le transférer dans un autre. J'ai, hélas, perdu contact avec sa famille. Il est décédé d’un arrêt cardiaque dans son lit. Ses neveux voulaient le joindre depuis quelques jours, sans succès, ils ont dû appeler les pompiers qui sont arrivés à pénétrer chez lui par la fenêtre.

Je n’ai pas de photos d’Alain, car il ne voulait jamais se faire prendre en portrait…

Il était formidable, une très bonne personne, d’un humour très fin et d’une vaste culture, et j’ai eu de belles années d’amitié avec lui. Outre que pour Drouot, il travaillait aussi pour un riche collectionneur de photos anciennes, il était son "œil" sur les ventes aux enchères.

Il n’était pas satisfait de sa vie, et cela se voyait de temps en temps.

J’ai été une fois dans sa petite « maison » que vous décrivez, celle avec le mur de livres. Il me montrait comment il empesait ses chemises, et les tonnes de beaux vêtements qu’il possédait. Il dépensait tout son argent en costumes (Ralph Lauren, du vintage anglais, du sur-mesure…), en chaussures (Church’s principalement, mais pour femme, car il avait des petits pieds) et en livres. Il me montrait l’argenterie de famille et les porcelaines, disant de combien c’était regrettable de devoir vivre dans un modeste appartement ayant à disposition de la vaisselle pour 40 convives !

Il était coquet, et il aurait probablement voulu avoir plus qu’une amitié avec moi… Enfin, ça fait longtemps.

Il avait aussi une manière bien à lui de présenter sa famille, sa mère… J’ai pu deviner qu’une partie de ses histoires n’étaient pas fausses, mais… colorées, pour ainsi dire, par notre ami - lequel aimait en somme présenter les choses sous la plus belle des lumières, quitte à repeindre le tableau, là où il fallait. On a tous des aspirations, ou des fantasmes qui vont parfois, prendre plus de place qu’une réalité qu'on trouve insatisfaisante. Alain nous charmait avec ses histoires : c’était un peu comme une mythologie grecque, l’important n’est pas de savoir si cela est vrai ou pas, mais si cela est bien raconté ou pas. Et si c’est bien raconté, alors ça devient vrai, n’est-ce pas ? »

Ci-dessous : Photographie polaroïd de Mathilde Marc, dont le site est visible ici, avec Massimiliano Mocchia di Coggiola et Alan Chatham de Bolivar lors d'un pique-nique art déco annuel de 2017.

Alain Korutus-Chatham de Bolivar

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À l’heure des merveilleuses

Les merveilleuses et les incroyables sont représentés très tôt sur divers supports. Voici deux merveilleuses peintes, au tout début du XIXe siècle, sur le cadran émaillé de deux lunettes de montres faisant un peu moins de 5 cm de diamètre. La première montre est en argent et possède encore son mécanisme, alors que la seconde n’est constituée que de la lunette. Les cheveux courts, les habits à l’antique et le chapeau-casque sont des modes lancées par les merveilleuses. L’une semble attendre un voilier, et l’autre s’agenouille devant un autel dédié à l’amour, sur lequel un cœur est en flamme. Elle tend vers lui une couronne de feuilles.

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux
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Ci-dessous d'autres représentations d'une merveilleuse et d'un incroyable sur des objets en porcelaine.

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux
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Civilités puérile et honnête

« On nous fait un grand mystère de l’usage du monde ; comme si, dans l’âge où l’on prend cet usage, on ne le prenait pas naturellement, et comme si ce n’était pas dans un cœur honnête qu’il faut chercher ses premières lois ! La véritable politesse consiste à marquer de la bienveillance aux hommes ; elle se montre sans peine quand on en a ; c’est pour celui qui n’en a pas qu’on est forcé de réduire en art ses apparences. » Émile ou De l’éducation (1772), livre IV, de Jean-Jacques Rousseau (1712 – 1778).
Merveilleuses et merveilleux

LES MANUELS DE CIVILITÉ. On distingue deux sortes de traités de civilité. L’un s’adresse aux enfants et l’autre aux adultes. Le premier est sur la civilité dite « puérile », puer signifiant « enfant » en latin. Le second est destiné aux adultes et, dans l’Ancien Régime, prend parfois le nom de « civilité honnête », en particulier au XVIIe siècle.

LA CIVILITÉ PUÉRILE. Le Néerlandais Érasme (vers 1467 – 1536) est peut-être le premier à écrire un livre entier sur la civilité puérile. Il s’agit du De civilitate morum puerilium, publié en 1530, traduit en français par La Civilité puérile et destiné à son élève et prince Henri de Bourgogne.

LES TROIS GRANDS GENRES DE MANUELS DE CIVILITÉ POUR ADULTES. Les manuels de civilité pour adultes ont différentes gradations. Les uns proposent des préceptes comparables à ceux adressés aux enfants ou jeunes adultes, comme c’est le cas avec les manuels de savoir-vivre, particulièrement à la mode à partir du XIXe siècle. Dans l’Ancien Régime, d’autres s’adressent aux gentilshommes, courtisans et dames de qualité. Souvent, il y est indiqué comment se comporter dans une cour. D’autres sont davantage philosophiques. J’occupe de nombreux passages de mon livre, Poétique de l’Élégance, sur ces derniers. Certains ouvrages, comme celui d’un Italien du XVIe siècle (voir la référence dans mon livre), arrivent à concilier les trois niveaux, dans une pure simplicité gracieuse qui fait l’élégance, ce que Montesquieu appelle « le style naïf ».

LA CIVILITÉ HONNÊTE. Cette troisième matière se rencontre dans des ouvrages dès l’Antiquité, comme chez Cicéron (106 – 43 av. J.-C.), mais des livres complets sur ce sujet sont surtout composés par une poignée d’auteurs du XVIIe siècle. Il s’agit de manuels de l’honnête homme, ce dernier mot étant à prendre comme synonyme d’« être humain » et d’« individu ».

LES ÉVOLUTIONS DE LA CIVILITÉ. L’honnêteté fait suite à la galanterie, la galanterie à la courtoisie, la courtoisie à l’urbanité romaine, avec, la précédant, l’idéal grec de bonté et de beauté. L’honnêteté se dilue au XVIIIe siècle dans des valeurs comme le « bon goût » et la philosophie des Lumières, pour déboucher sur la Révolution qui honnit la politesse (même si quelques rares manuels de civilité républicaine inspirés surtout de Jean-Jacques Rousseau paraissent), impose le tutoiement républicain, détruit ou saccage tout ce qui représente l’Ancien Régime et publie des revues ordurières comme les journaux dits du « père Duchesne ». Le XIXe siècle fige la politesse dans des manuels de savoir-vivre et l’ampute d’une grande partie de la science de l’honnête homme, la plus importante : sa sagesse. Il n’est plus question d’être libertaire (on dit à l’époque « libertin »), libre, amoureux d’une vie en communauté brillante, colorée, fine. La finesse n’est plus d’actualité, et l’est de moins en moins depuis, pour disparaître progressivement.

AUJOURD’HUI : LA DISPARITION DE LA CIVILITÉ. Dans son livre, La Politesse et sa philosophie (Paris : PUF, collection « Philosophie d’aujourd’hui », 1996), Camille Pernot fait ce constat de la disparition de la politesse. Dans le dernier chapitre, intitulé « L’avenir incertain de la politesse », et la conclusion de cet ouvrage, l’auteur prévient que cela va continuer à empirer, ce que l’on constate aujourd’hui. Comme causes, elle distingue tout d’abord « des transformations idéologiques », avec parmi elles « la doctrine démocratique ».

L’IDÉOLOGIE DES DROITS. Comme nous venons de le voir, l’impolitesse comme règle naît avec la Révolution, à partir de 1789. Camille Pernot considère encore comme plus grave ce qu’elle appelle « l’idéologie des droits » qui, non seulement ajoute des droits spéciaux et réservés à des catégories de la population, mais idéologise (au sens péjoratif du terme) la notion de droit lui faisant perdre toute consistance.

Depuis quelques années, la langue française est particulièrement la cible de cette « idéologie des droits », par exemple à travers l'écriture dite « inclusive ». En cherchant pour cet article dans le Wiktionnaire si le mot « auteur » s'écrit bien ainsi au féminin, voici notamment ce que j'ai trouvé :

écriture inclusive

L’INDIVIDUALISME ET LE COMMUNAUTARISME. D’après elle, l’idéologie des droits n’est qu’une des expressions de l’individualisme, et le renforce même. « La société n’est plus entendue comme une réalité morale », mais « est réduite à une structure de fonctionnement ». La « vie sociale à proprement parler, l’entente et la communication avec tous ne sont plus considérées comme des valeurs ni recherchées pour elles-mêmes. » « L’effacement relatif de la sociabilité enlève progressivement à la politesse sa raison d’être ». « L’idée qu’une volonté de communication et d’accord, qu’une véritable sociabilité pourrait venir se superposer aux rapports interindividuels spontanés [et j’ajoute communautaires] pour en éliminer ou, du moins, affaiblir les tensions, paraît à beaucoup aujourd’hui une vue irréaliste. » D’après moi, cela tend à créer des frontières entre les gens et les communautés, au-delà des frontières nationales. Vivre ensemble ne devient plus nécessaire. On s’enferme dans un individualisme à son paroxysme avec la numérisation des vies ou, beaucoup plus rarement, dans son rejet. Dans tous les cas, la politesse s’efface ou n’est utilisée que dans ses représentations les plus rudimentaires et dans l’attente de l’acceptation de l’individu ou de la communauté qu’il représente. « Tout cela sans agressivité : simplement le monde humain s’est rétréci et se limite à soi-même ou, au mieux, à l’entourage habituel. » « "S’exprimer", "se réaliser" sont devenus des maîtres mots. Ils signifient : donner libre cours à ses goûts, à ses idées, voire à ses fantasmes ; s’extérioriser de toutes les façons (et sur tous les points), laisser paraître et même afficher ce qu’on est, ce qu’on éprouve, ce qu’on aime, ses désirs et ses choix de vie. […] S’affirmer, s’exhiber dans sa singularité (ou ce qu’on croit tel) est considéré comme une dignité et un devoir. En revanche, les attitudes contraires, recommandées par les bienséances : la discrétion, la modestie, les égards, passent pour des faiblesses, des reniements ou des hypocrisies et sont rejetées. [J’ajoute qu’elles passent aussi très souvent inaperçues.] […] pour faciliter les échanges, [les bonnes manières] demandent l’effacement du moi tandis que le second [l’individualisme] assure la promotion de celui-ci au détriment de la communication : leur sens, on le voit, est diamétralement opposé. » Cet individualisme, ne cherche plus à se cacher derrière la politesse, mais s’affiche. Il « ne craint pas de se présenter à découvert ni, par conséquent, de rejeter explicitement ce qui l’entrave. »

LES ÉVOLUTIONS TECHNIQUES ET ÉCONOMIQUES. « Au danger idéologique s’ajoute celui que représente l’évolution technique et économique des sociétés les plus développées ; celle-ci a, en effet, des conséquences néfastes pour la politesse, et d’autant plus graves qu’il paraît difficile, pour ne pas dire impossible, de freiner le progrès technique ou d’en modifier le cours pour des raisons culturelles et morales. » L’auteur évoque les réflexions du philosophe Theodor W. Adorno (né Theodor Ludwig Wiesengrund : 1903 – 1969) dans son livre Minima Moralia. Reflexionen aus dem beschädigten Leben (Berlin/Francfort : Suhrkamp 1951) : « […] quelles sont les conséquences du progrès technique, industriel et commercial, sur la vie quotidienne. Sa principale réponse est que la vie humaine dans son ensemble s’en trouve aliénée : la production matérielle qui devait être un simple moyen est devenue la fin de l’existence et la vie des individus est de plus en plus organisée en sa faveur. Un ordre matériel a pris la place d’un ordre spécifiquement humain : les hommes se traitent mutuellement comme des choses. Tout d’abord dans l’exercice de leur profession : pour le plus grand nombre les rapports de travail sont en effet régis par le seul impératif de l’efficacité et du rendement qui exige des comportements précis et automatiques, des échanges simplifiés et rapides, réduits à ce que requièrent strictement l’exécution et l’articulation de tâches mécaniques ou conçues sur ce modèle. Mais en dehors du travail les mêmes contraintes continuent de peser : c’est la vie tout entière qui se trouve placée sous le signe de la productivité. Les valeurs économiques servent de référence aux valeurs humaines : les relations deviennent strictement utilitaires, vont droit au but, ignorent les précautions, les ménagements ; et puisque "le temps est de l’argent" il faut l’économiser en évitant de compliquer les approches, les séparations et les conversations. Dans ce contexte Adorno juge que la politesse est devenue illégitime et impossible. D’autant plus illégitime qu’elle aurait d’après lui une signification éthique : sa fonction serait de reconnaître l’humanité et la dignité de chacun et d’élaborer dans cet esprit les relations entre les hommes. Or dans les conditions techniques où, à l’époque contemporaine, s’établissent ces relations, témoigner du respect, des égards et de la bienveillance ne peut servir qu’à dissimuler la détérioration foncière des contacts et des rapports sociaux et donc contribuer à la pérenniser. L’homme poli se comporte alors, en fait, comme un auxiliaire des forces aliénantes qui tente de faire passer pour compatible avec un ordre humain ce qui ne l’est pas. Mais pour juger de l’avenir de la politesse dans un tel monde, il faut, selon Adorno, aller plus loin encore dans le pessimisme et se rendre compte qu’elle n’y est même plus possible. D’une part, en effet, la technicisation et l’économie de profit excluent les formalités superflues et découragent les rapports désintéressés, les prévenances, le tact : les belles manières paraissent désadaptées, semblent un privilège périmé et en viennent à soulever l’hostilité de ceux à qui elles s’adressent en leur rappelant, par contraste, la situation inhumaine qui est ordinairement et irrémédiablement la leur. D’autre part, la rigueur et l’abstraction des rapports imposés par la société industrielle suscitent, dès qu’il est possible d’y échapper, des conduites compensatoires : des relations "libres", spontanées et chaleureuses faites de camaraderie cavalière et de familiarité. Mais ce n’est encore qu’une libération dérisoire et, surtout, illusoire car ces rapports dépourvus de tact, d’une certaine façon, manquent également d’humanité et sont l’effet, seulement indirect, de l’aliénation régnante. À suivre l’auteur des Minima moralia une vie sociale véritablement humaine serait devenue impraticable dans les conditions d’existence propres aux sociétés occidentales contemporaines. Aux individualités que la barbarie n’a pas encore complètement assujetties il ne resterait que la possibilité de refuser d’y contribuer en témoignant contre elle, mais sans espoir d’en inverser le cours par leur protestation. » Je rappelle que M. Adorno publie son livre en 1951 et Mme Pernot fait éditer le sien en 1996.

UNE SITUATION QUI S’AGGRAVE. Que dire de la situation aujourd’hui, où les gens s’attachent à leur ordiphone comme on attache autrefois un boulet au condamné, où les politiques et autres personnages publics, jusqu’au président de la République, se comportent avec une grande indécence, mentant, dissimulant, parlant mal, avec des anglicismes et grossièrement, étant corrompus, détruisant tout ce qui lie harmonieusement et élève, manipulant, nageant dans l’illégalité, bafouant la liberté, l’égalité et la fraternité, se comportant sans honneur, sans élégance, sans morale, etc. ?

EN REVENIR AUX FONDAMENTAUX. La technologie (ceux qui l’utilisent), non seulement enferme l’homme de son plein gré ou sans son consentement, mais multiplie la force des incivilités, car, comme formulé précédemment par Camille Pernot, la politesse sous-entend discrétion, modestie, considération d’autrui, effacement de l’ego. Celle-ci a écrit son livre avant que le téléphone portable se généralise : « le téléphone dont on a si souvent dénoncé les méfaits sur les mœurs, résumerait à lui seul l’effet regrettable d’un grand nombre de médiations techniques sur les contacts sociaux. » Aujourd’hui, la situation est bien pire, tellement que si je continuais d’en parler, je me sentirais sale, non seulement parce que les manières sont devenues vraiment globalement crasseuses, mais parce que, aussi, derrière sont des êtres humains. De plus, « la grandeur des forces en présence », comme le dit l’auteur, est si considérable que le mieux est d’éviter cela, de le fuir, en arrêtant d’utiliser l’ordiphone, en revenant à des rapports humains, en retrouvant la voie de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, de l'honnêteté et tous les fondamentaux qui font la véritable civilité.

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LES DIALOGUES DU GOÛT IV : ENTRETIEN AVEC ANTON FORLIN & CHARLES BETOULLE

Anton Forlin

Photographie d’Anton Forlin fournie par lui-même.

Voici un quatrième « dialogue du goût », après des entretiens avec Jean-Baptiste Loubet, Fabien Sovant et Massimiliano Mocchia di Coggiola.

Il y a quelques semaines de cela, sur le chemin conduisant à mon domicile, je remarquais deux silhouettes très élégantes de jeunes hommes, que je figurais être des honnêtes hommes contemporains (voir à leur sujet cet article), point sur lequel, par la suite, je constatais que je ne m’étais pas trompé. L’un était habillé de pied en cap dans un style années trente et quarante, très distingué, très fin, avec un lustre d’illustration de mode ou d’acteur de cinéma, et l’autre était plus Belle-Époque, avec un peu plus de fantaisie dans l’accoutrement : dans le revers de son pantalon particulièrement haut, son chapeau melon, sa cravate et sa pochette assorties dans des couleurs assez criardes, comme les chaussettes, contrastant avec le reste du costume plutôt sombre et apportant un supplément de gaieté toujours la bienvenue dans l’univers élégant.

Quelle stupéfaction de les voir tourner dans la direction que je devais emprunter et entrer dans une salle d’exposition. Habitant juste à côté, je bondis chez moi pour lâcher mes courses et me rendis là où ils étaient allés et dont on était en train de fermer la porte, car un concert de clavecin y commençait. Je rentrais in extremis et attendis la fin des interprétations des compositeurs Claude Balastre (1724 – 1799), François Couperin (1668 – 1733), Jean-François Dandrieu (1682 – 1738) et Johan Sebastian Bach (1685 – 1750), pour accoster ces deux amis (Charles Betoulle et Anton Forlin) et leur demander un entretien que voici.

– Pourriez-vous, s’il vous plaît, décrire précisément les vêtements que vous portiez quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois ?

Anton : Je portais pour ma part un ensemble dépareillé – pantalon de drap (en laine) à pinces gris clair rayé bleu, une veste en drap bleu marine à légers motifs de carreaux – garni d’une cravate orange à motif paisley, d’une paire de richelieus en cuir brogues bicolores dans des teintes de fauve, et d’un Borsalino gris en feutre de poil.

Charles : Quant à moi, je portais des bottines derby couleur châtaigne, un pantalon à pinces Berteil gris anthracite en flanelle, un gilet gris rayé réhaussé d’une chaîne giletière à motifs d’entrelacs, un blazer bleu marine que je tiens de mon grand-père, une cravate à large pan de mon arrière-grand-père et un chapeau melon années 1920 de marque Cook & Manby.

– Où vous procurez-vous votre garde-robe ?

Anton : Je butine essentiellement dans la seconde-main, en friperie ou sur internet, sauf quelques accessoires neufs comme les sous-vêtements.

Charles : Pour ma part, j’avoue que mon principal fournisseur n’est autre que mon grand-père. Du reste, j’ai fait quelques très bonnes affaires en ventes publiques à l’hôtel Drouot, et même sur des sites comme Leboncoin où certains vendeurs n’ont aucune idée de la véritable valeur de leurs produits : le mois dernier, j’ai acquis un frac daté de 1933 en parfait état pour une centaine d’euros seulement !

– Pourriez-vous, maintenant, vous présenter plus largement ?

Anton (23 ans) : À titre professionnel, je me dirige vers une carrière dans l’enseignement et la recherche en histoire, et plus précisément dans ce qui m’intéresse, l’Ancien Régime et l’histoire religieuse ; je me prépare actuellement à l’agrégation. Amoureux de Paris, j’ai grandi entouré des Alpes de la région grenobloise, près de la Grande Chartreuse. C’est dans cet écrin que j’ai découvert la foi catholique, qui occupe aujourd’hui une place assez cardinale dans ma vie. On peut dire également que la musique m’est chère, et particulièrement le genre baroque – Bach, Charpentier, entre autres – mais je ne renie pas mes premiers amours rock et jazz. Charles et moi sommes de grands fêtards, toujours enclins à déguster des verres en terrasse avec des amis et à avoir de bonnes discussions. Nous sommes tous deux, je crois, à la poursuite de l’idéal de l’honnête homme qui, à mes yeux, se réalise pleinement dans l’harmonie avec les hommes et la Création en général, et dans l’union avec Dieu.

Charles (22 ans) : Je suis originaire de la ville boudée (à juste titre) de Limoges. J’aime mieux me dire corrézien, département voisin où mes grands-parents résident, d’où ils tiennent leurs racines, et que j’arpente avec assiduité depuis l’enfance. Après un baccalauréat littéraire orienté vers les lettres classiques, je suis venu à Paris étudier l’histoire de l’art au sein de l’école du Louvre. Je suis passionné d’objets depuis toujours, c’est ce qui m’a poussé vers cette formation. Cela a commencé par de classiques collections d’enfant (numismatique, minéraux, etc.), puis je me suis dirigé vers le militaria que j’ai collectionné avidement ces 10 dernières années. En arrivant à Paris, il y a quatre ans, je me suis directement épris de l’hôtel Drouot : un monde nouveau s’est alors ouvert à moi et j’ai pu débuter une collection d’antiques (particulièrement chinois et sumériens), chose impensable jusque-là pour un modeste Limougeaud ! Depuis, je suis assez peu assidu des amphithéâtres, préférant privilégier les salles de vente, les cafés parisiens et mon bureau. J’aime beaucoup la littérature française du XIXe et plus particulièrement la poésie. Je suis également féru de musique, vivre sans elle me paraît impensable. Durant les trois premières années de ma vie parisienne, en parallèle de mes études, je travaillais comme vendeur à la boutique de souvenirs de la Sainte-Chapelle de Paris et vivais en concubinage. Suite à une séparation douloureuse, j’ai révisé mes objectifs. Je me suis rapproché de mes amis, j’ai embrassé la vertu et j’ai quitté ce travail peu stimulant (excédé par le consumérisme, l’hypocrisie et l’impolitesse) pour me tourner vers la vente d’antiquités, plus incertaine, mais largement plus plaisante. Pour me définir aujourd’hui, je prends à la lettre les conseils de Charles Baudelaire dans les Petits poèmes en prose : tous les jours, sans trêve, je m’enivre de vin, de poésie et de vertu !

– Quand on vous voit, on note du raffinement dans votre tenue, mais aussi un quelque chose en plus. Selon vous, qu’est-ce qu’être élégant ? Pourquoi l’apparence y est-elle importante ? D’après ce que vous m’avez dit, l’apparence n’est pas tout. Pouvez-vous vous expliquer ?

Anton : Être élégant, c’est, à mon sens, choisir le beau en toute chose de la vie. Préférer le beau au laid, le subtil au grossier, la légèreté et l’empressement discret plutôt que les grands gestes et l’omniprésence ; mais par-dessus tout, c’est s’efforcer de privilégier le bon, le bien, la vérité dans les choses de la vie, en toute humilité. Le caractère extérieur de l’apparence élégante n’est que le reflet "exubérant" (aux yeux du tout-venant contemporain, mais qui ne l’était pas forcément il y a quelque temps encore) d’un homme intérieurement structuré, et soucieux du bon ordre du monde et de l’harmonie en société.

– Charles : Il faut à mon sens distinguer l’élégance à proprement parler du fait d’être vêtu élégamment. Un barbare grossier et sans culture peut, s’il en a les moyens, se payer le luxe d’un beau costume sur mesure (il suffit de voir les sportifs internationaux durant des galas de charité), mais ça ne fera pas de lui quelqu’un d’élégant. Une personne élégante est une personne discrète que tout le monde remarque. Elle ne demande pas l’addition de façon outrancière tout en sortant une liasse de billets à la vue de tous, elle prétexte plutôt d’aller aux cabinets pour en fait la régler et revenir sans dire mot. L’élégance est synonyme de politesse, de retenue et d’éducation. Passée la dimension morale, il est effectivement important de soigner sa façade, mais encore une fois le costume n’est pas tout : si la personne qui le porte a le menton bas, le dos voûté et bâille sans se couvrir la bouche, son costume ne l’aide en rien (on en revient donc à l’éducation). De plus, à mon sens et cette fois de façon beaucoup plus matérielle, l’élégance dans l’habillement passe davantage par le beau que par le précieux, un véritable progrès par rapport à l’Antiquité où la parure considérée la plus belle était celle qui contenait le plus d’or et de pierreries.

– Où trouvez-vous vos inspirations culturelles, intellectuelles et spirituelles ?

Anton : Mes influences sont tout autant musicales que littéraires ou visuelles, avec un intérêt marqué pour la philosophie antique, la littérature allemande des XIXe et XXe siècles, la musique ancienne, la peinture… Spirituellement, au-delà du Nouveau Testament, la doctrine des anciens me plaît, et particulièrement celle des Pères de l’Église, qui ont su préserver l’héritage antique tout en le sublimant par la Révélation ; mais j’apprécie également les mystiques comme Maître Eckhart et leur approche beaucoup plus sensible, sensorielle de la foi.

Charles : Mes inspirations culturelles et intellectuelles sont très larges, les énumérer toutes serait assez barbant, disons qu’elles englobent aussi bien la littérature européenne des derniers siècles que la culture rock des années soixante et soixante-dix tout en passant par les arts d’Extrême-Orient. J’avoue être assez passionné par la vie et l’œuvre des poètes maudits auxquels, je le confesse, je m’identifie quelque peu. Quant à mes inspirations spirituelles, j’ai beaucoup d’admiration pour les lettrés chinois des dynasties Song et Yuan. Je trouve que leur philosophie simple, vertueuse, archaïsante et prônant l’honneur à tout prix peut se retrouver dans certaines œuvres françaises ; je pense notamment à l’œuvre poétique de Nicolas Gilbert.

– Comment passez-vous vos journées ? Pouvez-vous nous décrire une journée type ?

Anton : Idéalement, ma journée-type à Paris commence par l’étude, si possible à la bibliothèque de la Sorbonne, lieu naturellement propice au travail intellectuel. La pause méridienne est souvent synonyme de court repas et de promenade au jardin du Luxembourg, suivie de l’étude l’après-midi. Le soir, je rejoins mes amis ou rentre me reposer. Les jours chômés sont souvent le moment idéal pour sortir longuement le chien dont je m’occupe parfois, aller à la messe et déambuler dans Paris en quête d’un square agréable ou d’un joli musée ; ou ne rien faire.

Charles : Mes journées sont toutes assez différentes, mais si je devais en décrire une plaisante et représentative, ce serait celle-ci. Je me réveille aux environs de 9h-10h (je suis un couche-tard). Jusqu’aux environs de 14h, je reste calfeutré dans mon appartement pour tous les travaux désagréables sur ordinateur. Ensuite, je pars à Drouot où je commence par déguster une andouillette au Central en observant les passants (haut-lieu où certains grands noms comme Verlaine, Rimbaud ou Forain avaient leurs habitudes) : la nourriture y est bonne, peu coûteuse, et le personnel sympathique. Ensuite, je fais un tour de salle, autant pour le plaisir des yeux que pour repérer d’éventuelles bonnes affaires. Puis, si le temps le permet, je marche lentement dans la rue en regardant les bâtiments, jusqu’à trouver un banc plaisant dans un parc ou un square. Là, je lis, je regarde les arbres, mais également les belles passantes s’il y en a : je reste un homme ! Ensuite, je rejoins mes amis pour boire et converser, comme Shi Nai-an le décrit dans le prologue de son œuvre phare. Selon l’heure à laquelle nous terminons, je peux me coucher, lire, ou terminer les travaux inachevés jusqu’à trouver le sommeil.

– Quels lieux fréquentez-vous ?

Anton : Outre la Sorbonne, nous avons tous deux des cafés où nous avons nos habitudes : le 2 bis Café, dans le Quartier latin, ou encore le café Divan, rue de la Roquette, près de chez Charles chez qui je me rends régulièrement. Mais par-dessus tout, j’aime aller dans les églises parisiennes : Saint-Roch et Saint-Eugène pour l’office, Saint-Etienne-du-Mont pour Pascal, Sainte-Geneviève, le jubé et l’architecture hétéroclite.

Charles : Pour ce qui est des débits de boisson, Anton a dit la messe. Du reste, j’aimerais rajouter mon petit appartement parisien qui, depuis des années, est en quelque sorte notre agora, ainsi que le bois de Vincennes (dans sa partie la plus anthropisée), le Marais, et surtout, le cimetière du Père-Lachaise. Ce dernier est mon lieu favori à Paris ; vie et mort s’y mêlent et toutes formes d’architectures y cohabitent ; le lieu est plutôt bien tenu et heureusement pas trop gangrené par le tourisme. C’est d’ailleurs le seul lieu où l’on peut, au cours d’une même promenade, croiser par hasard au détour d’un sentier, Jim Morrison, Chopin, Sarah Bernhardt et même Abélard et Héloïse !

– Depuis quand suivez-vous cette voie élégante ?

Anton : Il y a quelques mois que nous nous sommes décidés à choisir l’élégance vestimentaire, après tergiversations, vers la fin de l’automne.

Charles : Pour ce qui est de l’élégance morale, il est dur d’arrêter une date, mais je rejoins Anton pour ce qui est de l’habillement. Je pense que mon ex-compagne (qui n’aimait pas spécialement ce style qui, je le pense, attirait trop l’attention à son goût) était une entrave à ce changement. Je crois qu’elle s’est depuis ravisée à ce sujet devant le fait accompli.

Charles Betoulle

Photographie de Charles Betoulle provenant de la page présentant de vendeur d’oeuvres d’art sur Proantic.

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Worth : inventer la haute couture

Photographie : « Louis Béroud, L’Escalier de l’opéra, 1877. Huile sur toile, 65 × 55 cm. Musée Carnavalet - Histoire de Paris. ©Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris. »

Jusqu’au 7 septembre 2025, le musée du Petit-Palais, à Paris, présente l’exposition Worth, inventer la haute couture.

Cette rétrospective, de celui qui est appelé « le premier grand couturier », dévoile plus de 400 pièces sur 1 100 m², avec de nombreux vêtements et photographies, ainsi que des peintures et plusieurs documents sur son travail et celui de ses ateliers : des petites-mains qui, elles aussi, ont fait le prestige de la mode parisienne. Leur présence est prégnante le long du parcours de cette exhibition. Il est émouvant de voir les photographies d’ateliers, avec des grisettes habillées parfois d’une simple blouse, penchées sur leur ouvrage aboutissant, par exemple, à des robes de cour très raffinées.

Charles Frederick Worth (1825 – 1895) se place à une époque charnière, à la fois dans la continuation et le renouveau, ce qui est vrai à toutes les périodes de la mode française. Du reste, mis à part, sans doute, une nouvelle façon d’envisager le commerce de la mode, qu’a-t-il véritablement inventé ? Quel est son apport artistique ? La ligne princesse, sans couture au niveau de la taille serait de lui. Mis à part cela, je pose sincèrement la question, car on en fait souvent un grand précurseur de la haute couture. Il est vrai que cette expression est employée surtout à partir de son époque, mais les grands professionnels de la couture existaient déjà auparavant, mais l'organisation y était différente. L’Ancien Régime était sans doute plus riche, et beaucoup de métiers s’effacèrent avec la haute-couture qui commença avec les débuts du prêt-à-porter et des grands magasins.

Photographie : « Worth, Robe de cour de Lady Curzon, vers 1900. Corsage, jupe et traîne en soie crème avec broderie zardozi en fils métalliques argentés et dorés. Fashion Museum Bath, Royaume-Uni. © Fashion Museum Bath / Photo Peter J Stone. »

Photographies ci-dessus et ci-dessous : Cette veste d’habit à la française, qui porte la griffe de Worth, a été réalisée à partir d’un habit d’homme de vers 1780. Le cartel explique que « Le modèle original a été adapté à une silhouette féminine et transformé par l’ajout d’un gilet, de garnitures et de baleines intérieures. » Les broderies sont très belles. La France excellait dans ce domaine, mais la mode de l’habit à la française passant, à partir de la fin du XVIIIe siècle, et avec les broderies, ce savoir-faire fut conservé en particulier dans les tenues féminines et dans certains habits de cérémonie. Collection privée.

Charles Frederick Worth s’inscrivait dans une nouvelle époque, dans le basculement de l’Ancien Régime vers l’époque contemporaine, avec le Second Empire, et dans une profonde mutation des métiers liés à la mode et à son industrialisation. Aujourd’hui, qui connaît les noms des grands professionnels de la mode d’Ancien Régime ? Mis à part pour la marchande de modes Rose Bertin, il est très difficile d’avoir des informations sur ceux-ci, car très peu étudiés. Pourtant, ils étaient bien plus nombreux par habitant avant Charles Frederick Worth, qu’après, et cela, dans des domaines très variés, tous liés à la mode vestimentaire, et à toutes les époques, en France et en particulier à Paris. Chaque génération possédait ses célébrités dans tous les domaines : tailleurs, couturières, coiffeurs, barbiers, marchandes de modes, teinturiers, marchands merciers, bottiers, brodeurs, orfèvres, joailliers, fabricants divers, etc. Je le répète, les métiers liés à la mode étaient aussi plus nombreux. Aujourd’hui, les informations sur les grands couturiers depuis Charles Frederick Worth sont importantes, parce que les moyens de communication le sont et les enjeux financiers aussi, plusieurs maisons de haute couture anciennes, devenues des marques de luxe, étant toujours existantes.

La distinction entre une haute et une basse coutures n’existait pas. On se contentait de distinguer des professionnels dans leur domaine.

Un autre changement important fut, qu’à partir de Charles Frederick Worth (1826 – 1895), la mode se créait beaucoup moins en binôme avec le client, le couturier s’instituant comme le créateur. Progressivement, elle s’appauvrit, se détachant de sa base qui ne devint qu’un simple consommateur, alors qu’auparavant, elle était elle-même créatrice.

Avant le Second Empire, la mode était dans les mains de toute la population, et pas seulement dans celles de quelques professionnels. Avant les années 1970, chaque gros village possédait encore son tailleur et sa couturière, ainsi que son bottier, sa mercerie, etc. C’était une affaire qui touchait toutes les couches de la société… Je me répète, mais il le faut, car j’entends si souvent dire le contraire. Bien sûr, seuls les plus riches pouvaient se permettre d’accéder à des professionnels de renom, et c’était le jeu des plus modestes de dénicher de nouveaux talents ou simplement un professionnel à l’écoute des désirs et des inventions de sa clientèle.

Photographies ci-dessus et ci-dessous : « Antonio de La Gandara, Portrait d’Ida Rubinstein, 1913. Huile sur toile, 210 × 103 cm. © Collection Lucile Audouy, Paris. » J’ai choisi ce portrait pour le regard, avec des yeux, cerclés de noir, qui font presque la largeur du visage. Ce maquillage est très à la mode chez les petites-maîtresses autour de 1900.

Il est à noter qu’aujourd’hui, certains professionnels du sur-mesure essaient d’élargir leur clientèle, notamment à travers des initiatives comme celle entreprise par Hugo Jacomet dont un des travaux consiste à permettre aux nouveaux amoureux du sur-mesure, mais sans importants moyens financiers, d’accéder à cet univers, à travers des événements comme les opérations « Premier costume sur-mesure », ou « Souliers de qualité ». Voir par exemple ici, ici et ici.

Pour en revenir à l’exposition, les vêtements présentés montrent combien, après le Second Empire et les robes à crinoline, les robes prirent en lourdeur, avec ce qui fut appelé « le style tapisser ». Par contre, des grands couturiers, comme Paul Poiret, qui débuta chez Charles Frederick Worth, furent de véritables créateurs et artistes, apportant non seulement une richesse issue du savoir-faire de l’industrie et de l’artisanat français, mais aussi beaucoup de fantaisie et d’innovation mélangées à une élégance, cette dernière étant présente aussi chez Charles Frederick Worth, comme dans toute l’histoire de la mode française qui conjuguait industrie avec artisanat, art, invention, savoir-faire, élégance et surtout humanité, car le costume n’est qu’une partie de la grammaire d’une société derrière laquelle l’être humain est toujours présent, nu, dans toute sa fragilité et sa lumière qui font l’essence de la vie.

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Poétique de l’Élégance

Je viens de terminer un livre intitulé Poétique de l’Élégance qui remet au goût du jour et actualise des notions souvent oubliées qui font l’élégance française. Cet ouvrage est une étude de ces rythmes, nommée « poétique ».

Il fait 360 pages, son format est de 15,8 x 24,0 cm et il est proposé à la vente pour 29 € (frais de port offerts par Mondial Relay).

Vous trouverez ici les 30 premières pages.

Je compte l’auto-éditer en cent exemplaires, uniquement sur support papier, mais ne le ferai que si une centaine de personnes me font préalablement une promesse d’achat, simplement en écrivant « OUI » à l’adresse suivante : lamesure@lamesure.fr

Cliquer sur l’image pour avoir un agrandissement

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Plein de chic !

Partition : Plein de chic. Petit-crevé
Partition : Plein de chic. Petit-crevé

Plein de Chic « Scène comique Créée à l’Eldorado par Mr Denizot. » « Paroles de Henry Min », « Musique de F. Wachs ». Dessin signé « H. Meyer ».

L’illustration représente le petit-crevé de la chanson. Sur les petits-crevés, voir d'autres articles de ce blog. L'un d'entre eux, aussi dessiné par H. Meyer, est le sujet de cet article.

LE REFRAIN :
« Des crevés à la mode,
Reconnaissez le Roi ;
Tout c’qui n’est pas commode
Je le porte sur moi :
Mon pantalon me gêne,
Mais il fait mon orgueil,
Et pour plaire, avec peine,
J’porte un carreau sur l’œil. »

D'AUTRES PASSAGES :
« Plein de chic et de grâce,
Je suis, mes bons amis,
Le plus grand Lovelace
Des crevés de Paris.
Brillant, oisif,
C’est positif. »
« De ma désinvolture,
Admirez le cachet
De ma noble tournure
Le modèle coquet
Je sèm’, quand je bavarde,
L’esprit à profusion ;
Aussi l’on me regarde
Avec admiration. »

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Illustrations de mode

Le mercredi 9 avril, la maison de vente aux enchères Ader proposera des documents d’époque sur les modes d’autrefois. Pour le plaisir, en voici quelques exemples. Cliquer sur les photographies pour accéder aux descriptions.

Dame de qualité en déshabillé Paris : Jean Dieu de Saint-Jean, 1678-1696
Coiffure féminine vers 1780 à l'aigrette parasol
Coiffures de 1785
MAGASIN DES MODES NOUVELLES, françaises et anglaises, décrites d’une manière claire & précise, & représentées par des Planches en Taille-douce, enluminée, 1786 - 1787
Coiffure Directoire
Nouveau jeu de cartes avec costumes de vers 1820
La Maison de haute-couture Jacques Fath vers 1955
Il est à noter que sont aussi vendus des livres anciens en rapport avec la mode, comme le fameux Habiti antichi de Cesare Vecellio (1664), qui répertorie les habits du temps et anciens dans divers pays (voir ici).

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Très Bonne Année 2025 !

Pour cette nouvelle année, que je vous souhaite très bonne,
je vous offre deux années d'aphorismes !
Cliquer sur l'image ci-dessous pour accéder au PDF.
 
Maximes

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Portrait miniature d’une merveilleuse du Directoire

Merveilleuses et merveilleux

Le 18 octobre dernier, dans le cadre d’une vente aux enchères à l’Hôtel Drouot des anciennes collections des ducs de Fitz-James, par le commissaire-priseur Hubert L’Huillier, a été vendue une miniature ovale (6,50 x 5,50 cm) et d’époque, d’un buste de merveilleuse. Voir ici et ici. Le collectionneur l’ayant achetée, a bien voulu me la montrer. Ci-dessus la photographie de cette miniature, et ci-dessous celles du catalogue.

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux

Il s’agit d’une merveilleuse d’époque Directoire. Elle est dans le même style que celle présentée dans cet article, avec des boucles d’oreille rondes, une haute cravate blanche et un ruban dans les cheveux rouge-sang rappelant les massacres de la Révolution. Ses cheveux (ou perruque) blonds, assez courts, tombent en « oreilles de chien » sur ses tempes (voir ici, ici et ici), caractéristique surtout présente chez les incroyables. Sa tunique est blanche, à l’antique et avec un assez profond décolleté. Sa veste est peut-être d’un style jockey très à la mode à cette époque, très courte et faisant office de soutien-gorge, à la manière de cet exemple et de celui-ci.

Ci-après un autre portrait de merveilleuse, ici gravé, avec des rubans d’un rouge-sang, le côté dramatique accentué par le collier en forme de chaîne de prisonnier. Ce dernier exemple est d’autant plus intéressant que la jeune femme mélange des éléments un peu précieux, comme la plume d’autruche de son chapeau, appelé « Chapeau à la Minerve » pour faire antique, et d’autres éléments empruntés davantage au peuple, comme le simple foulard blanc ou le tablier. À cette époque, les cheveux courts des merveilleuses et des incroyables sont une mode faisant référence soit à l’Antiquité, soit aux cheveux coupés avant la guillotine. Dans l’introduction des Mémoires de Madame Roland, édition présentée et annotée par Paul de Roux (Paris : Mercure de France, 1966 et 1986), ce dernier relate l’exécution de la révolutionnaire du parti Girondin, Mme Roland, et de son compagnon d’infortune, M. La Marche : « Après qu’on lui [à La Marche] eu coupé les cheveux, elle [Mme Roland] le regarda attentivement et lui dit : "Cela te sied à merveille, tu as en vérité une tête antique." ».

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