གསོ་བ་རིག་པ

Médecines d’Asie

Pour une fois, voici un titre en tibétain. J’ai fréquenté quelques Tibétains et Bhoutanais, surtout leurs enseignements, et ai donc quelques rudiments concernant leur culture. གསོ་བ་རིག་པ (Sowa-Rigpa) veut dire « médecine » en tibétain. Plus précisément sowa peut être traduit par « guérison » et rigpa par « science ». Mais comme beaucoup d’expressions et de mots importants tibétains, on a généralement trois niveaux de sens. Ici nous sommes dans le relatif. Au niveau intermédiaire de ce qui nous est généralement invisible, ou du moins se situant à un autre niveau (par exemple du domaine du corps subtil), sowa peut se traduire par « nourrissement » et rigpa par « conscience ». Enfin, à un troisième niveau, rigpa est la sagesse ultime et naturelle, la pure conscience, l’auto-réalisation inhérente (conférer notamment les enseignements dzogchen). Il s’agit là d’un exemple de la subtilité de la médecine tibétaine, toujours bien vivante de nos jours, comme le sont les autres médecines venues d’Asie. C’est pour cela que j’aurais aimé que l’exposition, qui se déroule en ce moment au Musée Guimet à Paris, jusqu'au 18 septembre 2023, et intitulée Médecines d’Asie, l’art de l’équilibre, fasse davantage le lien avec les diverses pratiques médicales en Asie aujourd’hui. Elles sont d’une richesse immense dont j’ai pu avoir quelques petits aperçus par mon expérience même. Pour ma part, elles m’ont permis de maintenir un corps et une âme en ‘bonne’ santé. J’ai expérimenté (comme patient) l’acupuncture et la diététique pratiquées par un moine japonais, la médecine tibétaine (sagesse, pilules, acupuncture, massage et yoga) et indienne (yoga). Je prends aussi plaisir à fréquenter des herboristeries (voir cet article) et ai une connaissance des plantes sauvages françaises (voir Écologie du Sentiment). Ces quelques expériences de la médecine asiatique, très sporadiques, m’ont donné une idée de cette richesse.

On peut dire que ces médecines sont traditionnelles. Cela permet à certains de les opposer à la médecine moderne. Pourtant toutes les médecines sont complémentaires, et même toutes se ressemblent énormément, voire sont les mêmes, ont un fond commun, ne serait-ce que celui d’essayer de guérir ou de maintenir en bonne santé. Lorsqu’un médecin s’écarte de se fond commun, il s’éloigne de la médecine. Il n’y a pas de mauvaises sortes de médecines, seulement de mauvais médecins, et même de mauvais patients, car ces derniers sont responsables d’eux-mêmes. J’ajoute les mauvaises circonstances qui ne permettent pas d'accéder à la médecine adéquate au bon moment. Le médecin met à la disposition du patient la science qu’il a acquise et son expérience, voire sa sagesse, mais c’est au patient d’y ajouter sa raison. Qui se souhaite du mal ? Le patient est le premier intéressé ! Un emblème symbolise le lien entre les médecines asiatiques et occidentales, notamment françaises : le caducée dont la forme est celle des trois principaux canaux dont on retrouve la description notamment dans l’ayurveda (médecine traditionnelle indienne) et la médecine tibétaine, et dont le bon fonctionnement est une base à la bonne santé. L’importance de ces canaux est aussi décrite dans l’hindouisme, le bouddhisme et sans doute ailleurs.

Comme je l’ai dit précédemment, la médecine est liée à la sagesse. Cette dernière guérit en effet. Du coup, elle est aussi liée aux vertus. Comme on le constate dans cette exposition, certaines médecines asiatiques font une part belle aux religions, au surnaturel, voire à la superstition. Pour la religion et la superstition, peut-être cela a-t-il un effet placebo… mais la superstition est incontestablement une mauvaise chose, un mauvais médicament.

Au sujet du médicament, on peut lire dans cette exposition concernant l’ouvrage chinois datant de « 25 – 200 » et intitulé en français Classique de la matière médicale de Shennong, que ce livre classifie des remèdes en trois groupes : ceux de catégorie supérieure nourrissant la force vitale (ming) non toxiques ; ceux de catégorie intermédiaire nourrissant la nature innée (xing) pouvant ou non être toxiques ; ceux de catégorie inférieure traitant les maladies et très toxiques. La chose première dont on doit prendre soin est le terrain (la force vitale), les environnements extérieurs  et intérieurs. Attendre que la maladie arrive pour prendre soin de soi a des conséquences délétères.

« L’art de l’équilibre » est aussi celui de la mesure. Comme le disent ces deux adages antiques : Μηδὲν ἄγαν (Mêdèn agan) et Γνῶθι σεαυτόν (Gnỗthi seautόn), « Rien de trop » et « Connais-toi toi-même ». Ils sont liés au temple d’Apollon en Grèce et largement cités pendant toute l’Antiquité. L’húbris (ὕβρις) est par contre la démesure.

Pour résumer, je trouve que cette exposition est présentée à point nommé, à une époque où la médecine dite « moderne » fait face à d’énormes défis, à un déséquilibre particulièrement dommageable dû en particulier à une marchandisation outrée et immorale, à une pollution extraordinaire à tous les niveaux de ‘nos’ environnements et à une profonde méconnaissance des médecines dites « douces » ou « traditionnelles »... Mais les bons médecins sont là. La vertu, l'amour, le savoir et la sagesse restent naturellement cachés des comportements obscènes.

PS : Il est à noter aujourd'hui, une belle vente d'objets d'art indo-tibétains par la maison Bonhams, visible ici et ici.

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« Les décroteurs en boutique »

Merveilleuses et merveilleux

J’ai déjà présenté le métier de cireur ou décrotteur dans cet article, ainsi que la même gravure que celle ici photographiée, mais cette dernière est en couleur. Son intérêt est non seulement dans la présentation de ce métier mais aussi des merveilleuses et des incroyables qui fréquentent cette boutique.

Concernant le métier, on reconnaît l'étape du brossage, celle de l'utilisation du blanc d'oeuf et l'application de la cire au pinceau. Il existe au moins une autre gravure d'époque sur le même thème visible ici. avec un gros plan sur Google ici. Sur cette estampe, on constate que la boutique se situe dans le Palais-Royal et qu’on y lit des journaux, car une inscription indique : « Ici on lit les journaux en se faisant décroter ». Ces incroyables portent les premiers pantalons à la mode, Ceux-ci sont à taille très haute.

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux

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Les petits-maîtres espagnols

L’Espagne influence la mode française en particulier aux XVe – XVIIe siècles. Comme je l’écris dans cet article, le vertugadin serait une invention de la princesse Jeanne de Portugal (1438 – 1475), reine de Castille. La robe à panier serait de même une création espagnole, cette fois du XVIIe siècle. À cette époque, l’Espagne possède aussi son mouvement précieux, avec des écrivains comme Luis de Góngora y Argote (1561 – 1627), Alonso de Ledesma (1552 – 1623) et Francisco de Quevedo (1580 – 1645).

L’Espagne a son petit-maître et sa petite-maîtresse : le petimetre et la petimetra. Le lechuguino est un élégant, un dandin, et la lechuguina une élégante. Le pisaverde est un galant. D’après l’article cité à la fin de ce paragraphe, ce nom viendrait du fait que ce gandin marche sur la pointe des pieds, à la manière d’une personne traversant une prairie humide afin de ne pas se mouiller. Avancer de cette manière est une des caractéristiques de la plupart des petits-maîtres, ainsi que de faucher le persil, pour reprendre une métaphore bucolique (marcher en ballottant des avant-bras comme pour faucher du persil). Le pepe est un homme très préoccupé par son apparence et toujours à la dernière mode. Le chute est un jeune homme excessivement pimpant ou soigné. On appelle aussi comme cela une personne curieuse. Le caballerete est un jeune homme suffisant, imbu de lui-même. Le caballero est quant à lui un chevalier, un homme au comportement courtois et distingué, particulièrement envers les femmes. Il est à noter que la chevalerie et l'esprit courtois imprègnent une grande partie de l'histoire de l'Espagne. Le ou la chévere est une personne 'effrontée' ou qui suit une mode 'effrontée'. La gomosa et le gomoso sont la traduction espagnole du français gommeuse et gommeux. Le dandy anglais a sa version espagnole : le dandi, de même le gentleman. Le coqueto est un séducteur. Le rubio est un blondin, le juerguista un fêtard, l’hombre elegante un homme élégant, le figurín une personne ressemblant à un dessin de mode, le galán un bel homme, le hombre bien vestido un homme bien vêtu… On retrouve en Espagne le boulevardier et le flaneurDans cet article, sont évoqués les currutacos, flamantes, gurruminos, linajudos, mariposones, pirracas, lindos… Le currutaco semble être l'équivalent espagnol de l'incroyable, époque (fin du XVIIIe siècle) où en France on danse le boléro importé d'Espagne.

Je ne présente pas ici d'iconographies de ces petits-maîtres espagnols, car je n'en ai pas dans ma collection, mais voici ci-après quelques liens vers des images glanées sur Internet : Perfecto currutaco, Curutaco con Levita, Currutaco con pantalón ancho, Petimetra, Petimetra, Petimetre, Gomoso

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Être accord

Merveilleuses et merveilleux

Comme je l’ai plusieurs fois dit dans ce blog, la musique et la danse sont à la base de l’éducation de l’Ancien Régime, et cela depuis l’Antiquité. De toutes les sciences, celle du rythme est, à mon avis, primordiale. La mode est une des parties de cette science.

Dans un orchestre, le chef d’orchestre accorde ensemble les divers musiciens. Cela ne veut pas dire pour autant que ces derniers doivent se laisser guider. Au contraire, il gardent leur instrument très bien accordé et sont eux-mêmes bien accordés, afin de jouer le mieux possible. Le musicien accorde son instrument, accorde sa pratique et s’accorde avec l’ensemble accordé par le chez d’orchestre. Chacun a son rôle à jouer. Le chef d’orchestre non seulement accorde les différentes parties de l’orchestre, mais aussi s’accorde avec l’oeuvre. L’auditoire a son importance, s’accordant avec cette représentation notamment en n’exprimant pas de manifestations intempestives rompant ou endommageant cette harmonie. Chacun doit trouver dans cette musique réalisation, voire bonheur, en tout cas communion… ce qui est appelé harmonie… harmonie dont la Nature est la plus grande pourvoyeuse.

Dans ma jeunesse, je n’ai pas eu d’éducation à la danse, matière pour laquelle, je pense, avoir eu un don. On a essayé de m’apprendre la musique, domaine pour lequel je n’ai par contre aucun talent. Dans la culture française, la mode a une grande importance, et nous avions de très grands spécialistes des parties qui la constituent. Les chefs d’orchestre de celle-ci étaient, et restent, je le crois, de trois genres : – les précurseurs (les petits-maîtres et autres artistes de la mode), représentés en musique par les compositeurs ; – les ‘suiveurs’, qui en musique sont les musiciens qui adaptent selon leur personnalité ; – le chef d’orchestre de cet ensemble étant, il me semble, le peuple ou bien celui ou ceux qui prennent le pouvoir sur lui (les aristocrates, les marchands…). Beaucoup plus limitée que la nature, la mode est cependant beaucoup moins figée que la musique, dans le sens moderne de ce dernier mot, car autrefois, le terme de « musique » pouvait regrouper tous les rythmes, être la science des rythmes en général.

Il me semble que l’on s’est peu intéressé aux artistes de la mode. Toutes les générations ont pourtant possédé leurs artistes couturières, tailleurs, cordonniers, parfumeurs, tisserands… Je ne connais pas beaucoup de livres traitant de l’histoire à travers le temps des grandes couturières, des grands tailleurs, des grands parfumeurs… Pour les petits-maîtres, je ne vois que mes ouvrages ! Ce dernier sujet ayant été très peu entrepris, j’ai du plaisir à y aller à l’aventure pour y découvrir les trésors semés par ces gandins la plupart inconnus, eux-mêmes vivant entièrement dans le moment présent et le mouvement qui le constitue.

Articles complémentaires :

Conventions de modes

Le rythme

La Toilette d'apparat des XVIIe et XVIIIe siècles

Harmonie des couleurs

Le miroir de la toilette : réflexions

Le tailleur

Le grand renoncement

La mesure du sur-mesure

Le Chiffre, le Signe et le Verbe. Au titre de cet article, j’ajouterai aujourd’hui« la Note ».

Brève histoire de la galanterie

Les dialogues du goût III : Entretien avec Jean-Baptiste Loubet

À cela s’ajoutent tous mes articles sur la philosophie de l’élégance.

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Le Socrate à la mode

Dans ses écrits, Platon fait plusieurs fois allusion, qu’en son temps, Socrate est très à la mode dans la jeunesse. D’autres, comme Aristophane, évoquent cela. Je donne quelques références dans mon ouvrage sur Les Petits-maîtres du style.

La façon qu'a Socrate de philosopher en décortiquant par la pensée, sans faux-semblant mais au contraire très honnêtement en réfléchissant pour en extraire la vérité, est sans doute nouvelle. La manière dont lui répondent notament les sophistes, parfois beaucoup plus âgés que lui, ainsi que les autres citoyens et visiteurs d’Athènes, le prouve. La fin de sa vie montre à quel point il est un amoureux de la vérité et un sage. Sa manière de faire ne discrédite pas ce que font les philosophes avant lui, bien qu’il critique beaucoup les sophistes… Simplement, il est nouveau… et cette nouveauté influence les siècles suivants, jusqu’à nous. Cette nouveauté qui voit plus loin, est celle d’un enfant sur les épaules d’un géant qui peut expliquer à celui-ci ce que ce dernier n’aperçoit pas encore. C’est le rôle des générations âgées de porter les plus jeunes, tout en se laissant guider par eux. C’est aussi pour cela que chaque nouvelle mode prend toujours le dessus sur celle qui précède !

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Petits-maîtres italiens

Après les petits-maîtres anglais (voir cet article), voici les italiens !

Merveilleuses et merveilleux

Photographie ci-dessus : Gravure de Cesare Vecellio (1521 – 1601, artiste italien, frère de Titien) avec une Vénitienne.

Bien évidemment, cette lignée se caractérise par son antiquité. J’en parle largement dans mon ouvrage sur Les Petits-maîtres du style de l’Antiquité au XIIe siècle. Ce livre est important pour comprendre l’antiquité des petits-maîtres, ce qu’ils sont et ce qu’ils représentent. On observe une véritable filiation sur plus de 2500 ans, et pourrait même remonter plus loin, voire beaucoup plus loin  (Égypte, préhistoire même…), bien que les sources manquent… Pourquoi ne se prolongeraient pas les surprises que j’ai eues en remontant dans le temps ? Ce voyage que j’ai fait et qui consiste à suivre la lignée des petits-maîtres est vraiment merveilleux, et je vous invite à l’entreprendre à travers mes ouvrages.

Pour en revenir au livre Les Petits-maîtres du style, j’y donne et décrit notamment nombre de petits-maîtres de l’époque romaine, comme le trossulus et la trossula qui ont toutes les caractéristiques. J’en parle dans cet ouvrage, car on les retrouve aussi dans la Gaule gallo-romaine. Même les petits-maîtres grecs sont connus dans les Gaules, la Grande Grèce allant jusqu’à l’actuelle ville de Marseille, et son influence bien au-delà. J’insiste sur le fait que ce livre est important pour comprendre les petits-maîtres en général et français en particulier.

Depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, les noms donnés à des petits-maîtres italiens sont nombreux. La dominula et le dominulus romains ont des noms se traduisant directement par “petite-maîtresse” et “petit-maître”, dominus signifiant notamment “maître”, terme auquel est ajouté comme suffixe un diminutif. Cela donne au Moyen-Âge, dans les royaumes de l'actuelle France, la domnicella et le damiselet, puis la damoiselle et le damoiseau. De même le bellus homo romain aboutit au beau français, l’elegans homo et l’homo elegantissimus à l’élégant, l’urbanus et l’homo lautus et urbanus à la personne urbaine, le mundanus au mondain… Certains petits maîtres romains se caractérisent par leur avant-gardisme, comme avec la novatrix et le novator, d’autres par leurs goûts, par exemple pour la culture grecque, comme avec la graecula et le graeculus… Il y en a d’autres, comme le delicatus, l’elegantiae arbiter, l’erudito luxu, la lampadium… mais je m’arrête-là, car mon livre sur Les Petits-maîtres du style est toujours disponible à l’achat.

Au Moyen Âge, l’Italie, divisée en de multiples royaumes, entretient le merveilleux notamment à travers ses moeurs courtoises inspirées en partie des françaises. Si en France le XIIe siècle réinvente la modernité, aux XIVe, XVe et XVIe siècles, c’est à nouveau l’Italie qui le fait. Cette dernière redevient un modèle pour les petits-maîtres et l’art en général, ce qui aboutit à la Renaissance française du XVIe siècle.

Photographie ci-dessous : Autre gravure de Cesare Vecellio représentant une petite-maîtresse italienne (Gentildonne Venetiane), se colorant les cheveux en blond vénitien. On remarque ses hauts patins.

Merveilleuses et merveilleux

Le bellimbusto est un beau. Un cicisbeo est une sorte d’ami masculin dilettante d’une femme mariée, la divertissant, l’aidant et l’accompagnant lors d’occasions mondaines et divertissantes (représentations théâtrales, fêtes, réceptions, promenades, etc.) à la place de son mari. Il passe la majeure partie de la journée avec elle. Le cicisbeo est généralement beau, élégant et très bien élevé. On le retrouve déjà durant l’Antiquité romaine. Le damerino est un mirliflore. Ce nom fait pensé à celui de dameret médiéval (voir Les Petits-maîtres de la mode) dont le terme est encore en usage en France au XVIIIe siècle. Le vagheggino est une sorte de gandin galant. Le moscardino est un mollusque et aussi un gandin, un bellâtre. L’elegantone est un ‘costard’, un élégant bien habillé. Le gagà est un genre de dandy, ce dernier nom (dandy) étant aussi utilisé en Italie. Les Italiens appellent parfois ganimede un homme beau comme le prince troyen mythique Ganymède, devenu échanson de Zeus. Le zerbinotto est un jeune homme à la mode, élégant et galant. Le figurino est recherché dans sa mise. Le farfallone est un gandin léger et versatile. Le paino est un jeune homme d’une élégance raffinée dans la tenue vestimentaire et les manières. Le galletto (ce nom s’écrit peut-être aussi sgaletto, venant du verbe sgallettare signifiant « faire le coq ») fait étalage de vivacité, d’audace et même d’une aisance démesurée, en particulier avec les femmes. Le dongiovanni est une sorte de libertin, au sens récent du terme. D’autres noms sont en relation avec la butinage, comme avec le donnaiolo qui est un coureur de jupons, le seduttore, un séducteur, comme pour le tombeur de femmes, expression aussi utilisée en Italie. On constate que certains substantifs sont empruntés au français ou à l’anglais, comme avec le play-boy, qui est une autre sorte de seduttore, mondain, beau, charmeur et généralement riche, accompagnant des femmes, jeunes ou âgées, mais toujours belles et célèbres. Le gentiluomo rappelle le gentilhomme français, le bello et la bella, le beau et la belle, ou les équivalents romains. Le viveur est un… viveur, le nottambulo, un noctambule. Le signorino rappelle le petit-maître aussi par son nom. Il s’agit d’un jeune homme délicat, aux goûts raffinés ou difficiles. Le modaiolo est un fashionista, un modeux. Sans doute le terme de fashionista s’emploie aussi au féminin. Le manichino est un mannequin ou une personne y ressemblant.

Merveilleuses et merveilleux

Photographies ci-dessus et ci-dessous : Gravure de Jean-Jacques Boissard (1528 – 1602, humaniste français), de 1581, représentant une « Nouvelle mariée de Rome », une « Fille Romaine » et une « Femme Romaine ».
 

Merveilleuses et merveilleux

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De l'incroyable et de la merveilleuse au Romantisme

Artiste Jean Baptise François Bosio, autoportrait

Prochainement seront vendus à New-York, par Christie’s, deux tableaux que l'on m'a indiqués, en relation avec les incroyables et les merveilleuses. L’un est un auto-portrait du peintre Jean Baptiste François Bosio (1764 – 1827)  (photographie ci-dessus et ici), faisant partie de la liste des artistes ayant représenté des merveilleuses et des incroyables (voir cet article), et un portrait de la merveilleuse Madame Talien par Louis-Léopold Boilly (1761 – 1845, voir sur cet artiste cette exposition et le tableau est en photographie ci-dessous et présenté ici).

Dans son auto-portrait, M. Bosio apparaît comme un homme à la mode, voire lui-même un incroyable. Il porte les cheveux à la Titus, une cravate 'écrouélique', une veste à gros boutons, et a un style ‘anglais’ en vogue alors.

Je trouve le portrait de Mme Talien par M. Boilly intéressant surtout pour son aspect romantique. On est à l’avant-garde du romantisme français. Les merveilleuses et les incroyables deviennent fashionables, gandins, dandys et romantiques. Par exemple, Juliette Récamier est l’amie du pré-romantique Chateaubriand (voir ici). Mais il faut attendre 1830 et la bataille d'Hernani, pour que le Romantisme devienne le nouveau étendard de la jeunesse que l’on appelle alors « Nouvelle France » !

Merveilleuse Mme Talienx

Ci-après un autre sujet, avec des meubles de toilettes d’époque XVIIIe siècle, vendus aux enchères prochainement à Saint-Cloud par la maison Le Floc'h. Cliquer sur les photographies afin d’accéder au lien.

Ci-dessous : « Coffret à perruque en bois laqué noir et or de scènes de palais dans le goût chinois. Charnières et fermoir en bronze ciselé anciennement dorés. Début de l'époque Louis XV. Haut. : 12 cm - Larg. : 30 cm - Prof. : 22 cm ».

Coffret à perruque

Ci-dessous : « Coffret à perruque en bois laqué noir et or d'un paysage aux pagodes sommé d'armoiries d'alliance sous une couronne comtale (légers manques). Charnières et fermoir en bronze ciselé anciennement dorés. Époque Louis XV. Haut. : 15 cm - Larg. : 34 cm - Prof. : 26 cm  ».  Ce coffret est disposé ici sur « une travailleuse en bois laqué noir et or à décor sinisant. Elle ouvre par un abattant foncé d'un miroir et pose sur deux pieds en bois tourné réunis par une entretoise. Époque Napoléon III. »

Coffret à perruque avec son socle

Ci-dessous : « Chiffonnier d'entre-deux en placage de bois de rose disposé en frisage ouvrant à huit tiroirs. Garniture de bronze doré. Plateau de marbre rouge veiné blanc (rapporté). Transition des époques Louis XV et Louis XVI. Haut. : 166 cm - Larg. : 58 cm - Prof. : 36 cm ».

 Chiffonnier XVIIIe

Ci-dessous : « Chiffonnier droit à montants chanfreinés plaqué de bois de rose dans des encadrements de filets, les fonds en palissandre. Il ouvre à neuf tiroirs. Garniture de bronze doré et dessus de marbre gris veiné blanc (rapportés). Époque Louis XVI. Haut. : 144 cm - Larg. : 80 cm - Prof. : 34 cm ».

 Chiffonnier du XVIIIe siècle

On remarque que ces deux derniers meubles sont appelés « chiffonnier » et non pas « semainier », car ils n'ont pas les six ou sept tiroirs de ces derniers, même si on appelle parfois « semainier » un meuble à huit tiroirs. Voir des exemples dans cet article.

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Manches gigot

L’histoire de la mode est parsemée de stratagèmes redessinant les silhouettes, en particulier à partir de la fin du Moyen-Âge. Le postiche est l’un d’entre eux. Il s’agit d’un élément ajouté ou d’un rembourrage rendant plus grand un élément de la tenue (cheveux, partie du corps…). À partir de vers 1807, il fut de bon ton d’élargir les épaules de la tenue des femmes. Dans la seconde partie des années 1820, ces rembourrures descendirent un peu plus bas, sur le haut des bras puis de plus en plus bas, prenant toujours davantage d’ampleur, comme les robes d’alors. C’est cela que l’on a appelé « manches gigot ». J’en donne plusieurs exemples dans ces articles : ici, ici, ici, ici, ici et ici.

Dernièrement, j’ai découvert que ces manches étaient déjà renflées au niveau de la chemise (chemise de corps) de la femme, en croisant, par hasard, une peinture du XIXe siècle (voir photographies), en cherchant un lieu pour prendre une collation, un dimanche matin assez tôt. Cette oeuvre est exposée au rez-de-chaussée de l’Hôtel Providence, à Paris. Elle représente une jeune dame, de trois-quarts dos, une partie du dos et tout le bras dénudés, laissant tomber sa chemise avant sa robe, pour rentrer dans une baignoire dont l’eau coule encore par un robinet. Comme on peut le lire sur ce site : « Au milieu du 19ème siècle, la généralisation de la machine à vapeur rend possible la réalisation de réseaux d’adduction sous pression desservant les logements individuels. Sous le second Empire, l’arrivée du Baron Georges Eugène Haussmann (1809-1891) à la préfecture de Paris agit comme un accélérateur. » La toilette se modernisait donc, et nous avons dans ce tableau un témoignage émouvant et rare d’une double pratique liée à la mode et à l’hygiène !

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Prétention

La langue française est jolie, et on devrait toujours essayer de l’embellir, non seulement par le choix des mots, des tournures, le rythme des phrases, mais aussi par la manière de les prononcer et de respirer. La parole est un partage, elle doit tenir compte de ceux qui l’écoutent ou l’entendent, que cela soit les êtres humains, les animaux ou autres.

Les mots ont parfois plusieurs significations ou nuances. C’est le cas pour le terme « prétention » qui possède des tonalités négatives ou positives.

Une prétention est une revendication d’un droit, justifié ou non, ou un mouvement pour obtenir ce droit. Il en est de même pour le verbe « prétendre ».

Être prétentieux consiste à avoir des prétentions, à prétendre. On dit souvent que certains petits-maîtres sont prétentieux, parce que ce qu’ils revendiquent est jugé exagéré, injustifié ou extravagant. Souvent, on considère qu’ils visent trop haut pour eux. Cependant, ils font des efforts pour y parvenir. Beaucoup sont d’une origine populaire, ce qui les ‘oblige’ à être ainsi, afin de cacher une partie de leur origine ou simplement de leur état. Par exemple, au XXe siècle, les sapeurs aventuriers sont à peu près tous d’une origine modeste. Cela ne les empêche pas de s’acheter des habits très chers et de mimer les personnes qui, à leurs yeux, ont réussi : qu’ils appellent « grands ».

Parmi les petits-maîtres, on trouve aussi de vrais élégants, qui placent la beauté de l’esprit au-dessus de tout le reste, puisque ruisselant naturellement, bien sûr si les conditions sont présentes. Pour exister, l’élégance a besoin de contingences, afin de pousser, s’épanouir, fleurir puis donner des fruits et des graines. Comme la sagesse, la graine de l’élégance est indestructible, mais peut tout à fait ne rien donner tant que le terrain n’est pas favorable.

La petite-maîtrise étant aussi et avant tout une affaire de jeunes gens, elle est pour certains une sorte d’apprentissage. Pour les sapeurs, la sape est envisagée comme une initiation. On passe de l’enfant au sapeur, du sapeur à l’aventurier, et de l’aventurier au grand. Chaque étape est très difficile. D’abord il faut se procurer des vêtements et avoir assez de goût et de panache pour être accepté dans le cercle de la sape qui est finalement assez restreint. Puis on prépare son voyage vers une des Jérusalem du bon et grand goût. Enfin il est nécessaire d’acquérir une gamme (tenues complètes de grandes marques… griffées). J’ai déjà écrit sur la sape ici et ici.

Photographies : Justin-Daniel Gandoulou est le sociologue qui parle le mieux de la sape, en particulier dans l’ouvrage intitulé Entre Paris et Bacongo (Paris : Éditions du Centre Georges Pompidou, 1984), réédité en 1989 par L’Harmattan sous le titre Au Coeur de la sape : Moeurs et aventures d’un Congolais à Paris. Il évoque ce mouvement avec simplicité et efficacité, sans se cacher derrière des termes sociologiques déconcertants et décourageants. Il est aussi l’auteur d’une thèse de doctorat en Sociologie. Anthropologie sociale et culturelle, dirigée par Georges Balandier, soutenue en 1988 à l’Université de Paris Cité (Paris V) et intitulée Jeunes de Bacongo : dynamique du phénomène sapeur congolais (voir ici le résumé).

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Petits-maîtres anglais

Merveilleuses et merveilleux

Dans mes livres sur les petits-maîtres, je suis la lignée des merveilleux français depuis l’Antiquité. On trouve une continuité d’équivalents aux petits-maîtres dans d’autres cultures.  Après la descendance française, l’anglaise, l’italienne et l’espagnole sont sans doute les plus faciles à suivre en Europe, mais dans d'autres pays du monde on peut en trouver, par exemple en Chine. C’est le cas surtout pour l’anglaise, car très présente dans notre imaginaire, étant particulièrement virulente au XXe siècle, avec par exemple le play-boy, le teddy-boy, le mod (modernist), le glam, le psychedelic, le ska, le new-wave, le new-lad, etc.

En France, l’anglomanie commence sous Louis XVI, et se poursuit jusqu’à aujourd’hui. J’en parle dans cet article, cet autre, celui-ci et celui-là. En Angleterre, au XIXe siècle, nous avons le dandy (voir cet article, dont le nom vient de l'ancien français dandin : celui qui se dandine), le fashionable (voir cet article), le lion, le poseur, le snob, le smart, le man about town (l’équivalent de nos soireux et autres noceurs), le popinjay (freluquet extravagant)… au XVIIIe le beau (nom déjà utilisé au XVIIe et encore présent au XIXe, voir cet article), le macaroni (voir cet article, et ici une petite maîtresse anglaise de la fin du XVIIIe siècle)… au XVIIe siècle, le fop, le coxcomb (ou cockscomb, terme qui veut aussi dire crête de coq, et on le sait, en France plusieurs noms de petits-maîtres viennent du mot « coq », comme pour le coqueplumet, la coquette, le coquet, la cocotte, la cocodette, le cocodès…), le fribble, le popinjay (perroquet, terme déjà employé au XVIe pour une sorte de petit-maître), le ninny, le petit-maître, le mignon… au XVIe, l’euphuiste… Plusieurs de ces noms viennent du français ou de l'ancien-français, et à partir du XIXe, c'est le contraire qui se produit, le français empruntant plusieurs de ces dénominations à des petits-maîtres anglais !

En cherchant, on pourrait écrire un livre semblable au mien, et sans doute plus compréhensible, justement du fait de la virulence des mouvements de mode anglais au XXe siècle.

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L’esprit et la pornographie

Merveilleuses et merveilleux

Il y a quelques années de cela, des bouteilles de Champagne du XVIIIe siècle ont été découvertes au fond de la mer, je crois du Nord. Elles étaient dans un état parfait de conservation ayant passé plus de deux siècles dans une température d’eau idéale et stable. Les œnologues les plus connus les ont goûtées, mais leurs impressions étaient aussi fraîches que cet alcool. De même, lors d’une exposition (celle-ci), un parfumeur avait reconstitué des parfums du temps de Louis XIV d’après les recettes de l’époque. Là aussi les gens ne semblaient pas très emballés… pas plus que ça, comme on dit…

Notre époque s’acharne sur nos sens, afin de les subjuguer, de leur plaire par mille subterfuges, comme les parfums chimiques de pains et croissants chauds qui sont distillés aux abords de certaines boulangeries-pâtisseries afin d’attirer le client. Une certaine profusion joue aussi ce rôle. Cela fonctionne, transporte nos sens, comme dans la pornographie, mais nos esprits sont complètement inhibés, et les esprits sont comme censurés, c’est-à-dire tout ce qui nous grandit, nous conduit vers des états plus radieux, riches et multiples. La banalité devient le credo pour la plupart et pour les autres la perversion allant toujours plus avant vers l’abject. Ceci est difficile à suivre pour certains comme moi. Comme je l’ai entendu quelque part : « la médiocrité est difficile ». Ce que nos sens ne peuvent appréhender existe pourtant. Seul notre esprit permet d’aller un peu au-delà, notre propension à la spiritualité, une immatérialité pourtant bien réelle et qui s’exprime aussi dans le concret, pour qui sait lire son esprit.

Merveilleuses et merveilleux

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L’honnête homme

Merveilleuses et merveilleux

J’ai déjà écrit sur l’honnête homme dans cet article et cet autre.

Aditum nocendi perfido praestat fides « Se fier à un perfide, c’est lui donner moyen de nuire «  nous dit Sénèque (Ier siècle ap. J.-C.). Cette citation, je l’ai trouvée dans les Essais de Michel de Montaigne (1533 – 1592), un véritable honnête homme et humaniste qui se scrutait et scrutait l’humanité, loyalement, sans faux-semblants, comme le faisait le philosophe Socrate (vers -470/469 – -399). L’honnête homme est un homme nu qui examine le corps de son âme libérée de son habillement. Il n’est pas obligatoirement intellectuel, il peut être tout à fait de nature ‘commune’… simplement il est honnête, d’abord avec lui-même, ce qui lui permet d’accéder à un savoir que l’on peut qualifier à l’échelle humaine de « véritable ». La probité est un élément important, c’est-à-dire d’une manière générale la vertu. L’intellectuel est davantage dans la raison, la pensée, la recherche. Même s'ils résultent d'un certain athéisme, l’honnête homme comme l’intellectuel peuvent suivre une religion ou une ‘structure’, s’en servant comme outil, de la même manière que l’on utilise le langage pour communiquer et même réfléchir. Il s’agit d’un support pour chercher la vérité, et non pas une vérité en elle-même ; et il se libère de ce support dès qu'il le peut. Quant au libre-penseur, il ne suit rien ni personne.

Photographie : Timbre japonais ancien

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La beauté naturelle

Merveilleuses et merveilleux

J’aime beaucoup le chat de mes voisins, un sacré de Birmanie. Entre nous, aucun faux-semblant. Cela ne l’empêche pas de beaucoup communiquer par des miaulements dont les intonations expriment comme des mots. Je vous assure qu’il est doué de raison. C’est un être tout à fait raisonnable avec moi, ce que j’ai observé en essayant le plus possible d’aller dans le sens de ses volontés. M’ayant trouvé raisonnable à son égard, il l’a été en retour au mien. Les gens croient qu’il m’obéit, mais ce n’est pas cela, car nous sommes sur un total pied d’égalité. Il m’est arrivé de le prendre dans mes bras pour le ramener chez lui alors qu’il ne le voulait pas, et il faut avoir vu ses deux grands yeux ouverts en ma direction comme pour me dire « nous sommes deux êtres raisonnables, n’est-ce pas ? » Quand c’est comme cela, je le lâche, et il rentre tout seul ! Son regard est alors d’une limpidité et d’une grandeur vraiment merveilleuses, d’une grande beauté qui m’émeut profondément, à moins que cela soit de la grâce ?

Qu'est-ce que la beauté ? Dans son Hippias majeur, Platon traite de ce qu’est le beau en soi. Le dialogue est entre Socrate et le sophiste Hippias qui, pendant tout le temps que se déroule celui-ci, apparaît prétentieux, vénal, et constamment à répondre à côté aux questions de Socrate. Finalement, la conversation se conclut sans réponse à leur questionnement. Sauf qu’à un moment, Hippias, critiquant ceux qui décortiquent la réalité, exprime quelque chose qui me semble être la définition même du beau : que les objets concrets de la réalité possèdent naturellement grandeur et continuité. Voilà ce qu’il dit (traduction provenant de cette page) : « vous détachez le beau de tout le reste pour voir ce que c’est, et vous coupez ainsi chaque objet par morceaux dans vos discours ; de là vient que tout ce qu’il y a de grand et de vaste dans les choses vous échappe. »

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Réminiscences

Ecologie du Sentiment : Promenades sur une année dans les forêts d'Île-de-France

Dans mon livre Écologie du Sentiment, j’évoque un âge d’or de l’humanité. On en parle depuis la plus haute Antiquité et pendant tout l’Ancien Régime. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il en est très souvent fait référence. J’ai lu dans un ouvrage du XVIIIe, je ne sais plus lequel mais peut-être se trouve-t-il dans ma bibliothèque, une anecdote révélatrice : Au siècle de Rousseau et de Voltaire, une personne invita des convives à une fête où furent apprêtées quatre grandes tables, chacune symbolisant un âge de l’humanité : d’or, d’argent, d’airain et de fer. La première était garnie simplement, de mets naturels, alors que la dernière comprenait un choix des réalisations culinaires et du service du temps de cette fête. Les invités restèrent peu à la première table de l’âge d’or, un peu plus à celle de l’âge d’argent puis à celle de l’âge d’airain, mais demeurèrent à banqueter à celle de l’âge de fer. Il est difficile de décrire ce qu’est l’âge d’or, car il n’est pas dans ce que l’on prend, mais ce que l’on donne harmonieusement, ceci étant la plus grande des richesses. On est alors dans la beauté et dans la bonté, « bonté » aussi dans le sens de bonheur. Cela est aux fondements des êtres humains. Aujourd’hui, s’il semble que beaucoup croient ne plus savoir le contempler ou n’ont juste pas l’idée que cela existe, ils ont toujours la possibilité d’en avoir des réminiscences. Lire ces lignes est un parfum, certes extrêmement diffus… mais présent…

Dans ses écrits, Platon fait souvent référence à ce souvenir enfoui en nous, cette intelligence que l’on peut qualifier de « divine » et que la maïeutique aide à révéler, par exemple dans Ménon ou de la Vertu dont voici des passages récoltés dans cette traduction :

« SOCRATE. […] c’est Pindare, et beaucoup d’autres poètes ; j’entends ceux qui sont divins. Pour ce qu’ils disent, le voici : examine si leurs discours te paraissent vrais. Ils disent que l’âme humaine est immortelle ; que tantôt elle s’éclipse, ce qu’ils appellent mourir ; tantôt elle reparaît, mais qu’elle ne périt jamais ; que pour cette raison il faut mener la vie la plus sainte possible ; car les âmes qui ont payé à Proserpine la dette de leurs anciennes fautes, elle les rend au bout de neuf ans à la lumière du soleil. De ces âmes sortent les rois illustres, célèbres par leur puissance, et les hommes grands par leur sagesse ; dans l’avenir les mortels les appellent de saints héros. Ainsi l’âme étant immortelle, étant d’ailleurs née plusieurs fois, et ayant vu ce qui se passe dans ce monde et dans l’autre et toutes choses, il n’est rien qu’elle n’ait appris. C’est pourquoi il n’est pas surprenant qu’à l’égard de la vertu et de tout le reste, elle soit en état de se ressouvenir de ce qu’elle a su antérieurement ; car, comme tout se tient, et que l’âme a tout appris, rien n’empêche qu’en se rappelant une seule chose, ce que les hommes appellent apprendre, on ne trouve de soi-même tout le reste, pourvu qu’on ait du courage, et qu’on ne se lasse point de chercher. En effet ce qu’on nomme chercher et apprendre n’est absolument que se ressouvenir. […] SOCRATE. Ces opinions [pensées, idées…] étaient-elles en lui, ou non ? MENON. Elles y étaient. SOCRATE. Celui qui ignore a donc en lui-même sur ce qu’il ignore des opinions vraies ? MENON. Apparemment. SOCRATE. Ces opinions viennent de se réveiller en lui comme un songe. Et si on l’interroge souvent et de diverses façons sur les mêmes objets, sais-tu bien qu’à la fin il en aura une connaissance aussi exacte que qui que ce soit ? MENON. Cela est vraisemblable. SOCRATE. Ainsi il saura sans avoir appris de personne, mais au moyen de simples interrogations, tirant ainsi sa science de son propre fonds. MENON. Oui. SOCRATE. Mais tirer la science de son fonds, n’est-ce pas se ressouvenir ? MENON. Sans doute. SOCRATE. N’est-il pas vrai que la science qu’a aujourd’hui ton esclave, il faut qu’il l’ait acquise autrefois, ou qu’il l’ait toujours eue ? MENON. Oui. SOCRATE. Mais s’il l’avait toujours eue, il aurait toujours été savant : et s’il l’a acquise autrefois, ce n’est pas dans la vie présente ; ou bien quelqu’un lui a-t-il appris la géométrie ? car il fera la même chose à l’égard des autres parties de la géométrie, et de toutes les autres sciences. Est-il donc quelqu’un qui lui ait appris tout cela ? Tu dois le savoir, puisqu’il est né et qu’il a été élevé dans ta maison. MENON. Je sais que personne ne lui a jamais rien enseigné de semblable. SOCRATE. A-t-il ces opinions, ou non ? MENON. Il me paraît incontestable qu’il les a, Socrate. SOCRATE. Si donc c’est faute de les avoir acquises dans la vie présente, qu’il n’en avait pas la conscience, il est évident qu’il a eu ces opinions et qu’il les a apprises en quelque autre temps. MENON. Apparemment. SOCRATE. Ce temps n’est-il pas celui où il n’était pas encore homme ? MENON. Oui. SOCRATE. Par conséquent, si durant le temps où il est homme, et celui où il ne l’est pas, il y a en lui des opinions vraies qui deviennent sciences, lorsqu’elles sont réveillées par des interrogations, n’est-il pas vrai que pendant toute la durée des temps son âme n’a pas été vide de connaissances ? car il est clair que dans toute l’étendue des temps il est ou n’est pas homme. MENON. Cela est évident. SOCRATE. Si donc la vérité est toujours dans notre âme, cette âme est immortelle. C’est pourquoi il faut essayer avec confiance de chercher et de te rappeler ce que tu ne sais pas pour le moment, c’est-à-dire ce dont tu ne te souviens pas. MENON. Il me paraît, je ne sais comment, que tu as raison, Socrate. SOCRATE. C’est ce qu’il me paraît aussi, Menon. A la vérité, je ne voudrais pas affirmer bien positivement que tout le reste de ce que j’ai dit soit vrai : mais je suis prêt à soutenir et de parole et d’effet, si j’en suis capable, que la persuasion qu’il faut chercher ce qu’on ne sait point, nous rendra sans comparaison meilleurs, plus courageux, et moins paresseux, que si nous pensions qu’il est impossible de découvrir ce qu’on ignore, et inutile de le chercher. MENON. Ceci me semble encore bien dit, Socrate. SOCRATE. Ainsi, puisque nous sommes d’accord sur ce point, qu’on doit chercher ce qu’on ne sait pas [se rappeler ce que l'on a oublié], veux-tu que nous entreprenions de chercher ensemble ce que c’est que la vertu ? MENON. Volontiers. Cependant non, Socrate ; je ferais des recherches et t’écouterais avec le plus grand plaisir sur la question que je t’ai proposée d’abord, savoir s’il faut s’appliquer à la vertu, comme à une chose qui peut s’enseigner, ou si on la tient de la nature, ou enfin de quelle manière elle arrive aux hommes. SOCRATE. Si j’avais quelque autorité non seulement sur moi-même, mais sur toi, Menon, nous n’examinerions si la vertu peut ou non être enseignée, qu’après avoir recherché ce qu’elle est en elle-même. Mais puisque tu ne fais nul effort pour te commander à toi-même, sans doute afin d’être libre, et que d’ailleurs tu entreprends de me maîtriser, et que tu me maîtrises en effet, je prends le parti de te céder ; car que faire ? Nous allons donc, à ce qu’il semble, examiner la qualité d’une chose dont nous ne connaissons pas la nature. »

Ecologie du Sentiment : Promenades sur une année dans les forêts d'Île-de-France

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La volupté & la mesure : Horreur de la gêne dans l’existence

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessus et ci-dessous : Chromolithographie de la fin du XIXe siècle, du grand magasin parisien de mode La Belle Jardinière et avec pour légende : « Je l’ai choisi ample, large, parce que j’ai horreur de la gêne dans l’existence. » Cette image a déjà, été présentée dans cet article.

Montaigne écrit au sujet de la volupté cette très belle phrase : « La volupté est qualité peu ambitieuse, elle s’estime assez riche de soy, sans y mesler le prix de la reputation : & s’ayme mieulx à l’umbre. » (voir ici), ce qui peut donner dans un français moderne : « La volupté est une qualité peu ambitieuse : elle s’estime assez riche en elle-même, sans y ajouter le prix de la réputation ; et s’apprécie davantage à l’ombre. » Cette manière est tout à fait dans l’esprit de la douceur dont il est question dans cet article et de celle de la beauté en soi de cet autre. De nos jours, beaucoup pensent que le bonheur est de s’étaler sur internet et autres réseaux sociaux… dans des blogs… qu’on ne peut la trouver qu’en dehors de soi, et notamment par la possession et la consommation. La volupté au contraire ne cherche pas au-delà d’elle-même. Un proverbe indien dit que le contentement est le plus grand des trésors. Sans doute ce contentement nous amène-t-il à nous ouvrir à la beauté et à la volupté… ce dernier état étant bien plus doux, il me semble, que celui de plaisir. Elle nous fait nous ouvrir à ce que nous avons déjà, sans chercher ailleurs et découvrir des trésors qui sont là. Il me semble qu’il y a de la volupté dans cette phrase de Montaigne : « Heureux qui sachent resjouyr et gratifier leur sens par l’insensibilité et vivre de leur mort. » Il s’agit de plonger entièrement en soi, dans ce que l’on est, sans faux-semblant, ni peur, ni peur d’avoir peur et d’être misérable, et accepter (« insensibilité ») nos limites (« mort »).

Les Pythagoriciens considèrent le bien comme certain et fini, et le mal comme infini et incertain. D’après Cléobule, la mesure est la meilleure des choses. Toute proportion gardée, d’après moi celle-ci ne consiste ni à se borner ni à borner, non plus dans la fuite de toute extrémité. La mesure consiste à se connaître soi-même, et connaître ce qui nous entoure le mieux possible. Il ne s’agit pas de se limiter, mais au contraire de s’ouvrir afin de voir les contours des choses, tels qu’ils sont.

Merveilleuses et merveilleux

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Le théâtre à la mode du XIXe siècle, suite…

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessus : « Les montagnes russes au vaudeville ». Cette gravure serait de vers 1816 d’après le musée Carnavalet. Si c'est le cas, on est juste avant la première de la pièce Le Combat des montagnes, mettant en scène le calicot (voir plus loin) et dont l'action se situe au même endroit. Les montagnes russes étaient une attraction très à la mode alors. Le personnage central, en blanc, est la personnification de « LA MODE », entourée d'autres en vogue sans doute dans les vaudevilles alors, comme « Mme. Ducomptoir Limonadière » « Mlle. Crépon. Marchande de Mode ».

Le théâtre joue depuis l'Antiquité un rôle important dans la mode jusqu’à l’avènement du cinéma. Petits marquis, coquettes, petits-maîtres et autres modernes parsèment les pièces des XVIIe et XVIIIe siècles. Tenues, manières de parler, de bouger, moeurs… le théâtre en partie fait et porte les modes de son époque.

Au XIXe, les exemples sont très nombreux. En voici quelques-uns :

Dans l’article précédent, j’évoque le travail sur les merveilleuses et les incroyables de l’auteur Victorien Sardou (1831 – 1908). Il écrit beaucoup d’autres pièces, dont une qui donne le nom à un type de petite maîtresse de l’époque : la benoitonne.  Elle est représentée pour la première fois en 1865 dans la pièce qui la met en scène intitulée La Famille Benoiton dont je parle dans cet article. La benoitonne est l’éternelle mais toujours changeante jeune fille moderne, ici à l’apogée des robes crinolines.

En 1817, dans la folie-vaudeville en un acte intitulée Le Combat des montagnes, ou la Folie-Beaujon, MM. Eugène Scribe (1791 – 1861) et Henri Dupin (1791 – 1887) mettent en scène un nouveau genre de merveilleux : le calicot, dont il est question dans cet article et cet autre. Le texte de cette pièce est lisible ici.

En 1819, MM. Gabriel de Lurieu (1792 – 1869) et Armand d’Artois (1788 – 1867) créent Les Bolivars et les Morillos ou Les Amours de Belleville dont je parle dans cet article.

En 1822, les mêmes auteurs font jouer Les blouses, ou La soirée à la mode, avec son blousé. Voir cet article.

En 1830, Hernani, la pièce de Victor Hugo (1802 – 1885), permet aux jeune-France romantiques de jouer, comme spectateurs, le personnage principal de cette pièce. Voir cet article.

En 1832, MM. Jacques Ancelot (1794 – 1854 ) et Léon Laya (1811 – 1872) mettent en scène Le Dandy. Voir cet article.

Alexandre Dumas fils (1824 – 1895) crée l’expression de « demi-monde » que l’on retrouve dans La Dame aux camélias (1852) et Le Demi-Monde (1855) où évoluent des cocodès et autres lions, et dans lequel se retrouvent quelques cocottes.

En 1857, Xavier de Montépin (1823 – 1902) propose Les Viveurs de Paris. Voir cet article.

Émile Augier (1820 – 1889) s’est un peu occupé des lions, avec en 1858, avec Édouard Foussier (1824 – 1882) : Les Lionnes pauvres. J’en ai parlé rapidement ici.  En 1869 est sorti Lions et renards. En 1866, François Ponsard (1814 – 1867) écrit la comédie Le Lion amoureux. Il en est question succinctement ici.

En 1865, MM. Xavier de Montépin et Jules Dornay sont les auteurs de Les Cocodès : vaudeville en 5 actes et 6 tableaux. Voir cet article.

En 1867, sont jouées Nos petits Crevés, attaque et riposte, une pièce de théâtre d’un auteur inconnu et Les Petits crevés de MM. Alexandre Flan (1824 – 1870), Émile Lazare Abraham (1833 – 1907) et Jules Prével (1835 – 1889). Voir cet article.

Je viens de citer quelques pièces pour la plupart présentées dans des articles de ce blog. On pourrait peut-être en citer beaucoup d’autres. Sans doute, chacun des petits-maîtres du XIXe siècle a son alter-ego interprété sur les planches, dans des opéras-comiques, vaudevilles et autres opérettes, pleins de couleurs, chants, musiques, décors fabuleux… remplis de merveilleux !

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Le théâtre à la mode du XIXe siècle de Victorien Sardou

Merveilleuses et merveilleux

Comme on le constate dans cet article que j’ai publié il y a peu, les merveilleuses et les incroyables retrouvent une seconde jeunesse dans la seconde partie du XIXe siècle et le début du XXe. Ils sont alors le thème de nombreux objets et œuvres d’arts (peintures, sculptures, littérature…). Au théâtre, Les Merveilleuses de Victorien Sardou (1831 – 1908) obtient un vif succès. Le sujet et les costumes… incroyables… font rêver. On est en pleine époque des gommeux et des gommeuses, de l’opérette, du chic et du tralala, des boulevards, des avant-gardes impressionnistes et autres… La Belle Époque s’annonce.

Victorien Sardou, qui a à son actif de nombreuses pièces, commence sur ce thème avec Monsieur Garat, une comédie-vaudeville en deux actes jouée pour la première fois en 1860. Il y met en scène le fameux chanteur incroyable. On peut la consulter ici. Suit, en 1873, la pièce Les Merveilleuses. En 1893, avec Émile Moreau (1852 – 1922), il crée le personnage de Madame Sans-Gêne thème rappelant celui de Mme Angot que j’évoque dans cet article, et qu’en 1872 les auteurs Louis-François Clairville (1811 – 1879), Victor Koning (1842 – 1894) et Paul Siraudin (1812 – 1883) reprennent avec La Fille de Madame Angot, sur une musique de Charles Lecocq (1832 – 1918). En 1898, Victorien Sardou poursuit avec sa comédie intitulée Paméla, marchande de frivolités, qui évoque ce même univers des merveilleuses et des incroyables. Sa dernière oeuvre, écrite une nouvelle fois en collaboration avec Émile Moreau qui la termine, est sur Madame Talien, une merveilleuse célèbre ! Des photographies de ces pièces sont visibles ici, ici, ici, ici, ici, ici et ici.

Photographies ci-dessus et ci-dessous provenant de l’ouvrage Costumes du Directoire (1875) comprenant trente eaux-fortes de A. Guillaumot fils (d’après des dessins de « MM. Eigène Lacoste et Draner »), avec les costumes de merveilleuses et d’incroyables tirés de la pièce de Victorien Sardou. Le site Gallica propose un exemplaire à la consultation numérique ici.

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessous : Ces images ont été déjà présentées dans ce blog, comme certaines ci-dessus. Cette fois, il s’agit de photographies sur cartes postales, de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe, d’acteurs jouant un incroyable de la pièce Les Merveilleuses de Victorien Sardou. Le premier est Félix Galipaux (1860 – 1931) et le second Charles Prince (1872 – 1933). Les dessins originaux sont de Draner (voir description suivante).

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessous : Dessin, en vente dernièrement sur eBay, étant très certainement de Draner (de son vrai nom Jules Joseph Georges Renard : 1833 – 1926), qui non seulement compose les costumes de la pièce Les Merveilleuses de Victorien Sardou, mais est aussi un des caricaturistes du XIXe s'intéressant aux drôles de pistolets de son temps (voir cet article). La BNF conserve d'autres de ses dessins, comme celui-ci.

Merveilleuses et incroyables Pièce Victorien Sardou

Ci-dessous : Meuble daté de 1890 et vendu aux enchères (voir ici), où sont peints des merveilleuses et des incroyables réalisés à partir du livre cité ci-avant.

Merveilleuses et incroyables Pièce Victorien Sardou
Merveilleuses et incroyables Pièce Victorien Sardou

Ci-dessous :  Image d’Épinal illustrant un passage de l’opéra-comique La Fille de Madame Angot (1872) de Charles Lecocq (1832 – 1918). L'image est intitulée « Les conspirateurs ». Les conspirationnistes et les complotistes comme moi existent donc déjà à cette époque !

Merveilleuses et merveilleux
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Cravate écrouellique

Le vendredi 10 février dernier, la maison de ventes aux enchères Daguerre proposait une peinture représentant un portrait d’un jeune homme (16 – 18 ans ?), de vers 1800 (photographie ci-dessus et lien ici) portant une cravate à la manière des incroyables de l’époque, que certains qualifiaient d’« écrouellique », car semblant cacher des écrouelles. Ce genre de cravate s’enroulait de nombreuses fois autour du cou. Certains l’avaient couvrant tout le menton. Les femmes aussi en portaient, et j’en donne des exemples dans cet article.

Dans cet autre article sur l’histoire de la cravate, on retrouve de ces cravates 'écrouelliques', pas toutes blanches, certaines de couleur rouille, rayées, à pois, etc.

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Merveilleuses et incroyables oeuvres d'art du XIXe siècle

Les courants artistiques français du XIXe siècle sont pléthore. L’un d’entre eux, l’art historique, prend ses sujets dans les évènements du passé. Même les modes s’inscrivent dans ce mouvement. Sous les Romantiques (années 1830), la vogue est en particulier au Moyen-Âge. On prend des aspects médiévaux, emprunte aux accoutrements d’alors et du XVIe siècle, parle ‘médiéval’, etc. J’évoque cela dans Les Petits-maîtres de la mode à travers le jeune-France-Moyen-Âge. Dans l’art aussi, les modes changent rapidement. Vers le milieu du XIXe, le mouvement néo-grec est en vogue et à partir de 1860 l’histoire de France. La peinture et la sculpture historiques sont à leur apogée et cela pendant tout le reste de ce siècle, dans ce que l’on appelle « l’art académique » ou plus péjorativement « l’art pompier », auquel ‘s’opposent’ les impressionnistes. Les merveilleuses et les incroyables font partie des scènes représentées par ces artistes ‘académiques’. En France, nous avons un collectionneur sur ce sujet, sans doute le plus important, qui m’a gentiment envoyé quelques photographies d’oeuvres de sa collection que je présente ici.

 

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Le goût et la saveur

Merveilleuses et merveilleux

Je ne suis pas du tout un spécialiste du goût, mais écrire sur lui m'en donne une saveur, même si je suis très éloigné d'en avoir. J'aime écrire, comme autrefois un épistolier le faisait à un ami. Mon plaisir est dans l'écriture même. Là, pas de rendement, pas de propagande, pas de retombées, juste des mots lancés dans le vent, comme ceux venant du coeur, chantonnés par une bouche et s'échouant dans l'oreille de l'esprit qui l'émet.

Si je ne suis pas du tout un spécialiste du goût, ce que je sais, c’est qu’il avait beaucoup d’importance autrefois… en particulier le « bon goût ». Il n’est plus d’actualité. Par contre, le mauvais goût s’étale tous les jours dans la vie contemporaine. Évidemment, le goût est une notion subjective… subjectivité qui tout de même a ses limites, qui sont celles de l’être humain.

Avoir du goût, ce n’est pas seulement savoir choisir et agencer ce qui donne le plus de plaisir à nos sens, c’est aussi et avant tout trouver ce qu’il y a de meilleur, dans tous les sens du terme. Il faut y ajouter ce supplément d’âme qui fait toute la différence.

Avoir du goût n’est pas suffisant, encore faut-il donner de la saveur. Le goût est intelligence et la saveur est partage. Un individu de goût se contente de peu mais cherche toujours la qualité. Il est une personne de qualité. Si cette dernière se contente de peu pour elle, elle partage beaucoup et toujours la qualité. Elle n’est pas un personnage de surface, dans la montre comme on disait autrefois, c’est-à-dire l’apparence. Ce qu’elle donne à voir, à attendre… elle y ajoute un ‘souvenir’ agréable, un savoir goûteux que l’autre peut conserver et dans lequel il a la possibilité de puiser constamment. Il est comme un vin qui est bon lorsqu’on le boit, se garde longtemps en bouche apportant de nouvelles saveurs en continuant de surprendre, laisse un bouquet agréable même longtemps après ouvrant l’esprit à d’autres ‘plaisirs’ et s’accordant avec ceux-ci merveilleusement. Surtout, il doit apporter une bonne santé, ne pas l’altérer comme le font certains vins au goût fin mais contenant par exemple du sucre raffiné et des résidus de pesticides. La personne de goût propose ce qu’elle peut faire de mieux. Bien sûr elle ne peut faire des miracles, et c’est à chacun de disposer. On apprécie avec la mesure parfaite, ajoute de la grâce, ou au contraire transforme même ce qu’il y a de mieux en un poison.

Merveilleuses et merveilleux

La saveur apporte de la longueur dans la jouissance. Le goût est tel un interrupteur que l’on met en marche, et la saveur comme la lumière qui en découle. L’idéal est que le goût apporte une saveur qui ne s’éteigne pas et dont l’autre puisse disposer aussi longtemps qu’il le souhaite, s’il a l’intelligence pour cela. Au sujet de la jouissance, Montaigne écrit : « Qui n’a jouïssance qu’en la jouïssance […] il ne luy appartient pas de se mesler à nostre eschole : plus il y a de marches et degrez, plus il y a de haulteur et d’honneur au dernier siege ; nous nous debvrions plaire d’y estre conduicts, comme il se faict aux palais magnifiques, par divers portiques et passages, longues et plaisantes galleries, et plusieurs destours. »

Certains trouvent que jouir consiste à accumuler les jouissances, ce qui est très dans l'esprit bourgeois particulièrement intéressé par le nombre, la quantité. Mais ainsi de quoi jouit-on vraiment ? Cela ne fait que laisser un goût amer à longue échéance et rend pauvre, voire misérable quand c’est le moment de rendre des comptes. Savoir savourer des choses qui nous ont été données, comme simplement le fait d’être en vie, est déjà un programme immense, non ? Pourquoi toujours vouloir davantage ? Je crois même que la meilleure des jouissances est de s’oublier et de ne faire uniquement que le bien. Seul le bien est véritablement bon. Apporter ce bien… ce bon… cette bonté… est ajouter de la saveur au goût et n’est que le prolongement de cette intelligence.

La bonté a moins à voir avec la morale qu’avec la vertu, de même qu'une saveur au palais à moins à voir avec la recette qu’avec celui qui l’a accomplie.

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