C’est la seconde fois que je rencontre Massimiliano Mocchia di Coggiola, à chacune par l’intermédiaire de la revue Dandy. Italien d’origine, d’ascendance aristocratique de surcroît et Parisien par nature, il parle parfaitement le français en y ajoutant un goût qui rappelle l’origine romane de notre langue, nous permettant de la redécouvrir par ce prisme et de la mieux savourer. Lors de notre dernière rencontre, il y a de cela quelques jours, il était impeccablement habillé dans un costume trois pièces, la cravate artistiquement nouée, le col assez haut et portant ses lunettes comme d’autres le lorgnon c’est-à-dire avec un sourcil plus relevé que l’autre. Sa très fine moustache, esquissée au-dessus de la lèvre supérieure de sa bouche, évoquait le trait du dessinateur. Du reste, toute sa silhouette semblait comme avoir été dessinée devant le miroir de sa table de toilette, de la même manière qu’il crayonne méticuleusement ses croquis, en y ajoutant de multiples détails. Il était tout à fait à l’aise, se posant avec grâce et précision sur la chaise devant moi, droit, les mains croisées sur la table du bistrot, alors que pour ma part je me contorsionnais de longues minutes, cherchant où placer les miennes qui étrangement refusaient de passer au-dessus de la table. Il resta ainsi, confortable dans cette position, presque tout le long de notre rencontre, sauf à un moment où il se mit d’un seul coup à poser, se penchant légèrement de trois-quarts en arrière, une main sur le dossier de sa chaise et l’autre sur la table. Ses doigts exhibaient trois belles bagues rutilantes d’or. Je lui fis remarquer que le goût pour un grand nombre de ces bijoux se retrouvait chez de nombreux petits-maîtres depuis l'Antiquité. Il me répondit que d’en avoir trop était cependant une marque de mauvais goût, par exemple à tous les doigts. Ce qui a retenu aussi mon attention, c’est son arrivée et sa sortie, dans les règles de l’art, déposant puis reprenant avec soin son chapeau et son par-dessus au porte-manteau de l’entrée, dans une introduction et une conclusion faisant de notre rencontre une sorte de récit, un spectacle : UN MOMENT.
Nous avons parlé de nos travaux respectifs, notamment de son livre Dandysmes, publié en octobre 2017, composé de plusieurs de ses textes, la plupart parus dans la revue Dandy, et de quelques dessins. On y retrouve l’article sur le rétro-excentrique évoqué dans celui de ce blog intitulé L’honnête homme d’aujourd’hui. Cet ouvrage est aussi composé d’un « Petit bréviaire du dandy contemporain », d’un chapitre sur « le e-Dandy », d’autres sur « le gagà », « la sprezzatura », etc.
Il le dédicacera lors d’une soirée payante organisée, le 16 février prochain à La Coupole à Paris (brasserie, haut lieu des Montparnos artistes et fêtards de l’entre deux guerres, voir cet article sur les Cafés parisiens littéraires et artistiques), par La Baronne de Paname, sur le thème du Dandy. Il exposera de ses dessins et tableaux à la Galerie Vanities, mais seulement pour deux semaines, du 14 au 30 mars, au 16 rue Popincourt, dans le XIe arrondissement de Paris. On retrouve de ses articles et dessins dans son blog. Enfin, avec son frère qui travaille dans la mode en Italie, il propose sur son site des chemises et pochettes de sa création.
Après notre rencontre, je lui ai envoyé les quelques questions ci-dessous, auxquelles il a gentiment et exhaustivement répondu… Ce dont bien sûr je le remercie sincèrement et très chaleureusement. Après ces réponses si intéressantes et délectables, les dandys novices ne pourront plus être excusés de ne pas bien faire ! On y retrouve des notions fondamentales de l’élégance, comme : son caractère originel et indémodable ; l’art de l’apparence ; l’indépendance ; l’originalité ; la détermination jamais affichée mais continuelle que cela présuppose, tout l’art consistant aussi à faire oublier l’art et même s’oublier en lui pour mieux le savourer ; le ‘luxe’ qu’elle peut créer et afficher même à partir de presque rien ; « la bravura de l’interprète », sa maestria ; son caractère ‘paradigmatique’ ; le ‘vrai’ plaisir ; la gratuité ; le partage ; l’inconfort créé par la société bourgeoise et le règne de l’argent… Massimiliano offre aussi un regard aiguisé sur la société parisienne qu’il aime profondément, avec une humanité élégante typiquement italienne, que l’on retrouve en particulier dans l’humanisme de la Renaissance, mais déjà présente bien avant, durant l’Antiquité ; une culture qui fait de chacun une œuvre d’art, ne serait-ce que lorsqu’on parle cette langue.
– Cher Massimiliano, je crois avoir lu que vous n’appréciiez pas trop que l’on utilise l’appellation de « néo-dandysme » pour évoquer la ligne dans laquelle vous vous placez. Est-ce vrai ?
– Ce que vous appelez un « néo-dandy » n’est, selon moi, qu’une corruption gratuite du mot « dandy ». Le dandysme, n’étant pas un simple phénomène de mode mais une véritable éthique de vie, ou une philosophie des temps modernes si vous préférez, a toujours existé. Cet ajout de « néo » serait justifié si le dandy était un personnage faisant partie d’un passé révolu ou un phénomène purement transitoire. L’intérêt jamais éteint pour ce mode de vie démontre que celui-ci ne s’est jamais arrêté. Il n’y a donc pas de ‘renouvellement’ du dandysme, car les dandys sont toujours les mêmes, et ils suivent toujours les mêmes diktats.
– Pour vous, en quoi consiste le dandysme d’aujourd’hui ?
– C’est une manière d’être et une manière de s’habiller. Le dandy véritable ne pourrait pas survivre sans ses vêtements, car ils sont à lui comme les pinceaux sont au peintre : nécessaires pour s’exprimer. Le dandy est un artiste qui a besoin de communiquer son moi à travers les étoffes, la coupe de ses costumes, la couleur… Il va de soi que tout artiste qui se respecte ne se laisse pas dicter son style ou son goût par autrui. Le dandy, donc, ne se laissera pas influencer par un blogueur, un vendeur ou même un styliste : Le risque serait de perdre sa propre originalité.
Le dandy revient chaque jour au devoir de se parer d’élégance sans devenir banal, de bienséance sans être ennuyeux. Il aime surprendre les autres sans être jamais surpris.
Le dandy moderne s’inscrit dans une tradition de raffinement artistique, comme celle pratiquée par Cocteau : créer soi-même et son œuvre dans le même geste. Et tant pis s’il n’est pas un artiste : Sa seule présence dans un lieu public s’apparente souvent à de la performance [artistique] !
– Être un dandy à notre époque du prêt-à-porter est-ce difficile ?
– L’élégance n’a presque rien à voir avec l’origine d’un vêtement. On peut être élégant dans un costume sur-mesure autant que dans un costume acheté en boutique, pourvu qu’il corresponde a certaines normes dites « classiques » qui ne devraient pas être visiblement apparentées à la mode la plus commerciale.
Ce qui 'fait' l’élégant c’est son allure, son physique, sa façon de faire et de parler, de se sentir à l’aise en toutes circonstances. Je suis fermement convaincu qu’on peut être élégant même avec un gilet jaune. On peut cramer une Maserati avec bien plus de panache qu’on en prendrait pour la conduire.
– Le sur-mesure est-il une condition sine qua non au dandysme ?
– Le sur-mesure est le nec plus ultra du raffinement en matière de garde-robe. Après, il faut apprendre à se démontrer élégant avec. Je connais un tas de gens qui sont clients de tailleurs italiens ou parisiens sans pourtant arriver à se débarrasser d’une certaine aura de fausseté, de prétention ou de banalité. Pourtant le sur-mesure reste le rêve des élégants, et il y a de quoi : C’est une garantie d’originalité, de dureté dans le temps (et donc économique). Pour le dandy, qui cultive la distinction comme d’autres cultivent leur être fashionable, le sur-mesure est bien évidemment une sorte de nirvana.
Un ami disait, non sans ironie, que la différence entre un costume taillé sur-mesure et un bon costume de prêt-à-porter, est la même qu’entre une symphonie et son adaptation pour piano solo. Je rajouterais que l’adaptation mérite notre attention du fait de l’effort apporté dans la ‘réduction’ musicale, qui va être mise en valeur par la bravura de l’interprète.
– Quels sont les rythmes (les usages, manières…) les plus prégnants du dandysme ? Quelles sont les vertus essentielles du dandy ?
– Je pense que j’ai déjà répondu en partie à cette question dans mes précédentes remarques. Mais si je devais penser à une vertu première, je dirais : les apparences avant tout. L’élégance n’étant pas seulement vestimentaire, elle doit toucher entièrement le mode de vie du dandy, ce qui le rend un paradigme en soi. Les passions sont méprisables quand elles décoiffent. La recherche du plaisir est un des moteurs qui anime le dandy, tant que cela ne le rend ni vulgaire, ni bestial.
Certaines valeurs aristocratiques règlent le mode de vie du dandy : Voilà qui est loin de l’échelle des valeurs de nos contemporains. Là où on nous apprend à diviniser l’homme qui travaille, le dandy a la ferme volonté de ne rien faire. Là où on nous impose l’argent comme digne fruit de nos efforts, le dandy vise au partage, au don gratuit, à la dépense immodérée – même quand il est pauvre. Baudelaire était contre la société bourgeoise qui met le travail et l’argent, les « professionnalismes », au sommet de la pyramide. Le dandy se veut donc superflu, inutile ; et Gabriele d’Annunzio d’affirmer, dans son journal : « Je suis un animal de luxe, le superflu m’est nécessaire comme l’air que je respire ». Toujours est-il que ces gens étaient parfois bel et bien obligés de travailler, malgré leurs idéaux… Dans la société de consommation actuelle, pas trop différente de la société bourgeoise tant détestée par Baudelaire, le dandy incarne un style de vie luxueux ; certes pas parce qu’il achète des produits coûteux, mais parce que son mode de vie lui coûte des efforts que la plupart des gens n’envisagent même pas. Le dandy n’achète pas des produits de luxe : Il fuit soigneusement le marché qui voudrait lui coller une étiquette (horreur !) pour mieux lui vendre des choses ; et ceci est probablement une forme de luxe ultime.
– Vous êtes Italien d’origine, et l’Italie a une très longue tradition d’élégances. Pouvez-vous nous formuler quelques notions essentielles qui en sont issues, comme la sprezzatura qui rappelle celle cicéronienne de Neglegentia diligens (l’insouciance consciencieuse) ou l’adage médiéval qui stipule : Ars est celare arte (l’art consiste à cacher ce qui est du domaine de l’art) ? Y-en-a-t-il d’autres ?
– L’Italie doit sa prétendue tradition d’élégance à son histoire culturelle ancienne, qui date de la Renaissance (mais il faut dire aussi qu’on n’a rarement fait mieux après le XVIe siècle). Je ne crois pas que les Italiens soient spontanément plus élégants que les Français, car on parle ici de choses qui doivent être étudiées, cultivées ; mais c’est vrai que, d’un côté, on dispose de plus d’artisans qui maintiennent vivante une certaine tradition. D’autre part, les Italiens, qui aiment s’inscrire dans cette tradition, feront plus d’efforts pour la faire vivre qu’un Français, se sentant quelque part ‘responsables’ de l’image de leur pays. Il s’ensuit qu’un Italien bien habillé en trouvera toujours d’autres à ses côtés pour le rassurer et lui donner une raison d’être, tandis qu’un Français aura du mal à se rapporter au jugement de ses concitoyens, souvent totalement dépourvus d’intérêts dans ce domaine-là.
Une chose qui fait fantasmer les étrangers qui désirent mieux s’habiller, est cette mystérieuse sprezzatura dont parlait Castiglione dans son manuel à l’usage des courtisans de la cour d’Urbin (on revient à la Renaissance). Le mot décrit exactement ce que stipule l’adage médiéval, sans rien de plus, à savoir que la sprezzatura pouvait définir non seulement une façon de s’habiller mais surtout une manière d’être, de se comporter, d’agir. C’est probablement là le quid de la question, qui n’est pas toujours compris par ceux qui ont des prétentions à l’élégance. J’ai lu des articles français et anglophones essayant de démontrer que la sprezzatura était dans le sang même de mes compatriotes ! C’est donc plus facile de croire dans un mystère que de savoir l’expliquer ?
– Vous êtes un chroniqueur de la vie ‘modaine’, en particulier parisienne, dans laquelle vous évoluez, et que vous croquez sous la forme de dessins et d’articles, notamment pour la revue Dandy. Vous contribuez aussi à faire vivre cette scène en participant à des soirées, en travaillant pour des groupes de musique, en collaborant avec des galeries, des photographes, des écrivains, des artistes, etc. Qu’est-ce qui vous attire dans tout cela ?
– La plupart des dandys répondraient : « l’ennui, je suppose », mais je préfère être franc avec vous et vous dire que c’est la peur de l’ennui qui me fait bouger, sortir, dessiner, écrire. J’ai toujours eu un faible pour les « physionomies » du XIXe siècle, les descriptions de ces personnages qui, sans cela, nous resteraient inconnus. J’aime l’idée que, à ma manière, je suis en train de faire la même chose : À travers mes écrits, je donne la voix (qui reste pourtant toujours mienne) a des gens intéressants qui ne seront jamais dans les livres d’histoire. Pourquoi ? Parce qu’ils ne font rien de révolutionnaire, politiquement parlant. Mais la culture est là aussi : dans les détails de l’humanité. L’être humain existe aussi grâce à la manière qu’il a de s’amuser, de produire l’inutile et de cacher ses misères.
J’ai plusieurs 'talents' probablement ; et celui de participer (pour le peu que j’en fais) à mon époque en me mêlant à des soirées, des projets artistiques et musicaux, etc., en fait partie. Je trouve qu’on est en train de vivre une période de renouvellement culturel extraordinaire ; et même si je ne suis certainement pas d’entre ceux qui conduisent la carrosse, j’aime au moins l’idée d’en être un des passagers.
– Pourquoi avez-vous choisi de vous installer à Paris ?
– Je suis à Paris pour des raisons personnelles : Ma femme habitait déjà cette ville. Venir à Paris m’a fait l’effet d’un électrochoc : Je ne pourrais pas vivre ailleurs qu’ici ; j’aime cette ville et ses habitants, ses Parisiens purs et durs et ses Étrangers farfelus qui, comme moi, font vivre un coté de la « ville lumière » qui fait bouger et qui transforme les gens.
– J’apprécie tout particulièrement vos dessins de nos contemporains et en particulier de nos soireux. Personnellement, c’est souvent chez des journalistes, dessinateurs et ‘caricaturistes’ que j’ai trouvé les informations les plus intéressantes sur les gandins des XIXe et XXe siècles (La Mésangère, Debucourt, Gavarni, Bertall, Daumier, Cham, Champsaur, Millaud, Sem…). Dans les années 1980, quand j’avais 16 ans, j’aimais beaucoup suivre les péripéties dessinées du noctambule parisien Jean Rouzaud. Je suis content de constater que vous vous inscrivez dans cette continuation, à votre manière bien sûr. Parlez-nous de l’exposition de vos tableaux et dessins qui aura lieu prochainement à Paris ?
– Merci beaucoup !
Mon exposition se tiendra du 14 au 30 mars à la Galerie Vanities au 16 rue Popincourt, dans le XIe arrondissement de Paris. C’est une belle occasion pour moi de montrer mon travail publiquement ; et je suis heureux que Thierry Tessier m’ait contacté, car sinon je n’aurais jamais pensé montrer mes ‘babioles’. Je vais donc exposer presque tout ce que j’ai fait ces derniers 10 ans (et qui mérite d’être vu !) : beaucoup de dessins et quelques toiles, essentiellement des portraits de mes amis, de ces « soireux » que j’affectionne tellement. Des êtres étranges, excentriques, tous extraordinaires chacun à sa façon. J’espère les voir tous réunis pour le vernissage !
– Merci beaucoup pour cet entretien. Pour finir, pouvez-nous nous dire comment faire pour se procurer votre livre, s’il vous plaît ?
– Merci à vous ! Mon livre Dandysmes est un recueil d’articles parus sur Dandy Magazine ces dernières années, plus quelques textes inédits. L’éditeur, AlterPublishing, travaille exclusivement sur Internet : Vous trouverez donc mon bouquin sur les plates-formes virtuelles habituelles.
Pour voir mes dessins et lire certains de mes articles : www.mmdc-art.com
J’ai aussi une marque de chemises et de pochettes, en collaboration avec mon frère Francesco : www.mocchiadicoggiola.com