Photographies 1 et 2 : 'Les collectionneurs havrais visitant une galerie de peinture'. Aquarelle sur papier (54 x 71 cm), de vers 1910, présentée à l'exposition Le Cercle de l'art moderne : Collectionneurs d'avant-garde au Havre se déroulant au musée du Luxembourg à Paris du 19 septembre 2012 au 6 janvier 2013. Collection particulière (ancienne collection Georges Dussueil). © Florian Kleinefenn. On remarque l'enfant portant un tableau avec un énorme soleil.
Photographie 3 : Affiche de l'exposition Le cercle de l'art moderne avec une représentation recadrée de l'huile sur toile de Kees Van Dongen intitulée 'La Parisienne de Montmartre' (vers 1907 - 1908). © Affiche Réunion des musées nationaux - Grand Palais / musée du Luxembourg. © Adagp, Paris 2012.
Un cercleux est un homme de la fin du XIXe siècle et du début du XXe qui appartient à un cercle. En France depuis toujours certaines réunions assemblent des personnes à la pointe de la modernité sociale : durant l'Antiquité, le Moyen-Age. Au XVIe siècle des académies et autres réunions de l’intelligentsia de l’époque se forment … puis des salons très fréquents au XVIIIe siècle, et qui continuent pendant tout le XIXe. Les femmes jouent dans tout cela un rôle prépondérant ; celles-ci étant très souvent même à l'origine de ces réunions.
Comme nous l’apprend Louis-Sébastien Mercier (1740-1814) dans Tableau de Paris (1781) les cercles sont importés d’Angleterre dans le dernier tiers du XVIIIe siècle : « Le goût des cercles, inconnu à nos pères, et copié des Anglais, a commencé à se naturaliser à Paris. Dans ces sortes d’assemblées, on s’instruit en s’amusant ; l’histoire, la physique, la poésie, s’y donnent la main : c’est une espèce d’académie composée de personnes de tout état, où le goût de toutes les sciences et de tous les arts y fait un heureux mélange, qui doit contribuer à leurs progrès. » Ces cercles culturels semblent fonctionner avec des abonnés qui assistent à des conférences touchant des domaines variés. Au XVIIIe siècle, le Musée est l’un d’entre eux, ou le Lycée qui se tient près du Palais Royal. La capitale offre toutes sortes de distractions dont raffolent les parisiens des plus frivoles aux plus intellectuelles.
Au XIXe siècle et au début du XXe, appartenir à un cercle prestigieux est une marque d’exclusivité, d’une forme de chic très britannique, l’expression d’une mode mondaine et bourgeoise, d’une certaine classe sociale, celle qui a le temps de se poser sur un moelleux divan tout en y faisant des affaires, de partir en vacances dans une station balnéaire … Le plus fameux des cercles est le Jockey Club. Il est créé par la Société d'encouragement pour l'amélioration des races de chevaux. Y appartenir est une consécration pour certains élégants du boulevard. Mais les places y sont comptées. On y soupe, joue, s’occupe de chevaux, organise des parties fines ... On remarque qu'on ne dit pas ici 'cercle' mais 'club'.
Le clubman (au pluriel 'clubmen') est un habitué des cercles ou clubs du XIXe siècle et du XXe. Le terme même montre l'origine anglaise de la pratique des clubs qui à l'origine réunissent les hommes de la haute société britannique. A la fin du XVIIIe siècle le club (prononcé 'clob') désigne en France « la réunion, les assemblées de plusieurs personnes, à certains jours fixes, pour s'entretenir des affaires publiques » comme on le lit dans le Dictionnaire de l'Académie française de 1798. Pendant la Révolution on désigne ainsi les groupes politiques (club des Cordeliers, club des Jacobins ...). Par la suite cette définition s'élargit aux ressemblements de personnes ayant des intérêts communs.
Il n'est pas certain que la mode des cercles soit importée d'Angleterre comme le dit M. Mercier : tout d'abord parce que le terme est purement français, et ensuite car le fait de se réunir en cercle pour discuter est très ancien en France.
Au XVIIe siècle, le ‘cercle’ désigne la compagnie des princesses et des duchesses assises en rond autour de la Reine, et par extension, tout lieu où cette compagnie (de princesses et de duchesses) se trouve. Ainsi se rendre à un cercle est très chic.
Et puis il y a les cercles des salons où on discourt avec esprit en étant assis en cercle. Certains cercles sont renommés et on cherche à y entrer.
Si le cercle a différentes définitions toutes liées à un certain chic, il en est de même pour le salon. Les salons parisiens invitent des gens en vue (intellectuels, artistiques politiques …). Ce sont des événements mondains dans lesquels peuvent se donner des lectures, concerts, spectacles, bals … où s’exprime le « suprême bon ton ».
Une autre sorte de salon consiste en une exposition très populaire et à la mode à Paris déjà au XVIIIe siècle. Au XIXe, il est chic de faire les expositions et de se montrer dans les grands salons artistiques. Ceux-ci présentent parfois les nouveaux artistes : l’avant-garde du temps dont les protagonistes aiment à se retrouver et forment des mouvements. Diderot au XVIIIe siècle et Baudelaire au XIXe, deux modernes de leur temps, écrivent au sujet de ces salons et des oeuvres qui y sont exposées. Dans Tableau de Paris (1781), Louis-Sébastien Mercier décrit l’exposition qui a lieu tous les deux ans dans le salon carré du Louvre : « Ce salon est peut-être la pièce la plus régulièrement vaste qui existe dans aucun palais de l’Europe. Il n’est ouvert que tous les deux ans. La poésie et la musique n’obtiennent pas un aussi grand nombre d’amateurs ; on y accourt en foule, les flots du peuple, pendant six semaines entières, ne tarissent point du matin au soir […] On y voit des tableaux de dix-huit pieds de long qui montent dans la voûte spacieuse, et des miniatures larges comme le pouce, à hauteur d’appui. »
Dans les cercles et salons les plus réputés sont invités une partie de la modernité et l'intelligence de l'époque. Le musée du Luxembourg de Paris présente un exemple de cercle du 19 septembre 2012 au 6 janvier 2013 dans une exposition intitulée Le Cercle de l'art moderne : Collectionneurs d'avant-garde au Havre. « Le 29 janvier 1906, un groupe de collectionneurs et d’artistes crée au Havre le Cercle de l’art moderne. Parmi eux : Georges Braque, Raoul Dufy, Emile Othon Friesz et quelques-uns des plus importants amateurs d’art havrais de ce début de siècle : Olivier Senn, Charles-Auguste Marande, Pieter van der Velde, Georges Dussueil, Oscar Schmitz, Edouard Lüthy... L’association se fixe comme objectif de promouvoir l’art moderne au Havre. De 1906 à 1910, le Cercle organise des expositions, des cycles de conférences, des soirées poésie et des concerts. Frantz Jourdain, Guillaume Apollinaire, Claude Debussy apportent leur parrainage à l’association, qui affiche d’emblée sa filiation avec le jeune Salon d’Automne. A l’instigation du Cercle, les œuvres des plus grands artistes du moment sont présentées au Havre, notamment lors des quatre expositions annuelles : les « vieux » impressionnistes tels Monet, Renoir..., les néo- impressionnistes mais surtout les jeunes fauves, entraînés par leurs amis Braque, Dufy, Friesz, qui trouvent tous dans cette ville assez proche de Paris, un accueil favorable et un débouché possible à leur production récente ... »
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