
Dans cet article, je suis le plan dialectique thèse-antithèse-synthèse… Vous allez comprendre pourquoi…
La plupart des personnes prennent la politesse dans un sens inverse de ce qui me semble la bonne manière : Ils s’attachent à la forme avant de le faire du fond, et souvent pas du tout du fond. La politesse y perd totalement de sa substance. Autrefois, la politesse juvénile, celle enseignée aux enfants, l’était en même temps que les principes chrétiens, comme la charité ou l’amour du prochain, et d’autres encore plus anciens, que tout être humain peut comprendre, car aux fondamentaux de la vie, et dont même les autres êtres vivants ont la conscience, parfois sans doute davantage que les humains. Sans cette sagesse fondamentale, la politesse n’est qu’une coquille vide.
Pourtant, dans son livre Le Mode français, ou Discours sur les principaux usages de la nation française (Londres, 1786), Jean-François Sobry (1743 – 1820) écrit qu’il existe un adage français très ancien et encore en usage de son temps selon lequel : « La forme emporte le fonds. » Il ajoute qu’il s’agit d’« une de nos lois fondamentales. Elle est à la base la plus générale & la plus solide de la liberté & de la tranquillité publique. » « Rien au monde n’existe que par les formes ; tout est vague, incertain, imparfait sans les détails. » Selon lui, ces détails sont « les seules choses existantes ». Au cas où le fond ait été blessé, il est nécessaire que celui-ci soit sacrifié à la forme, sans quoi ni l’une ni l’autre n’existeraient bientôt plus, d’autant plus qu’un fond parfait reste impossible à obtenir, même si, selon moi, il est indispensable de tendre vers cette perfection. De toutes les façons, cette perfection ne peut être frôlée et transmise sans la forme qui est son soutien, comme l’est la langue. Il donne l’exemple du droit : « Votre droit n’est que la chose particulière : la conservation des formes est la chose générale. Votre fait n’est que votre intérêt du moment : la formalité est votre intérêt de tous les temps. » « De cette loi féconde en résultats heureux, que nous laissons développer au Lecteur, naît surtout la nullité [sans doute au sens juridique du terme] ; la nullité par qui tout ce qui est imparfait & tyrannique est à la fin renversé, qui laisse dans toutes les affaires où l’arbitraire a prévalu, une porte toujours ouverte, par laquelle la raison rentre tôt ou tard victorieuse dans tous ses droits. » Cet amour des Français « pour les formes exactes & pour les procédés convenus » se retrouve aussi « dans les usages » et « dans les mœurs », tant « cette nation est au fonds conséquente & solide, malgré son apparente légèreté. Ce n’est pas assez en France d’avoir de bonnes intentions & de pratiquer le bien, il faut encore le revêtir de formalités qui en rendent la distribution praticable. Et si les formes tempèrent l’austérité de la vertu, aussi mettent-elles un frein aux entreprises du vice ! »
De la mesure est toujours nécessaire. La mesure est le principe même qui tend un mode vers la perfection. Elle soutient la raison et la rend agréable, comme la musique nous en donne un exemple flagrant ; c’est aussi le cas dans tous les autres domaines. Le rythme est la forme même. Il porte le fond (ou le fonds comme l’écrit M. Sobry) ou, bien plus, il est le fond : « l’emporte »… Il nous faut travailler la forme, pour qu’elle soit la plus belle et la plus bonne possible, la plus juste et la plus agréable, pour qu’elle ne soit qu’harmonie.
