
Une grande différence existe entre les plaisirs et les désirs. Les premiers sont dans le moment présent et dans sa délectation, sans regards vers le passé ou le futur, mais entièrement dans l’instant. Nous pouvons être dans le plaisir, voire le bonheur, sans le savoir, ce dont on se rend compte quand celui-ci s’éloigne. C’est dommage. Alors qu’en étant vraiment dans l’instant présent, il ne peut y avoir de regrets.
Saint-Évremond (1614 – 1703), une des figures de l’honnête homme, comme le sont le maréchal de Clerambau (Philippe de Clérambault, comte de Palluau : 1606 – 1665), son ami, et surtout le chevalier de Méré (1607 – 1684), exprimait très bien cela lorsqu’il écrivait Sur les Plaisirs à monsieur le comte d’Olonne : « Il faut jouir des Plaisirs présents, sans intéresser les Voluptés à venir. / Il ne faut pas aussi que l’imagination des Biens souhaités fasse tort à l’usage de ceux qu’on possède. C’est ce qui obligeait les plus Honnêtes-gens de l’Antiquité à faire tant de cas d’une Modération, qu’on pouvait nommer Économie dans les choses désirées ou obtenues. »
Ailleurs, Saint-Évremond offre l’exemple de Pétrone (Petronius Niger : Ier siècle ap. J.-C.), décrit par Tacite comme arbitre du bon goût : « Cet erudito luxu, cet arbiter elegantiarum, est le caractère d’une politesse ingénieuse, fort éloignée des sentiments grossiers d’un vicieux : aussi n’était-il pas si possédé de ses plaisirs, qu’il fût devenu incapable des affaires. » Il partit dans la mort, comme si celle-ci n’était rien.
Le plaisir est comme une personne nue, parfaitement belle, et les désirs comme des détritus que l’on amoncellerait autour d’elle, ce qui est juste stupide et abject. Le plaisir est une partie de la sagesse. Le plaisir suit la sagesse et donc la raison.
« J’ai vescu sans nul pensement,
Me laissant aller doucement
A la bonne loy naturelle,
Et si m’estonne fort pourquoi
La mort osa songer à moi
Qui ne songeay jamais à elle. »
Épitaphe composée pour lui-même par Mathurin Régnier (1573 – 1613).
Photographie ci-dessus: Conversations sur divers sujets par Mademoiselle Scuderi, tome premier, Lyon : Thomas Amaulry, 1680. Ici, il s’agit du début de la conversation intitulée « Des plaisirs » par Madeleine de Scudéry (1607 – 1701).
