Ci-dessus : « Mode de Paris » en 1911.
Une drôlesse est une fille émancipée, gaie, drôle. Elle est généralement jolie, intelligente et plutôt coquette, ce qui fait peur à certains hommes et émoustille d’autres. Il s’agit d’une petite maîtresse des campagnes. En ville les drôlesses sont davantage confondues avec des jeunes femmes faciles voire des prostituées.
Dans le livre Trois roses dans la rue Vivienne (Paris : G. Charpentier, 1877) de l’écrivain boulvardier Gustave Claudin (1823 – 1896), dont je fais rapidement écho dans l’article intitulé Gommeux… toujours…, un passage est consacré aux drôlesses du bois de Boulogne :
« Quant aux demoiselles à l’air tapageur et à l’attitude provocante qu’on voit autour du lac, elles ne forment dans cette constellation que les étoiles de petite grandeur. Plus elles affectent d’être ce qu’elles ne sont pas, plus elles ressemblent à ce qu’elles sont. Elles persistent, on ne sait pourquoi, à passer près des jeunes filles et des femmes honnêtes qui peuvent être les sœurs et les mères des beaux messieurs qui les dispensent de marcher à pied, et qui les font aller au bois en attendant, comme dit M. Barrière, qu’elles aillent à la falourde. Le bois de Boulogne rappelle aux étrangers les jardins d'Armide. Il y de tout dans ce lieu profane, peigné, ratissé, tiré à quatre épingles, et maquillé comme une coquette. Les violettes qui y poussent sentent l'oppopanax [oppopanax chironium : Il s’agit d’un encens, une gomme qui est récoltée sur des arbustes poussant naturellement dans le sud-est de la France et dans des pays plus au sud].
Comment pourrait-il en être autrement ? Ce bois, bien que très-pittoresque, a été, pour ainsi dire, perverti par la mascarade qui s’est installée dans ses bosquets et dans ses allées. Les grandes impures à la mode, celles qu’on a si justement appelées les archi-drôlesses [cette expression viendrait d’Émile Zola mais je ne l’ai pas trouvée dans ses textes], en ont fait leur jardin. C’est là qu’elles viennent se promener, rêver et retrouver ceux qu’elles ne pourraient sans danger voir ailleurs.
Elles se sont établies au pied des chênes, comme saint Louis, non pour y rendre la justice, mais pour y tenir leur cour d’amour, y entendre les soupirs des postulants, et trahir les serments qu’elles ont faits aux naïfs et aux fats qui payent leurs toilettes. Aussi, les oiseaux ont dû quitter les rameaux de ces arbres et céder la place aux effrontées qui viennent y faire le sabbat. Les insectes ont eu le même sort que les oiseaux, et ont déserté, chassés par les cosmétiques violents de ces demoiselles. Les petites fleurs aux modestes parfums se sont flétries, asphyxiées par le musc et les autres ingrédients dont sont toujours si fortement imprégnées les vierges folles qui flânent dans ces parages.
Des botanistes et des naturalistes, qui explorent le bois de Boulogne, ont, en effet, constaté qu’il ne renfermait ni insectes, ni oiseaux, ni plantes simples, et ils ont été unanimes à attribuer ce phénomène aux odeurs et aux parfums que répandent autour d’elles les demoiselles archi-maquillées qui traversent sans cesse les allées de ce bois.
Des lapins tués vers la porte d’Auteuil ont été mis en gibelotte, et, malgré les épices qu’on y avait ajoutées, sentaient très-distinctement l’eau de Lubin. Quant aux poissons et aux cygnes des lacs, ils n’ont pas été plus préservés. Les poissons perdaient leurs écailles, et les cygnes perdaient leurs plumes, après s’être gavés des pâtisseries et des bonbons offerts par les passants à leur voracité. »
Ci-dessus : Carte postale envoyée en 1905, avec pour légende : « TYPE OLÉRONNAIS – As-tu fini, drôle, de teurjoo [toujours] caresser ma drôlesse ». Deux femmes sont habillées à la manière traditionnelle de l’île d’Oléron. La plus vieille, dont le visage est effacé, tient un bâton de ses deux mains. La plus jeune (la drôlesse) est abordée par un prétendant (le drôle).
Ci-dessus : Carte postale signée « C. Lestin » et datée de 1902 (le cachet de La Poste est de 1911) : « Les Amoureux d’chez nous – Belle drôlesse la Cat’line !!… cré mâtin, me semb’ille qu’avec elle i m’pass’rai bé d’une femme !!!... »
Ci-dessus : Carte postale avec un cachet de La Poste au dos de 1911, signée « AJ. » et intitulée « Conseille de Vieille » : « –Attention !. Lé drolêsses, ol é l’printemps ! La sévrr’ bouloune, et lé piniés pinant !… » Je suppose que cela peut se traduire par : « –Attention les drôlesses, c'est le printemps ! La sève monte et les épines de pins piquent ! »… Si vous voyez ce qu'elle veut dire…
La drôlesse fait penser aux drôles de pistolets, sujets sur lesquels j’ai écrit plus d'une vingtaine d'articles dans ce blog.