Autoportrait de Louis-Léopold Boilly (1761 – 1845)
Deux expositions parisiennes nous font actuellement voyager dans des élégances 1800 et 1900.
La première a lieu du 29 mars au 24 juillet 2022 au musée du Petit-Palais. Son titre, Boldini : Les plaisirs et les jours, reprend celui d’un recueil de Marcel Proust (1871 – 1922) publié en 1896.
L’artiste italien Giovanni Boldini ( (1842 – 1931) était un artiste parisien de la Belle Époque (autour de 1900). Je l’ai découvert à travers un portrait d’Henri de Toulouse-Lautrec (voir ici) en gant jaune et comme gant jaune (voir ici ce qu’on appelle un gant jaune) conservé au Norton Simon Museum. J’en ai parlé dans cet article sur Jean-Gabriel Domergue. Ce tableau présente un aspect de la personnalité de Toulouse-Lautrec peu connu. Apprenant qu’il y avait cette exposition, je me suis dit que j’y trouverais d’autres perles d’élégance… surtout sachant que le dandin (terme à prendre dans son sens ancien, en ancien-français, comme origine du mot anglais dandy) Robert de Montesquiou-Fezensac (1855 – 1921) l’avait aussi choisi comme portraitiste. L’exposition exhibe cette peinture, mais pas celle de Toulouse-Lautrec, et je n’ai pas trouvé ce que je pensais y voir. J’en ai conclu que si Boldini a peint avec autant de distinction Toulouse-Lautrec, c’est qu’il s’identifiait sans doute un peu à lui, les deux ayant des caractères physiques communs, comme leur petite taille. On le voit dans la photographie ci-dessous présentée au début de l’exposition : L’artiste s’est mis sur un piédestal pour être à hauteur de ses acolytes.
Cette image est surtout intéressante, il me semble, parce que Boldini y est entouré de masques (personnages de carnaval), ce qui est selon moi le symbole de son œuvre : Une toile de soie posée sur la lumière pour mieux la montrer ; ce qui est peut-être un objectif de l’art, non ? C’est-à-dire montrer ce qui ne se voit pas et qui pourtant est là tout le temps. Ce qui est très visible devient invisible, et c’est sans doute cela que l’on appelle la vulgarité : rendre ou croire invisible le très visible.
Chez Boilly (autre exposition) c’est différent. On est encore en un temps où la couleur est une musique très subtile… où on déchiffre tous les spectres de la lumière, consciencieusement et avec délectation… où on continue à trouver de nouvelles teintes et à leur donner des noms poétiques, où l'on est toujours dans l’authenticité esthétique, artistique et scientifique des Lumières.
Ci-dessous : Les images numérotées proviennent du dossier de presse.
Ce qui m’a plu dans cette exposition c’est la légèreté de l’oeuvre de Boldini, ses touches de peinture ressemblant à des plumes d’oiseau. Une jubilation italienne se mêle à un certain raffinement français. On est dans le masque… la pure représentation de la toile épaisse comme celle d'un manteau. Le plus souvent ce sont les parures qui donnent du relief à la peinture… sa matière : bijoux, dentelles, rubans, froufrous, et autres éléments textiles… Ce caractère fin seulement attaché à l’apparence et sans plus de consistance est particulièrement bien rendu dans les grands portraits en pied, de pastel et sur papier marouflé sur toile. Le pastel donne beaucoup de légèreté à cette ‘grandeur’ qui semble s’envoler… la Belle Époque étant aussi la fin de toute une époque. Les couleurs utilisées sont souvent un mélange de blanc-cassé, gris-bleuté ou marron-chair faisant ressortir de l’arrière-plan la lumière là où l’artiste le souhaite. Cela met aussi en avant les autres couleurs utilisées, comme le bleu du pommeau de la canne de Robert de Montesquiou-Fezensac. La musique de cette peinture se ressent de même dans les mouvements des touches qui tourbillonnent comme le font les papillons, ou jaillissent, avec un mélange de droiture et de sinuosités propre à l’élégance, selon l’expression que j’utilise souvent du negligentia diligens : une décontraction pétillante profondément encrée, une solide délicatesse. À cela s’ajoute une utilisation de contrastes, en particulier un blanc et un noir très purs.
Il est à noter que cette exposition est chère en plein tarif, davantage que celle de Boilly. Les deux ont toutefois une collection permanente somptueuse et gratuite pour tous.
Photographies ci-dessous : Toutes les images des œuvres de Louis-Léopold Boilly proviennent du catalogue électronique de l’exposition. Pour l’anecdote : Maintenant la communication de la plupart des musées publics est laissée à des sociétés privées. J’ai demandé à celle s’occupant du Musée Cognac-Jay de m’envoyer le catalogue papier afin que je fasse un article, leur disant que mon blog traitait beaucoup des incroyables et des merveilleuses dont le peintre avait été un des témoins, mais je n’ai eu le droit qu’au pdf… Je n’ai même pas reçu de réponse pour pouvoir voir l’exposition gratuitement. Je préfère de beaucoup m’adresser à une personne travaillant dans un musée même et s’occupant de sa communication, comme c’était tout le temps le cas avant, car on parlait alors à des gens davantage passionnés et connaisseurs du domaine particulier de leur musée… et un dialogue esthétique pouvait s’établir ; ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
L’exposition sur Louis-Léopold Boilly (1761 – 1845), du Musée Cognac-Jay et intitulée Boilly. Chroniques parisiennes, est d’un autre genre. On y rencontre des caractères, le plus souvent soit grimaçant, soit au contraire à la face doucement dessinée. Les essaims de Parisiens sont le plus souvent en scène avec des projections de lumière paraissant venir d’un studio de cinéma. Il faut dire que jusqu’au XXe siècle, les Parisiens étaient beaucoup dans le jeu des apparences, des sentiments, de l’amour, de la mode… des réflexions multiples et chamarrées… et les petits-maîtres en étaient en partie le résultat. L'exposition contient une partie présentant l'intérêt que Boilly portait à l'actualité scientifique et les innovations techniques à travers des instruments d'optique dont il faisait lui-même la collection. Certaines de ses peintures peuvent même être comparées à des photographies, avec des trompe-l’œil qui sont autant de mises en abîme, comme la merveilleuse huile sur toile en grisaille feignant une gravure de lui-même intitulée Mes Petits soldats (photographie ci-dessous). On a l’impression d’une photographie prise d’une estampe tellement cette huile est réaliste et lisse. Le plus intéressant est l’utilisation des lignes de fuite qui créent une harmonie méditative centrée sur le visage rond de l’enfant du centre aux yeux en lemniscate légèrement penchée faisant penser à une oscillation tout à fait gracieuse qu’essaye de contenir et replacer (activer ou retenir) les deux mains du grand frère afin de faire ressembler cette équipée à un ‘vrai’ petit régiment de soldats français. Il s’ensuit une profonde communication entre ce sujet central et le peintre (le père)… une compréhension intime de cette beauté qui ne se maîtrise pas, tout en se laissant dessinée par l’adulte incarnation de la société… une lumière tout à fait intérieure transmise directement au coeur du spectateur depuis le coeur de l’artiste. Ce dernier conduit vers ce tendre éclat par l’utilisation de tourbillons délicats. Pour envisager cette très fine spirale lumineuse il faut voir de visu cette œuvre, car le trompe l’oeil apporte un plus : la peinture enluminant ce qui est censé être une gravure. La confrontation de ces deux supports crée une confusion dans l’esprit du spectateur ouvrant son esprit vers ces lignes comme autant de rayons de lumière scintillant et tourbillonnant en une très fine musique qui est celle d’une enfance heureuse. Le peintre dévoile ainsi l’âme de ses enfants à travers leurs caractère et gentillesse, et tout l’amour qu’il leur portait et la joie que ceux-ci lui apportaient. Boilly a mis beaucoup d’amour et de tact dans cette représentation… et aussi énormément d’âme et de lumière. Ce regard est un vrai chef d'oeuvre !
L’exposition débute par plusieurs autoportraits de Boilly, dont deux petits peints en buste, où dans l’un il est en muscadin et sur l’autre en sans-culotte (voir ci-dessous). Ils sont datés par le musée de vers 1793. À l’époque de la Révolution, les muscadins ressemblaient souvent à des chats mouillés que l’on martyrise, et leur massacre par Bonaparte sur le parvis de l’église Saint-Roch à Paris le 5 octobre 1795 a marqué leur fin.
Louis-Léopold Boilly, Carle Vernet (1758 – 1836), Horace Vernet (1789 – 1863) son fils, Philibert-Louis Debucourt (1755 – 1832) sont parmi les principaux artistes ayant représenté des merveilleuses et des incroyables. En voici quelques exemples attribués à Boilly ici et ici (par Tresca d’après Boilly) et d'autres ci-dessous exposés par le musé.
La peinture ci-dessous, intitulée La Marche incroyable (vers 1797), présente un mélange en particulier de merveilleux et de sans-culottes.
Ci-dessous un portrait de Guillaume Guillon dit Lethière (1760 – 1832) et Carle Vernet, de vers 1798 (Lille, Palais des Beaux-Arts).
Boilly a aussi peint de très beaux petits portraits dont ceux ci-dessous.
Je pourrais encore beaucoup écrire sur cet artiste, sa peinture faisant penser parfois à celle d'un miniaturiste sur porcelaines ou bien à celle d'un peintre à la Joseph Vernet (1714 – 1789), conservant certains aspects de ce qui la précédait tout en étant dans la modernité de son époque...
Photographie ci-dessous que j’ai prise au café du Petit-Palais qui se trouve dans un très gracieux jardin rempli d’euphorbes au vert tendre. Invité surprise à la table de deux jeunes hommes.