Nous sommes en pleine saison de la cueillette des pommes ! J’adore ce fruit, le meilleur qui soit, selon moi ! Dans la ‘chanson’ que je présente ici, et que m'a faite découvrir M. Jacques-Auguste Perroud, les pommes sont plutôt des poires. Si les paroles ne sont pas très aimables envers nos petits-maîtres, elles nous apportent des informations sur eux. Un nouveau témoignage intéressant sur les gandins des années 1870 !
Les Pommes à deux sous le tas est une « satire humoristique créée par Mr Victorin à l’Eldorado, Mr A. Doucé au G[ran]d C[oncer]t Parisien et Mr E. Bienfait au Bataclan ». Les paroles sont de A. Vilarfranc & Doucé, et la musique de A. Massagé. Je ne sais pas ce qui est entendu par « satire humoristique », mais remarque qu’ici les parties parlées sont bien plus longues que celles chantées. Cela ressemble à ‘une chanson opérette’.
Cette partition est de 1876, et l’illustration signée par Edward Ancourt (1841 – après 1898, voir d’autres illustrations de partitions de cet artiste dans cet article).
Donc, les parties chantées sont entrecoupées d’autres, longues et parlées. On y trouve une critique des petits-crevés, « beaux-mignons », gommeux, cocottes, biches et daims de l’époque.
Voici les extraits qui les concernent :
« […] quand je vois ce défilé de petits crevés qui nous tirent des carottes pour la plus grande gloire des hétaïres… quand je contemple ces beaux Mignons qui n’ont pas le moindre picaillon : ah ! Nom de nom ! Foi de Siméon, je m’écrie furibond : ! – La Société quel chausson bath aux pommes ! c’est malheureux qu’il y ait des pruneaux dedans : – … Oui, des pruneaux… Vous riez… eh bien ! Attendez… – Qu’est-que-c’est que le pruneau ? Le pruneau est un fruit qui a changé de sexe pour les besoins de la médecine ; et qui, ratatiné, parcheminé, n’ayant plus que la peau et le noyau se vend au kilo : – Pas vrai Antonio. Eh bien regardez ce jeune gommeux, avec son air serin, sa mine de pierrot, son habit d’arlequin, ses pieds d’éléphant, et sa voix de Polichinelle ; et dites-moi si ce pantin-là n’est pas le pruneau de la Société !… Ah ! Malheur ! Quand j’en rencontre un sur le boulevard, il n’y a pas… il faut que je le déshabille moralement au contentement des passants. – Vieillard de vingt ans, au dos voûté, l’œil éteint, et la lèvre pendante… Ça a vendu l’armure de ses aïeux pour acheter des gants aux drôlesses. C’est idiot… mais bien costumé… 1000 francs d’étoffe sur le corps… la boutique d’un perruquier sur le crâne… un chignon à la place du cœur… et la peau d’un singe sur le dos !… Qui veut des Athéniens de la décadence ?… / À deux sous, deux sous l’tas ! / Enl’vez-moi ces imbéciles ! / Qui veut des Inutiles ? & & / […] Oh ! La Cocotte ! Parlons-en de la Cocotte !… D’abord qu’est-ce que la Cocotte ? Si j’ouvre le Dictionnaire, je lis : – COCOTTE = Récipient en fonte dans lequel on fait cuire les pommes de terre et qui, sous les dehors d’une gravure de modes, attend des personnes qu’Elle ne connaît pas ; Elle est aussi nommée Biche, parce qu’Elle passe sa vie avec des daims, n’a pas sa pareille pour draper un cachemire sur le buste de l’immoralité et ne passe sa vie qu’à s’habiller et à… fumer des cigarettes en buvant des bocks sur l’air du tra la la ! – Et pourtant y a des pères de famille qui, guidés par la Muse verte [l’absinthe], abandonnent foyer, femme, enfants &, s’en vont noyer leur honneur dans le sillon bourbeux de ces sirènes infernales !… […] »
Je le répète, critiquer les petits-maîtres est une constante. Pourtant il ne s’agit que de mouvements de jeunes modernes, inventifs et libres. Cette liberté même désarçonne une grande partie de la population plus âgée, quand une autre part s’en sert pour afficher des mœurs décriées. Au final, la plupart de ces mouvements deviennent la mode du jour.