L’increvable de 1895

Merveilleuses et merveilleux

La vélocipédie de la fin du XIXe siècle est à l'origine de ceux que l’on appelle autour de 1895 les « increvables » : des aficionados de la mode de la bicyclette, nom faisant aussi référence aux petits-crevés. Cet engouement donne lieu à de nouvelles pratiques, des vêtements nouveaux (comme le pantalon bouffant pour dames), des redoutes (endroits publics où l’on s’assemble pour faire la fête, jouer, danser…) où crevettes et crevants (très amusants) petits-crevés se rassemblent pour s’amuser, etc. La bicyclette est en particulier très appréciée par les citadins qui se rendent à la campagne. Elle est dans le prolongement du goût pour les bals de barrières, les guinguettes, le canotage, etc. Voir les articles intitulés Le canotier et la canotière, Le baigneur, la baigneuse et le ohé! ohé!, Parisiens en Seine d'hier à aujourd'hui à la Maison de BalzacPaysages, du romantisme à l’impressionnisme, les environs de Paris et Le Canotage en Seine de Maupassant à Mistinguett.

Une « société des increvables » est créée. Elle est  à l'origine du « bal des increvables ». Dans la revue La Dépêche du 9 mars 1895, on lit : « La fête donnée hier soir au Moulin-Rouge par la société des “increvables” au profit de la caisse de secours de l’Association des artistes dramatiques a obtenu le plus grand succès. La caractéristique de cette fête vélocipédique était qu’on ne pouvait y être admis qu’en tenue de cycliste plus ou moins fantaisiste. Quelques habits noirs avaient pu, cependant, s’y glisser. Du côté des dames, nombre de costumes étaient d’une élégance rare et d’un goût exquis. […] les applaudissements manuels étaient rigoureusement défendus ; ils ont été remplacés, pendant toute la soirée, par des sonneries de grelots que les “increvables” secouaient avec rage. »

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La revue La Parisienne du 16 mars 1895 décrit la même fête ainsi : « La redoute des Increvables a été, comme il fallait s’y attendre, une joyeuse nuitée. Affluence de jolies femmes et de crevants petits crevés, quelques… androgynes. […] On a beaucoup ri, beaucoup bu, beaucoup dansé et… beaucoup aimé ! »

Voir cet autre article : La vélocipedomanie.

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Ci-dessus : Illustrations de Le Journal du 30 octobre1895.

Ci-dessous : La revue La Bicyclette du 15 mars 1895, fait un long compte-rendu de cette redoute organisée le 7 mars au Moulin-Rouge et intitulée « Bal des Increvables ». Elle comprenait des représentations, un concours de costumes de mode cycliste, une tombola et bien sûr le bal.

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Ci-dessous : Une photographie de vers 1900.

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Ci-dessous : Illustrations du livre de Gyp (1849 – 1932) Les Gens chics (1895).

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T
Les Françaises à la traîne... selon le bon Dr Francis Heckel (Le Cyclisme, ouvrage collectif, Sports-Bibliothèque, Pierre Lafitte & Cie, 1912 ; sorti pour l'occasion de la "bibliothèque cycliste" de mon père, que j'ai sous la main) :<br /> <br /> "Contrairement aux Anglaises et aux Américaines, les Françaises n'aiment point aller à bicyclette, seules ou avec d'autres femmes, sur les routes, et la nécessité où elles sont de se faire accompagner par leur frère ou leur mari, la lenteur avec laquelle elles marchent en général, font que ceux-ci sont des compagnons rares et peu empressés. [...] Il est encore très remarquable que presque toutes les femmes montent, en France au moins, dans des tenues absolument incommodes, et qui ne leur permettent pas d'utiliser complètement les petites forces de leurs faibles jambes."<br /> <br /> Évidemment à Paris ce devait être différent, la bicyclette étant devenue un accessoire de mode bien compris, petit chat nargueur dans la poche arrière !
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L
Les petits-maîtres ne sont jamais une majorité. Ils sont généralement en avance sur leur époque, et leurs pratiques mettent parfois du temps avant d'être imitées par la plupart et devenir à la mode. D'autres fois c'est tellement rapide que l'on a du mal à distinguer les vrais des faux petits-maîtres : les originaux des copies.<br /> En 1895, date du bal des increvables, la bicyclette est surtout une pratique masculine. Du reste le noyau dur du cercle des increvables à l'origine de cette fête n'est composé que d'hommes. La mode du pantalon chez les femmes n'est pas encore d'actualité, même si des petites maîtresses le mettent déjà pour faire de la bicyclette en cette fin du XIXe siècle où l'on porte le corset, le faux-cul et encore un peu le style tapissier. En 1912, date de l'ouvrage que vous citez, le pantalon (ou plutôt la jupe-pantalon) est la nouvelle mode féminine, mais reste une exception. On porte aussi des jupes entravées qui n'aident bien sûr pas à marcher et encore moins à faire de la bicyclette. Il faut attendre la première guerre mondiale et la contribution féminine à l'effort de guerre, avec des femmes reprenant les travaux des hommes partis au front, pour qu'une démocratisation des pratiques se fasse, ce qui donne au sortir de la guerre à des années de grande émancipation féminine. Votre référence fait aussi écho au mouvement hygiéniste qui, depuis la fin du XVIIIe siècle, a une influence croissante. Il est en particulier porté par certains médecins qui encouragent à ne plus faire usage du corset et d'habits contraignant trop le corps et les mouvements.<br /> Ma chère Tiiphaine, j'espère que vous passez un bel été, et vous remercie pour votre contribution qui donne un peu de vie et d'écho à ce blog.
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