Plusieurs philosophes niaient l’existence du mouvement, comme Parménide, Diodore Cronos, Mélissos ou Zenon d’Elée. Il y aurait une succession de moments, le mouvement n’étant nulle part, ne pouvant être trouvé. On pourrait même dire que non seulement il n’y a pas de mouvement, mais pas non plus une succession de moments, mais un seul moment de toute éternité. Quand j’écris cela, il me semble que je bouge… Est-ce une illusion ? Quoi qu’il en soit, un objectif louable est de chercher les rythmes les meilleurs par rapport à notre condition d’être humain. Les hommes étant aussi tous différents, la mesure de l’excellence est sans doute celle de soi-même, et on n’a rien à imposer à quiconque. Cependant, le vivre ensemble constitue une danse dont il est préférable qu’elle ne nous incite pas à nous marcher sur les pieds les uns sur les autres, mais à vivre le plus harmonieusement possible ensemble. Tout semble remuer, en constant mouvement. Même la pierre bouge, beaucoup moins rapidement que l’escargot certes, mais elle est mue et se transforme, naissant et mourant… La société actuelle est même dans une frénésie du mouvement. Les rythmes qui la constituent sont multiples, et dans quelques articles je vais évoquer ce que l’on appelle à partir de la fin des années 1970 « les mouvements de mode » durant tout le XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, rythmes populaires demandant peu de moyens, peu de connaissances, peu de dextérité, peu de goût, mais de l’imagination, de l’inventivité et de la fantaisie, ce qui est déjà bien. On est dans une culture populaire : « pop », non pas portée par des maîtres en une matière, comme peuvent l’être les philosophes, les grands compositeurs, les grands interprètes… mais par chaque personne qui la suit et la réinvente constamment.
Dans les années 1980, en France, il me semble que la seule chose vraiment appréciable était l’insouciance sexuelle que l’on pouvait encore avoir. L’hétérosexualité était alors un jeu d’autant plus anodin que depuis 1967 la pilule contraceptive permettait d’éviter la grossesse. Cependant, ces années virent aussi l’apparition du SIDA qui fit progressivement s’écrouler l’insouciance sexuelle surtout apanage des années 70. Pour le reste, c’était les années Mitterrand, président qui, sous des dehors socialistes travaillait pour la mondialisation effrénée et ses yuppies, pendant que d’un autre côté il inventait l’austérité pour les Français... politique qui n'a plus cessé depuis... s'empirant même...
La France devenait définitivement fracturée. Seuls certains milieux arrivaient à vraiment faire la fête et à être inventifs, comme les branchés du Palace et des Bains douches, endroits dans lesquels on retrouvait mannequins, acteurs, publicitaires et autres créateurs répandant une esthétique à la Jean-Paul Goude (né en 1940) ou Jean-Baptiste Mondino (né en 1949). Si on parlait encore du noctambule, celui-ci disparut progressivement après la fin des anciennes Halles de Paris, déménagées à Rungis en 1969, et qui offraient de quoi se sustenter toute la nuit et jusqu'au petit matin, avec notamment des bistrots comme Le Père tranquille, toujours présent. Les anciens et peu nombreux punks, souvent des 'privilégiés' ayant les loisirs de se rendre régulièrement à Londres, étaient devenus new waves et branchés. Les jet-setteurs et autres baroudeurs new ages parcouraient les fêtes du monde de Goa à Ibiza, suivis par des flopées de touristes. La revue Actuel parlait de « village global » et le monde semblait être devenu tout petit et de plus en plus oppressant pour ceux ayant un minimum de conscience morale et intellectuelle ; coincés dans l’austérité mitterrandienne.
Au niveau musical, en France il n'y avait vraiment pas grand chose. L’apparition des Beruriers noirs et de leurs amis (voir ici) fut un bol d’air frais, réhabilitant la folie carnavalesque et fêtarde française. Mais ce ne fut qu’une sorte d’étoile filante qui ne toucha finalement que peu de jeunes. On parlait alors de « milieu alternatif ».
Le rap français était assez riche, avec de nombreux breakdancers (aux États-Unis certains se faisaient appelés « schtroumpfs » parce qu'en survêtement bleu et portant une sorte de haut bonnet) et groupes. L’énergie était là, cependant cantonnée surtout aux banlieues qui faisaient alors des rêves américains. Ces exemples montrent que la jeunesse française était surtout focalisée sur ce qui se passait Outre-Manche et Outre-Atlantique, et c’était le cas pour la plus grande partie du reste des mouvements, comme avec les gothiques, la house music, les pirates new romantics, les funs, etc. On employait alors l’expression « mouvements de mode », vulgarisée par le livre Les Mouvements de mode expliqués aux parents de Hector Obalk, Alexandre Pasche et Alain Soral, paru en 1984 (voir ci-dessous quelques pages de cet ouvrage consacrées au new wave).
Quelques fanzines existaient, et j’en ai créés plusieurs, surtout intéressés par ce que l’on appelait « la musique industrielle », pas très rigolote non plus, mais jouant avec des sons vraiment contemporains, dans un monde dominé par la technologie.
Dans le nord de la France, la Belgique, l’Allemagne… le mouvement de musique industrielle qui jouait avec des sons contemporains d’un monde dominé par la technologie, était assez prononcé et donna notamment l’Electronic body music (EBM), avec des groupes comme Front 242. Selon moi, ce fut le mouvement le plus intéressant des années 1980 en Europe, Angleterre exceptée bien sûr.
Pour le reste en France, parmi les journalistes ceux qui se distinguaient le plus dans le domaine des mouvements de mode travaillaient pour la revue Actuel, avec quelques-uns pour le journal Libération. Actuel lança le mouvement Sono mondial, qui était très festif et se cantonnait surtout autour du siège de Nova Press (Actuel, Radio Nova…) dans les rues de Lappe et de la Roquette dans le XIe arrondissement de Paris. Parmi cette sono mondiale se distinguaient largement les sapeurs, la SAPE (Société des ambianceurs et des personnes élégantes), issue du Congo, étant un des mouvements les plus originaux des années 1980 à Paris, et surtout particulièrement en phase avec l’esprit « petits-maîtres »… et j’en parle dans mes livres.
Toujours dans l’esprit « petits-maîtres », mais cette fois plus ‘bourgeois’, il y avait bien sûr les Versaillais et les BCBG dont le nom de ces derniers en dit long sur la parenté avec le bon genre et le chic de l’Ancien Régime. Parmi les autres endroits qui bougeaient, citons le festival des Transmusicales à Rennes. À évoquer, tout cela semble beaucoup, mais n’était vraiment pas grand-chose. Par contre, à Londres cela bougeait vraiment bien.
Se promener dans certaines rues de Londres du début des années 1980 était magique, comme à King's Road, à Soho ou à Camden Town. On y croisait les apparences les plus merveilleuses et extraordinaires : des punks, des new-waves, des gothics, des funs, des skinheads (voir ici), des skas, des rockabillys, des psychobillys, des mods revival (voir ci-dessous), des pirates new romantics (voir ici), etc. Le swinging London était toujours là. L’art se faisait véritablement dans la rue.
Ces mouvements étaient portés par de nombreux lieux de concerts, clubs, pubs (où l’on jouait de la musique), labels, boutiques, revues comme le New Musical Express (NME), émissions (de TV, radio), de fanzines, etc. C’était d’autant plus époustouflant qu’il y avait encore un grand contraste entre ces jeunes et une société anglaise ayant toujours un certain type aristocratique vieille Angleterre… pas encore broyé dans l’uniformisation mondialisée.
Aux États-Unis d'anciens hippies étaient devenus new-ages, et l'Acid house débutait, se répandant en Angleterre puis dans toute l'Europe à travers les rave-parties et une musique électronique ou techno pleine de ramifications. Avec cela il faut ajouter les rastas, toujours d'actualité. Les punks devenaient anarcho-punks, punks no wave, punks not dead, punks harcore, punks alternatifs, postive punks, crusts ou d-beat. Le hard-rock des années 1970 se poursuivait aussi, se mélangeant parfois au punk, dorénavant davantage 'metal', avec le metal extrême, le speed metal, le trash metal ou le grindcore.
Ci-dessous : Extraits du film de 2002 24 Hour Party People, réalisé par Michael Winterbottom et évoquant le punk, la new wave et les débuts du mouvement techno avec The Haçienda et le label Factory Records à Manchester. Le film en entier est visible ici.
En France, la mode vestimentaire ne suivait pas les mêmes règles, celles-ci étant dorénavant surtout dictées, non plus par la rue comme encore en Angleterre, mais par les grands couturiers, eux-mêmes disparaissant au profit de l’industrie du prêt-à-porter. Malgré cette hégémonie du prêt-à-porter, l’Angleterre s’en sortait encore, les jeunes inventant à partir de rien, comme pour les punks, les skins et les funs aux coiffures colorées ; s’habillant en partie dans les marchés aux puces de Camden town, comme pour les mods, les goths ou les skas, et approvisionnés par de nombreuses petites boutiques spécialisées et créateurs patentés de vêtements, coiffures et autres falbalas très imaginatifs.
Les mouvements de mode anglais étaient alors vraiment en relation avec la mode au sens large et ses rythmes. Même les punks, qui étaient une sorte d’anti-thèse de la mode, sont nés en grande partie dans l’imagination d’une styliste (Vivienne Westwood née en 1941, sur son évolution voir ici et ici) et de son compagnon Malcolm McLaren (1946 – 2010), gérants de la fameuse boutique de fringues (je rappelle que ce mot est très ancien), prénommée « SEX » et située au 430 Kings Road à Londres.
La vidéo ci-dessus met en avant l’idée de pose. C’est un élément important de la mode, et j’en parle ici et ici, et d’une manière générale de l’art, qui en quelque sorte fige le mouvement ou le sublime. Il s’agit de prendre une attitude, et en même temps de se poser, de se reposer en elle, de faire une pause, d’une suspension dans le temps, d’un intervalle. Les deux mots viennent eu latin pausare (faire une pause, cesser, faire une trêve…), confondu pour le premier aussi avec le verbe ponere (poser, placer, mettre…).
Ce n’est qu’à partir des mouvances techno et grunge des années 1990 que la mode vestimentaire fut vraiment conspuée. Cependant le style de ces mouvements devint rapidement à la mode dans le monde entier : le ‘sans-style’. Si Jean-Paul Gaultier (né en 1952) a initié ce genre, il a été repris par la plupart des ‘grands couturiers’, et par la grande distribution, le prêt-à-porter s’accommodant particulièrement bien d’une mode contre la mode lui permettant d’écouler ses habits uniformisés et synthétiques. Dans les années 2000, les gens se sont mis à parader sur Internet et en particulier dans des réseaux sociaux, comme Myspace créé en 2003, originellement dédié à la musique et aux styles dérivés.
Ci-dessous une vidéo de Too Shy, datant de 1983, de Kajagoogoo, un groupe dans la mouvance de Duran Duran ou Banarama, c'est à dire d'un style plutôt new romantic et fun, deux tendances assez pops (surtout la seconde) de la new wave des années 80. Cette vidéo met en scène un voyage dans le XXe siècle au milieu des danseurs d'un club londonien, depuis l'après guerre (1945), jusqu'aux new waves en passant par les hippies psychédéliques. Il manque beaucoup d'autres styles bien sûr, comme les teddy boys, mods, glam rockers, punks... durant ces quarante années l'Angleterre étant très riche de nouveaux courants.
Aujourd’hui la plupart des personnes vivent à travers les réseaux sociaux, tellement que la réalité même s’efface derrière une pensée marchande unique et une hypnose collective numérique. Quelques néo-babas alternatifs résistent cependant et l’utopie politique est toujours d’actualité. Il est évident que plus rien ne se joue sur Internet, pas même dans les cercles prestigieux qui ‘gouvernent le monde’, mais que tout se joue dans notre coeur, en nous. Nous sommes ce que nous voyons dans le miroir de l'avenir !
« Everybody wants to rule the world ». Tout le monde veut gérer le monde mais peu sont capables de se gérer eux-mêmes.
En conclusion de cet article, malgré la ‘popéristion’ (du mot « pop ») industrielle, marchande et financière mondialisée, l’Angleterre du tout début des années 1980 était un bastion de la mode dans le vrai sens du terme : une invention populaire (au sens large regroupant toutes les classes de la société), festive et merveilleuse.