Si les noms de « merveilleux » et « merveilleuses » sont utilisés bien avant le Directoire (1795 – 1799) pour désigner des jeunes gens extravagants, ceux de la Révolution française marquent véritablement les esprits, car les ‘derniers’ représentants de la mode de l’Ancien Régime, avec ses petits-maîtres musqués, grasseyant, fauchant le persil, marchant sur la pointe des pieds, galants, colorés, excentriques et novateurs. Depuis cette période, incroyables et merveilleuses n’ont cessé de réapparaître dans l'imaginaire collectif.
Tout d’abord on les représente sur de nombreuses estampes d’époque Directoire – Premier Empire, dont beaucoup venant de ma collection sont reproduites dans mes livres et ce blog, mais aussi ailleurs.
L’incroyable et la merveilleuse deviennent des personnages (masques) présents à presque tous les bals masqués du XIXe siècle, et continuent de l'être un peu dans la première moitié du XXe.
Ci-dessous : Détail d'une image provenant d'une revue du XIXe siècle. L'illustration est intitulée « Bal à l'Opéra ». La jeune femme de gauche porte un costume d'incroyable.
On les retrouve dans des pièces de théâtre, en particulier autour de l’univers du personnage de Madame Angot, une femme du peuple devenue riche du fait des évènements révolutionnaires. Antoine-François Ève, aussi appelé « Ève Demaillot » (1747 – 1814) écrit plusieurs pièces de théâtre la mettant en scène, dès 1797, avec cette année Madame Angot, ou la Poissarde parvenue, puis Le Mariage de Nanon, ou la Suite de Madame Angot. En 1799, il publie Le Repentir de Madame Angot, ou Le mariage de Nicolas, et en 1803 Les Dernières folies de Madame Angot. Il est largement imité, et son personnage devient le sujet de plusieurs pièces, chansons… pendant tout le XIXe siècle. Par exemple, Charles Lecocq (1832 – 1918) compose en 1872 une opérette intitulée La Fille de madame Angot.
En 1873, la pièce de Victorien Sardou (1831 – 1908), Les Merveilleuses, a beaucoup de succès. Elle est même traduite et notamment jouée en Angleterre où, là aussi, elle acquiert une certaine notoriété. On retrouve notamment les costumes de merveilleuses et d’incroyables tirés de la pièce de Victorien Sardou dans l’ouvrage Costumes du Directoire (1875) comprenant trente eaux-fortes de A. Guillaumot fils (d’après des dessins de « MM. Eigène Lacoste et Draner »).
Voir sur ces sujets un ancien article que j’ai écrit : Représentations d’incroyables et de merveilleuses aux XIXe et début XXe siècles.
Ci-dessous : Photographies cartes postales, de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe, d'acteurs jouant un incroyable de la pièce Les Merveilleuses de Victorien Sardou. Le premier est Félix Galipaux (1860 – 1931) et le second Charles Prince (1872 – 1933). Je ne sais pas si ceux-ci jouent dans une représentation tardive de la pièce ou se mettent seulement dans la peau d'un des personnages pour la photographie, mais Félix Galipaux, en 1893, est un des comédiens de la pièce de Victorien Sardou et Emile Moreau intitulée Madame Sans-Gêne.
Ci-dessous : « L'incroyable danseur ou le Cothurne-Grelots Rondeau Chanté et dansé par Mr Pichat à la Scala ». Partition de vers la fin du XIXe siècle.
Certains personnages du XIXe siècle font aussi penser à l’incroyable, comme Cadet Rousselle, ci-dessous représenté dans une image d’Épinal.
Ci-dessous : Petit bouton du XIXe siècle ou de la première moitié du XXe. Les incroyables, eux, comme les merveilleux en général des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, en portent d'énormes.
Le début du XXe siècle français redécouvre les merveilleuses et s’inspire de leur liberté : robes diaphanes, abandon du corset… Des revues de mode reprennent des titres empruntés à l’époque des merveilleux que l’on représente beaucoup (estampes, statuettes, etc.).
Photographies ci-dessous : Article de la revue Les Annales politiques et littéraires du 18 janvier 1914, avec un article sur les merveilleuses et les incroyables. « La Mode de 1797. La Mode de 1914. »
Durant l'entre-deux-guerres, on continue de publier de nombreuses images de merveilleuses et d'incroyables et de créer des statuettes en céramique les représentant.
Certaines de ces représentations peuvent sembler parfois un peu mièvres, comme ces peintures sur assiettes ci-dessous.
Ci-dessous : En 1972, est édité un timbre sur le sujet des incroyables et des merveilleuses.
En 1979 – 1981, Malcolm McLaren (1946 – 2010, créateur des Sex Pistols) et sa compagne couturière Vivienne Westwood (on peut voir de ses créations dans cet article du blog et celui-ci), tous deux gérants de la boutique londonienne SEX située sur Kings Road, lancent la mode Pirate et Nouveaux romantiques. D’après Laurent Manet, « la boutique Sex était renommée World's End pendant la période pirate, et pour l’anecdote le plancher était penché comme dans un navire, très pratique avec des talons, et la grosse horloge de la façade tournait à l'envers. » Cette boutique est toujours en place, et Vivienne Westwood toujours active, cette fois en prophétesse (voir ici, son blog ici, le site de sa boutique ici et des images du lieu ici). Dans les années 1980, le post-punk est à l’origine d’une impressionnante quantité de tendances particulièrement imaginatives, avec notamment la new-wave (Joy Division, Gary Numan, les Allemands Kraftwerk, Simple Minds…) proprement dite, dont d'autres mouvements peuvent aussi se revendiquer : Gothic avec des groupes comme The Cure, Fun (Banarama, Duran Duran ou Kajagoogoo…,), Pirate (Adam and the Ants…), New Romantic (Visage, Spandau Ballet…), Ska (Madness…), Rockabilly (The Stray Cats…), Industriel (les Allemands Einstürzende Neubauten…), Electronic Body Music (les Belges Front 242…), etc., etc., etc., le tout naviguant entre l’expérimental, la pop (commercial), le ludique, etc., etc., etc., aidé par une émulsion portée par des revues comme The Face ou New Musical Express et des fanzines, des maisons de disque, des journalistes de TV, des lieux (boîtes de nuit, pubs, salles de concert…) et une philosophie britannique teintée d’un humour tout particulier mélangé à de la fantaisie et un certain goût pour l’élégance, le style et le rythme… qui par la suite ont disparu dans la mondialisation broyeuse invétérée de particularités. Au début des années 1980, on retrouve toutes ces modes dans les rues de Londres, et surtout dans certains quartiers (Kings Road, centre de Londres, Camden Town…), un foisonnement coloré et d’une grande inventivité.
Ci-dessous : Pages d’un article, intitulé « La mode pirate débarque », de la revue Actuel (n°18) d’avril 1981.
Ci-dessous : Photographie d’Adam and the Ants en concert, groupe particulièrement actif de 1977 à 1982, ayant sorti un sixième album en 2013. La tenue du chanteur reprend des clichés de l’incroyable du Directoire et du Premier Empire. La musique de ce groupe n'étant pas très originale, celui-ci n'a pas eu beaucoup de succès au niveau mondial, alors que d'autres, dans la mouvance new romantic ou fun qui s'apparentent par certains traits au mouvement pirate, ont beaucoup plus marqués.
Ci-dessous : Adam and the Ants, biographie par Chris Welch (A Star book, 1981).
En 1984, le grand couturier, John Galliano (né en 1960), se fait connaître avec son défilé de fin d’études intitulé Les Incroyables, où il présente sa réactualisation d’habits de merveilleuses et d’incroyables.
Ci-dessous : Figurine d’un incroyable muscadin par Laurent ex Laurent (2018), dans un style post-punk français. Non seulement Laurent fabrique des figurines très rock'n'roll, mais il peut aussi en faire sur demande, par exemple de vous en rockeur, zazou, incroyable ou comme vous êtes, pour seulement 100 EUR.
Ci-dessous : Images d’incroyables d'époque fin XVIIIe siècle.