Résultat pour “le grand renoncement”

Le classique

OeuvredeGuezdeBalzacpagedetitrefrontispiceA300lmPhotographie : Frontispice de Les Oeuvres diverses du Sieur de Balzac (seconde édition, paris, P. Rocolet, 1646) représentant Jean-Louis Guez de Balzac (1594 - 1654) avec au dessous : « C'est ce divin parleur, dont le fameux mérite / A trouvé chez les Rois plus d'honneur que d'appui. / Bien que depuis vingt ans tout le monde l'imite, / Il n'est point de mortel qui parle comme lui. MAINARD ».

Le classique fait appel à des valeurs qu’il puise dans l’Antiquité. Le classicisme est un mouvement littéraire et artistique de la seconde moitié du XVIIe siècle qui n’est appelé ainsi que bien plus tard. Il se fonde sur un idéal de perfection, des valeurs d’excellence qui s’incarnent dans l’honnête homme. Ce mouvement est suivi par celui des modernes (voir l'article La Modernité : les Anciens et les Modernes) puis des Lumières (voir définition du cacouac). Les premiers ne veulent plus prendre pour modèle seulement les anciens (grecs et romains), mais prônent la prééminence des temps modernes. Les seconds placent les sciences et le progrès au dessus de tout.

Le classicisme recherche l’excellence dans l’imitation et le respect des classiques antiques tout en ayant sa spécificité exemplaire. C’est un art de la perfection et du bon goût, de la mesure et de la raison, dont la peinture et la littérature entre autres nous offrent des exemples flamboyants. Il vise l’harmonie, les rythmes les plus subtiles, tout en défendant le naturel … un équilibre parfaitement jouissif.
Ce mouvement trouve son aboutissement dans les années 1660-1680, mais a une origine antérieure. Les influences sont multiples. Citons d'abord celle des premières précieuses dont les salons contribuent à véhiculer le Grand Esprit Français. C’est en voulant les imiter, ainsi que d’autres académies comme la Société florimontane (fondée par Honoré d’Urfé, François de Sales, Antoine Favre et Claude Favre de Vaugelas) …, qu’Armand Jean du Plessis de Richelieu (1585-1642) crée le cercle très masculin de l’Académie française. Les premiers classiques sont des hommes qui fréquentent assidûment l’Hôtel de Rambouillet (voir Les Précieuses et les femmes de lettres). Les premières précieuses ne laissent que peu d’écrits et officient en toute clarté mais dans l’ombre de leur condition féminine honorée, voir adulée, mais sans statut artistique, littéraire ou politique. Ce sont donc des hommes qui rédigent sur les règles du bien parler et du bien écrire, qui sont une des bases de l’élégance, tels Vaugelas (Claude Favre baron de Pérouges et seigneur de Vaugelas : 1585-1650), Jean-Louis Guez de Balzac (1597-1654) ou Dominique Bouhours (1628-1702) … François Hédelin abbé d’Aubignac et de Maymac (1604-1676) édifie avec quelques autres les normes du théâtre classique. Certains rédigent les règles de l’éloquence une autre science de l’élégance. Pierre Corneille (1606-1684), Jean Racine (1639-1699), Molière (Jean-Baptiste Poquelin : 1622-1673), Jean de La Fontaine (1621-1695), Nicolas Boileau (1636-1711), Marie-Madeleine Pioche de la Vergne comtesse de La Fayette (1634-1693) et quelques autres composent des pièces, des romans et différents écrits qui sont des références de la poétique classique.

Les rythmes de l’élégance ne sont pas anodins. Ils sont le résultat d’une intelligence poétique ; d'une connaissance innée de la mesure s’exprimant dans une grâce dont le terrain de jeu est le moment présent et sa parfaite jouissance. L’Excellence française du XVIIe siècle l’exprime comme l’Esprit des Lumières du siècle suivant, la Renaissance de celui précédent, la fin’Amor du bas Moyen-âge ou l’Art français (francigenum opus) du XIIe siècle.

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L'artiste bohème

bohemien300lmPhotographie 1 : Illustration du chapitre intitulé : « Histoire d’un propriétaire à poigne et d’un locataire timoré » de La Vie élégante (tome second, 1883).
Photographie 2 : « Un ménage d'artiste », Tableau de Paris (1853) d’Edmond Texier.
Photographie 3 et 4 : Eau forte signée « 1839 Célestin Nanteuil » de 20,8 x 27,1 cm (dimensions de la feuille) et intitulée « Amoroso » de l'italien  « Amoureux », terme utilisé en français, en musique, pour signifier : « tendrement, amoureusement ». Cette image provient de la revue hebdomadaire L’Artiste publiée de 1831 à 1904. Le magazine y présente des textes et des illustrations dont quelques-unes en pleine-page sans texte au dos, comme celle-ci. Célestin Nanteuil (1813-1873) est un artiste faisant partie des « jeune France » romantiques. Il fréquente Victor Hugo, Alexandre Dumas, Théophile Gautier et semblerait être proche de Gérard de Nerval. Il participe en 1830 à la bataille (théâtrale) d'Hernani.
tableaudeparisTexierUnMenagedArtiste300lmLa vie de bohème n’est pas une vie élégante, mais elle est parfois celle d’élégants dans l’âme mais sans argent. Aux XIXe et XXe siècles elle est celle de certains artistes qui habitent sous les toits de Paris, tout près du ciel, des étoiles et de la lune enchanteresse. Ils sont parfois étudiants des beaux-arts, écrivains et habitants de Saint-Germain-des-prés ou d'autres quartiers à la mode qu’ils occupent à s’avachir dans les cafés. Montmartre est un lieu emblématique à Paris pour les artistes ainsi que le quartier de Montparnasse au début du XXe siècle. Le quartier latin est particulièrement celui des étudiants et des écrivains.

Le terme de 'bohème' dans sa signification actuelle date au moins du XVIIe siècle. On le trouverait chez Tallemant des Réaux en 1659. La première édition de 1694 du Dictionnaire de l'Académie française distingue deux sortes de 'bohemes' (sans accent), avec le bohémien proprement dit, et celui qui vit comme un 'boheme' : « BOHEME. Bohemien, Bohemienne. Sorte de gens vagabonds, libertins, qui courent le pays, disant la bonne aventure au peuple crédule, & dérobant avec beaucoup d'adresse. On dit proverb. Cet homme vit comme un Boheme, pour dire, qu'Il n'a ni équipage ni domicile assuré. » lartisteamoroso300lmCe dernier ne fréquente pas les bohémiens, mais on le compare avec car il vit en marge de la société, s'habillant d'une façon assez excentrique et cultivant une pensée indépendante, et une manière de liberté.

C'est une forme de sagesse vagabonde caractéristique en France, sans doute issue des époques où ce pays est morcelé en divers royaumes et où nombreuses sont les personnes qui vont de château en château ou même de ville en ville pour proposer leurs services : poètes troubadours ou trouvères, compagnons etc. Parmi eux beaucoup d'artistes.

Au XIXe siècle et au début du XXe cette bohème se concentre à Paris. Elle est le résultat des importants exode rural et immigration. Par exemple l’École de Paris (1900-1920) lartisteamorosodetail300lmdésigne des artistes étrangers arrivés dans la capitale française pour profiter de cette émulsion des beaux-arts. Beaucoup sont juifs. Ils occupent le quartier Montparnasse, buvant et mangeant souvent gratuitement dans les cafés, et parfois y dormant (voir l'article Le Montparnos, le Fauve, le Surréaliste et les intellectuels à la mode). Par la suite d'autres mouvements prolongent cette bohème. Mais c'est véritablement au XIXe siècle que l'artiste bohème prend ses lettres de noblesse. En 1844, Honoré de Balzac (1799 - 1852) écrit Un Prince de bohème (le livre est visible ici) : « Ce mot de Bohème vous dit tout. La Bohème n’a rien et vit de tout ce qu’elle a. L’espérance est sa religion, la foi en soi-même est son code, la charité passe pour être son budget. Tous ces jeunes gens sont plus grands que leur malheur, au-dessous de la fortune, mais au-dessus du destin. […] enfin, et c'est là où j'en veux venir, ils sont tous amoureux, mais amoureux ! ... » Dans Scènes de la vie de Bohême (1847-49) Henry Murger (1822 - 1861) présente des acteurs et des lieux de cette bohème parisienne (l'ouvrage ici) : « le cénacle de la Bohême », l'indigence, les artistes, l'amour, « Mademoiselle Musette »,  « Un Café de la Bohême », « Mademoiselle Mimi », la jeunesse etc.

Le poète Jean Nicolas Arthur Rimbaud (1854 - 1891) est peut-être celui qui représente le mieux cette bohème artistique.

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De Giotto à Caravage, Les passions de Roberto Longhi.

L'exposition temporaire organisée par le Musée Jacquemart André De Giotto à Caravage, Les passions de Roberto Longhi se déroule du 27 mars au 20 juillet 2015. C'est la première fois en France qu'est ainsi dévoilée la collection de Roberto Longhi (1899/1890-1970), historien de l’art et collectionneur, composée de grands noms de la peinture italienne du XIVe siècle au XVIIe, redécouverts par celui-ci : Giotto, Masaccio, Masolino, Piero della Francesca, Ribera, Caravage parmi d’autres … Aux œuvres issues de la Fondation Roberto Longhi répondent d'autres prêtées pour l'occasion par des musées français et italiens.

Première photographie : Giotto di Bondone (vers 1266/67 - 1337).
À gauche -
« Saint Jean L’Évangéliste. Vers 1320. Tempera et or sur bois. 128 x 55,5 cm. Fontaine - Chaalis, Abbaye Royale de Chaalis, Institut de France. © Studio Sébert photographes.
À droite - Saint Laurent. Vers 1320. Tempera et or sur bois. 120 x 54,3 cm. Fontaine - Chaalis, Abbaye Royale de Chaalis, Institut de France. © Studio Sébert photographes.

Photographie de gauche : Tommaso di Giovanni Cassai dit Masaccio (1401 - 1428). Vierge à l’Enfant. Vers 1426 - 1427. Tempera et or sur bois. 24,5 x 18,2 cm. Florence, Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino - Galleria degli Uffizi. © Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico Artistico ed Etnoantropologico e per il Pol.

J'ai été particulièrement impressionné par une huile sur toile, dont la photographie est ci-dessous, de Bartolomeo Manfredi (1582-1622), intitulée Le Couronnement d'épines, datant de vers 1615 et conservée au Musée de Tessé à Le Mans. Ce tableau peut être comparé à une musique tellement le rythme y est prégnant. Il est en particulier suggéré par les oppositions : le clair-obscur bien sûr, mais aussi le visage du jeune homme (à notre droite) et celui du vieillard (troisième à gauche), le caractère lisse et rigide de l'amure et les drapés dont le soyeux est rendu d'une façon particulièrement remarquable (ce qui ne peut se reproduire par la photographie), les corps et les tissus, l'allure dressée du soldat face à la résignation courbée du Christ, les mains crispées des bourreaux et celle abdiquant de Jésus, la concentration des uns (des deux bourreaux et du personnage tout à gauche qui lui aussi regarde la scène) et la quiétude presque désinvolte voire égoïste des autres qui ne semblent préoccupés que par eux-mêmes et non par le martyr du fils de Dieu etc. Plusieurs autres éléments servent de liaisons : les couleurs des tissus toutes plus ou moins différentes, les visages ressemblant à des notes sur cette portée musicale, les regards, les lignes formées par les épées, les bâtons et les lances etc. Les personnages sont au nombre de neuf et tous masculins. La lumière vient de notre gauche, obstruée en partie par un rideau noir, sans doute tiré afin de mettre en lumière cette obscurité humaine qui a amené par sa stupidité à faire souffrir la bonté. La scène est extraite du néant de la bêtise humaine pour être dévoilée, expliquée, presque décortiquée aux spectateurs par le peintre sans doute représenté dans la figure du personnage de gauche, seul témoin conscient de ce qui se passe. L'oeil qu'il lance vers le Christ souffrant est le seul regard humain … du moins faut-il l'espérer … et c'est la question que se pose peut-être le vieillard qui contemple ce regard de l'artiste qui du néant de la toile fait surgir une scène. Le vieillard serait la figure du spectateur et l'homme de gauche celle du peintre … lui-même spectateur de ce qu'il met en lumière par sa composition presque musicale de cette réalité sortie des tréfonds.

Au fait, pour ceux qui ne l'ont pas encore visité : le Musée Jacquemart André est merveilleux !

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Napoléon et Paris : rêves d'une capitale.

Photographie ci-dessus : Statue d'une Victoire dans la cour du musée Carnavalet.

Deux cents ans après la fin du Premier Empire, l'exposition Napoléon et Paris : rêves d'une capitale au musée Carnavalet explore, du 8 avril au 30 août, les relations de Napoléon et Paris à travers la présentation de 134 gravures, une centaine de monnaies et médailles, 53 peintures, plusieurs dizaines de plans d'architecture, 8 costumes, 7 œuvres photographiques et 5 maquettes.

Cette exposition peut être vue à différents niveaux : histoires de l'art, des mœurs, de Paris, des arts décoratifs, de la mode, de l'architecture, grandes histoires, petites histoires ... Pour ma part j'ai été sensible à tout cela mais surtout intéressé par voir les parisiens de cette époque dans leur milieu, et par la partie sur les divertissements avec quelques gravures de merveilleuses et incroyables au Palais-Royal, au jardin des Tuileries, à la promenade des Champs-Élysées, au parc de Tivoli, durant le carnaval etc.

Photographie de gauche : « Anonyme, Les musards de la rue du Coq, ou La boutique du marchand d'estampe Martinet, vers 1810. Eau-forte coloriée de 21,9 x 37 cm. © Musée Carnavalet / Roger- Viollet. »

Photographie de droite : « Martin-Guillaume Biennais (1764-1843), Nécessaire de campagne de Napoléon Ier. Coffret : cajou marqueté de laiton ; intérieur compartimenté en acajou sculpté, garniture de maroquin vert ; objet en vermeil, argent, cristal, porcelaine, écaille, ébène, ivoire, acier, cuir, soie Dimensions du coffret : H 18 cm, L 52 cm, Pr 36 cm. © Musée Carnavalet / Roger-Viollet. »

Les photographies ci-dessous ont été prises dans l'exposition.

Photographie ci-dessous : « Le Suprême Bon Ton. Café du Jardin des Tuileries. » Eau-forte coloriée. Musée Carnavalet.

Photographies ci-dessous: À gauche - Table de toilette Premier Empire. Au centre - Robe parée à motifs d'ananas du Premier Empire conservée au Palais Galliera (Musée de la Mode de la Ville de Paris) comme le Châle en cachemire (détail) - à droite -, de 1810-1820.

Photographie ci-dessous : « Etienne Bouhot (1780-1862), La fontaine et la place du Châtelet, 1810. Huile sur toile 81 x 99 cm. » Musée Carnavalet.

Photographie ci-dessous : Détail de La Pompe du Cours-la-Reine, 1802. Huile sur toile du peintre Bizard, 1802.

Photographie ci-dessous : Détail de « Le passage des Panoramas, théâtre des Variétés. Consulat. Gouache. Depuis la fin du Directoire, les passages sont devenus l'une des composantes du paysage de la capitale, autant appréciés des Parisiens que des visiteurs étrangers. Ils se multiplient sous le Consulat et l'Empire. Celui dit " des Panoramas " fut édité au début du XIXe siècle, près du boulevard Montmartre et du théâtre des variétés, devenant rapidement un endroit très animé. Musée Carnavalet. »

Cette exposition est aussi l'occasion de (re)visiter le Musée Carnavalet consacré à l'histoire de Paris, avant sa fermeture pour trois années à partir de la fin 2016, ce dont il sera question dans un prochain article … et même peut-être deux.

Le musée Carnavalet présente, en parallèle de l'exposition sur Napoléon et Paris, une autre, plus petite, du 8 avril au 30 août, intitulée Le congrès de Vienne : L'invention d'une nouvelle Europe, Paris - Vienne, 1814-1815, avec d'intéressants documents sur une époque difficile pour la France, occupée par les 'alliés' (russes, autrichiens, prussiens, anglais ...) qui entrent dans le pays en 1814 et 1815 (après la défaite de la bataille de Waterloo) et placent Louis XVIII sur le trône de France.

Les photographies ci-dessous ont été prises dans cette exposition.

Photographies ci-dessous : À gauche - « Instrument de ratification britannique du traité de paix entre la France et le Royaume-Uni. Carlton House, 11 juin 1814. Cahier vélin, dans un portefeuille brodé. Sceau manquant. » À droite - « Instrument de ratification du traité de paix entre la France et le Royaume-Uni. Londres, 10 janvier 1816. Cahier vélin, dans un portefeuille de velours rouge brodé. Première et quatrième de couverture richement brodées de fils d'or. Sceau appendu en cire marron dans une boîte en métal doré sur cordons de fils soie et or . »

Photographie ci-dessous: Oeuvre d'art en exposition temporaire au musée Carnavalet.

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Détails

LeLivrealaModePagedeTitre300lmPhotographies du livre dont il est question ici.
Les détails sont important dans la mode. L'ouvrage intitulé Le Livre à la Mode publié en 1759 par un auteur anonyme (il s'agit de Louis-Antoine Caraccioli : 1719-1803) sous une édition fantaisiste (« A Verte-Feuille, De l'Imprimerie  du Printemps, au Perroquet. L'Année Nouvelle. ») commence, finit et revient régulièrement sur le sujet de son impression en encre verte. Écrit tel un caprice de petit maître, Il virevolte comme marche cet élégant, suivant l'air du temps qui est alors à la volupté et à la fantaisie. La futilité est son fil d'Ariane. Il donne des préceptes, « qui puissent guider un jeune homme de qualité au milieu du beau monde » ainsi qu'une petite-maîtresse, et qui consistent en grande partie à cultiver certains détails dans l'apparence, ce que l'on appelle au XIXe siècle des 'tics'. C'est un plaidoyer ironique pour les petits maîtres et pour la mode, sur la légèreté et tous les détails qui rendent la vie plus gaie : comment porter un éventail,  les chapeaux, comment se coiffer, le rire, les expressions du visage etc. : « Rien de plus comédien dans le monde que le minois de nos Dames, & même de nos petits Messieurs. Oh! comme ils jouent de la prunelle, comme ils grincent les dents, comme ils se mordent la langue, comme ils froncent le sourcil, comme ils allongent leur physionomie, comme ils clignotent, & comme ils ont des regards contempteurs à la douzaine ! Je défie le plus malin Sapajou d'en pouvoir faire autant. Joignez une lorgnette à tout cela, & il faudra nécessairement avouer qu'un visage à la mode renferme une multitude de connaissances & de merveilles. Ce n'est pas sans dessein que nous venons d'entrer dans ces détails. Nous voulons fournir à bien des gens qui ont de l'esprit, mais qui sont maussades, les moyens de devenir intéressants. J'ai connu une Dame qui n’avait, pour tout mérite, que l’allongement de son petit doigt, & elle était environnée d'une foule d'admirateurs. LeLivrealaModePage300lmJ'ai vu un Prédicateur qui n’avait pour talent, que celui de bien promener un beau bras, & son Auditoire était toujours plein. Je sais un Seigneur qui n'a de science que celle de prendre joliment du tabac, & de se moucher encore plus joliment, & il jouit d'une considération distinguée. Il faut tout faire avec grâce, & concerter toutes ses démarches suivant le ton de la bonne compagnie. La République des Petits Maîtres n'est point idéale, comme celle de Platon ; elle existe, & ses statuts s'étendent sur tous les détails, dont les yeux, la bouche, les mains, la tête & les pieds sont susceptibles. […] On nous apprend tous les jours à nous tuer, & cela ne nous paraît point étrange : n'est-il pas plus raisonnable de nous montrer à vivre joliment, & à nous rendre aimables ? Pourquoi ne fait-on pas un arsenal d'éventails, ainsi que de fusils & pourquoi ne nous enseigne-t-on pas à nous escrimer avec les yeux, comme avec l'épée ? On ne saurait croire les belles découvertes qu'on peut faire dans la seule partie des yeux, pour nous attirer des admirateurs. Ils parlent chez les femmes du monde, tandis qu'à peine ils existent chez un simple Bourgeois. Quel malheur de n'être, ni bien éduqué, ni bien maniéré ! On ne peut impressionner personne ; l'on fait de tout son corps une véritable désobligeante, & c'est d'autant plus perfide, que la société se trouve farcie de gens rouillés, qui n'ont, ni ressorts, ni élasticité, & qui vous persiflent superlativement. Combien de fois, en effet, n'avons-nous pas été excédés, anéantis, en voyant la maussaderie de cette foule d'hommes ignobles dans leur démarche & dans leurs regards ? S'ils chantent, on croie qu'ils hurlent; s'ils parlent, on s'imagine qu'ils disputent; s'ils se mouchent, on dirait qu'ils … ; s'ils saluent, on pense qu'ils heurtent; s'ils mangent, on se persuade qu'ils dévorent. Un sot, dit la Bruyère, ne parle, ne joue, ne marche , ni ne se mouche comme un homme d'esprit. Il est donc essentiel de corriger ces sottises, & d'achever de rendre le monde tout merveilleux & tout joli. »
Le livre en entier est visible ici.

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La femme de chambre et le valet de chambre

lafemmedechambre300lmPhotographies : Assiette du XIXe siècle de Choisy-le-Roi intitulée « La femme de chambre ». La marque au dos indique « P&H » pour « Paillard et Hautin » actifs de 1824 à 1836 semble-t-il : ce qui correspond aussi à l'époque des vêtements du personnage.
Comme je le montrerai dans un prochain article sur le page, le service est une notion importante de l'élégance française et pas du tout dégradante, au contraire. Un bon et beau service est gage de goût. Dans un temps où la toilette est un moment stratégique de la journée (voir article La Toilette d'apparat des XVIIe et XVIIIe siècles), la femme et le valet de chambre ont une importance particulière. Pour le monde extérieur, ils sont les intermédiaires permettant d'accéder à ce moment d'intimité privilégié qu'est la seconde toilette du personnage que l'on souhaite entretenir.
La femme de chambre est le premier miroir de la dame, sa confidente, son amie, sa personne de confiance. Elle fait en sorte que tout soit parfait, que les vêtements soient repassés, propres et en très bon état. Elle accueille les invités de la seconde toilette, règle les affaires qui s'y donnent qui ne sont pas toutes de l'ordre de la coquetterie et de la mode et peuvent concerner l'amour, les affaires et les audiences. Jean-François Féraud écrit dans son Dictionnaire critique de la langue française (Marseille, Mossy 1787-1788) :lafemmedechambredetail300lm « On dit un valet de chambre, et non pas un homme de chambre ; mais on dit, femme de chambre, et non pas fille de chambre ; et quand une Dame en a plusieurs, elle dit, mes femmes, sans ajouter de chambre. » Certaines maisons, et notamment la reine, ont plusieurs femmes de chambre dont celle appelée 'la première femme de chambre'.
L'importance du valet de chambre est similaire à son homologue féminin. Chez le roi et dans la haute aristocratie on distingue le valet de chambre, du premier valet de chambre. du valet de garde-robe, du premier valet de garde-robe. Wikipédia donne une Liste de valets royaux et impériaux. Dans l'article consacré au valet de chambre de Louis XVI Marc-Antoine Thierry de Ville-d'Avray il est écrit que : « Au XVIIIe siècle, la charge de premier valet de chambre n'a rien à voir avec une fonction de domestique. Tout anachronisme gardé, cette tâche s'apparente davantage à celle de chef de cabinet (voire directeur de cabinet sur certains sujets) aujourd'hui. Louis XVI lui accordait toute sa confiance. Pour preuve, Thierry résidait au cœur des petits appartements du Roi, au second étage du corps central, dans un logement donnant sur la cour de marbre, créé à partir du spacieux appartement affecté par louis XV à la Comtesse du Barry. Cette dernière ayant dû quitter le palais versaillais dès le décès de son royal amant. Son voisin direct étant le mentor de Louis XVI : le Comte de Maurepas, qui obtint, l'autre partie de l'appartement de Madame du Barry. Louis XVI avait ainsi accès à tout moment, et discrètement (grâce au secret des petits cabinets intérieurs), à son plus proche collaborateur et à son ministre principal. »

Photographie du dessous : Portrait de Madame Jeanne Campan (1752-1822), première femme de chambre de la reine Marie-Antoinette, surintendante de la maison impériale de la Légion d'honneur, provenant de l'exposition intitulée Les dames de Trianon se déroulant au grand Trianon de Versailles jusqu'au 14 octobre 2012. © RMN-GP (Château de Versailles) / Droits Réservés.

MadameCampan.jpg© Article et photographies (sauf indiqué) LM

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Reporters de mode au XVIIIe siècle.

cafedesincroyablesdessinateurDepuis que ce blog a été créé, j'ai montré des aspects plutôt oubliés de la mode française. Celle-ci existe depuis très longtemps. Le terme même de 'mode' se rencontre déjà au Moyen-âge ; et s'emploie à peu près dans la même acceptation qu'aujourd'hui : «manière collective de vivre, de penser propre à un pays, à une époque». Le mot latin beaucoup plus ancien est lui aussi très proche du français. Mon blog s'appelant 'La Mesure de l'Excellence', il est intéressant de noter que modus (modus, i, m) signifie aussi : mesure, proportion, rythme, cadence (musicale, oratoire), mélodie, chant, mode musical, musique, règle, loi, juste mesure, manière, façon, procédé, méthode, genre …
La mode naît dans cette « manière collective de vivre », cette harmonie sans cesse en mouvement, ce rythme toujours changeant constituant une véritable danse sociale, cette mesure de ces notes telles qu'elles sont et s'inventent et qui constituent le bon ton. En France, mieux que nulle part ailleurs, on en connaît les gammes. Tous les supports utilisables pour transmettre la mode sont employés ; en particulier au XVIIIe siècle, où écrivains et artistes s'ingénient à dévoiler ce que nous appellerions aujourd'hui les nouvelles tendances. Les almanachs et autres revues dédiés à la mode contiennent des articles illustrés ou pas, et des images le plus souvent commentées sur la mode de la semaine, de la quinzaine ou du mois …
cafedesincroyables1-300 enfin ce qui se fait … avec parfois des publicités pour telle maison ou telle autre. Plusieurs exemples sont présentés sur la page dédiée aux périodiques de modes de mon site www.lebonton.com, mais aussi dans plusieurs passages de ce blog. Au XVIIIe siècle certains écrivains se font  journalistes de mode publiant des articles et des chroniques ; et des artistes deviennent reporters : croquant sur le vif les dernières tendances. Il en résulte un volume d'oeuvres très intéressantes et très nombreuses, témoignages de vie à travers la mode française qui rayonne alors dans tout l'Occident.
Dans l'article intitulé
Café des Incroyables. Ma parole d'honneur ils le plaisante. 1797., je présente une gravure d'époque (deux premières photographies), de 1797, où le dessinateur, qui s'est représenté lui-même sur la droite, nous dévoile un instantané presque photographique de l'ambiance d'un café où se réunissent des jeunes à la mode de la fin du XVIIIe siècle. L'artiste qui nous transmet cette scène, le fait tel un reporter photographe de mode ; ce qui ajoute beaucoup à la préciosité de cette image et à son caractère émouvant.
desboulevardsjournauxdemodeDans la dernière photographie je présente une double page de
La Matinée, la Soirée, et la Nuit des Boulevards de 1776 qui met en scène un de ces journalistes de mode : « DESBROUTILLES. Quel est votre ouvrage ? FILASSE. Un Journal Encyclopédique de toutes les modes nouvelles. Il paraîtra quatre fois le mois. DESBROUTILLES. Pourquoi pas quatre la semaine ? La mode du jour n'est pas celle du lendemain. FILASSE. Il est vrai ; la matière ne manquera pas. 1°. Les étoffes & leurs garnitures : les  plaintes indiscrètes, la grande réputation, le désir marqué, l'agitation, le doux sourire, la composition honnête, la … DESBROUTILLES. Et cetera, & cetera. FILASSE. 2°. Rubans & couleurs : puce, demi-puce, soupirs de Vénus, soupirs étouffés, vive bergère, cuisse de nymphe émue. DESBROUTILLES. Eh ! oui, oui. FILASSE. 3°. Ajustements : collet monté, le chat, le venez-y-voir. DESBROUTILLES. C'en est assez. FILASSE. Et les coiffures : toupet de physionomie, boucles d'attention, tempéraments, & plus bas sentiments. DESBROUTILLES. A merveille ! Suivez votre projet ... »
Au XVIIIe siècle les revues de mode sont très nombreuses … mais j'en reparlerai.

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Du côté du boulevard du temple.

desboulevards300Photographie 1 : Page de titre de la pièce intitulée : La Matinée, la Soirée, et la Nuit des Boulevards ; Ambigu de Scènes Épisodiques, Mêlé de Chants et de Danses, Divisé en quatre Parties : Représenté devant Leurs Majestés à Fontainebleau, le 11 Octobre 1776, A Paris, Chez la Veuve DUCHESNE, Libraire, rue Saint-Jacques, au Temple du Goût, 1776. « Les Paroles sont du M. FAVART » : Charles-Simon Favart (1710-1792).

Photographie 2 : Commencement de la première partie de la pièce.

Photographie 3 : Début de la quatrième partie.

Voici un article sur la fraction des boulevards un peu moins chic que celle dont il est question dans Les Boulevards des Italiens, des Capucines et de Montmartre mais pleine d'attraits et aussi très à la mode, à travers une intéressante pièce de théâtre jouée en 1776 dont j'ai acquis une édition d'époque, sans doute la première. Le livre ressemble à un ouvrage de colportage. Le texte met en scène en particulier une tranche des ces fameux boulevards ; celle ou se trouvent de nombreux théâtres (théâtres des boulevards) au niveau du boulevard du temple. Il présente de nombreux personnages dans l'ambiance toute particulière de ce lieu où l'on vient pour le plaisir, la gaieté, la distraction, chercher la bonne fortune, musarder, faucher le persil, assister aux danses, spectacles de charlatans, théâtres, écouter les chansonniers et des concerts, se restaurer dans les cafés, participer aux bals (masqués ou pas) … tout cela dans une atmosphère que l'on imagine assez féérique.

la matinee des boulevards 300Pour la première et la seconde parties (« la matinée » et « la soirée des boulevards »), « Le Théâtre représente une partie des Boulevard du côté de la Barrière du Temple ; dans le fond est un Café, à côté une Boutique de Perruquier, & contre un Arbre une petite Échoppe de Libraire » aussi appelée « boutique de bel esprit ». La barrière du Temple se situe à Paris au niveau de l'actuelle place de la République, au début de la rue du faubourg du temple ; dans le prolongement des boulevards chics de la Madeleine, des Capucines, des Italiens, Montmartre, puis des actuels boulevards Poissonnière, Bonne nouvelle, Saint-Denis, Saint-Martin. De l'autre côté il se prolonge par le boulevard du Temple possédant des théâtres jouant des scènes diverses dont de nombreux crimes : d'où son surnom de boulevard 'du crime'. La pièce commence par mettre en scène un « marchand clincailler » (ou 'quincaillier') vendant ici comme 'quincaille' surtout des articles associés à la mode : « Achetez de mes bagatelles, / Peignes d'ivoire, Peignes de buis, / Des Canons pour les dentelles, / Lacets & Rubans choisis ; / Des noeuds d'épée pour ces Demoiselles, / Du rouge pour les petits Marquis. / […] / J'ai pour les prudes Coquettes / Des Éventails à Lorgnettes.le bal des boulevard300clair / J'ai pour Messieurs les Courtisans, / Couteaux polis à deux tranchants, / Voilà de gentilles Lunettes / Pour les Amants à cheveux gris. / […] / Fines Aiguilles / Pour ces Filles ; / Pour les Abbés voilà des Flacons, / Des Cure-dents pour les Gascons. / Et voilà pour les Petits-Maîtres bourgeois / De grandes Boucles de harnais. / Achetez de mes bagatelles ; Voilà de jolis Étuis garnis, / Des Boîtes à secret pour les belles, / Des Lanternes pour les maris... » Puis c'est le tour d'une vendeuse de confiseries : une « petite marchande de plaisir ». La première partie met en scène divers autres personnages dont un petit-maître, un perruquier, un manufacturier d'étoffes venant en famille se divertir dans un café …

Dans la seconde division qui se déroule « en soirée » interviennent un garçon de café, un chevalier etc., tout cela au milieu de spectacles de charlatans : marionnettistes, chansonniers, montreur d'ours dansant, vaudevilles …

Dans la troisième section intitulée « La Nuit des Boulevards » : « Le Théâtre représente un Labyrinthe de verdure, & un banc de gazon sur le devant, dans un Bocage. » Le décor est ici celui d'une guinguette telle qu'on en trouve aux diverses barrières de Paris, c'est à dire aux portes de la capitale (voir articles intitulé Guinguettes). Au XVIIIe siècle on aménage souvent des bosquets avec des bancs où les promeneurs peuvent se restaurer et se reposer dans l'intimité. Il y en a sur les Champs-Élysées ou dans les jardins de Tivoli au nord de Paris.

La quatrième partie a pour titre « Le Bal des Boulevards » : « Le Théâtre représente une Salle de Bal illuminée. Une foule de Masques remplit le lieu de la Scène. Après différentes entrées, un Quadrille représentant les Modes Françaises, depuis François Premier jusqu'à présent danse sur des Airs de Vaudevilles, qui caractérisent les époques des Modes. On finit par une Contredanse générale sur l'Air de la Fricassée. » La pièce se termine par ces mots : « La gaieté / Vaut mieux que la gravité. »

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Inspirations gothiques, baroques et rococos.

VivienneWestwoodRobedetaild300Comme VivienneWestwoodRobedetailcje l'ai écrit dans les articles Les modes gothiques et le style troubadour du XIXe siècle et Le baroque et le rococo : les styles et les personnes, on utilise depuis plusieurs siècles les termes de 'gothique', 'baroque' et 'rococo' pour désigner des modes ou des personnes suivant des tendances passées voire totalement désuètes. Pourtant selon Rose Bertin (1747-1813) la fameuse modiste de Marie-Antoinette : « Il n'y a de nouveau que ce qui est oublié ». Le titre de cet article est donc un clin-d'oeil amusé qui rend hommage à certains aspects de la mode et ses bons de chamois virevoltant de-ci-de-là, en avant ou en arrière (mais tout de même toujours en avant), que l'exposition Le XVIIIe au goût du jour nous donne à goûter.
Photographies 1 et 2 : Robe longue imprimée de chérubins de Vivienne Westwood. Prêt-à-porter printemps-été 1991. Collections Galliera. © EPV / J-M Manaï, C Milet.
Photographie 3 : © Photographie LM prise pendant la conférence de presse.
Il est rare que je fasse plusieurs articles sur une exposition. Pourtant celui-ci est le troisième sur
celle intitulée Le XVIIIe au goût du jour qui se déroule jusqu'au 9 octobre 2011 au Grand Trianon du château de Versailles. Le premier article est visible ici : Le XVIIIe au goût du jour  ; et le second ici : Le bon goût à nouveau de mode ?
C'est grâce à Brigitte Campagne d'Ancienne Mode que l'information de la préparation de cette exposition est arrivée jusqu'à moi. Son intérêt principal est qu'elle éduque le goût à un savoir-faire présent dans la mode du XVIIIe siècle toujours guerlin detailconservé aujourd'hui dans quelques mains et ateliers comme l'explique dans une des deux vidéos ci-dessous Olivier Saillard le directeur du musée de la Mode et du Textile de Paris  qui y  présente l'exposition. Dans la troisième vidéo (la première), Vivienne Westwood, à l'origine avec Malcolm McLaren et tous les autres des mouvements punk et pirate, explique comment elle a puisé une partie de son inspiration dans l'époque des merveilleuses et des incroyables. Sa robe présentée dans l'exposition (photographies 1 et 2) est du reste dans un goût XVIIIe intégré : faite dans un tissu délicat et un imprimé mettant en scène la nature et l'amour (avec des nuages qui vus de près sont constitués d'amoncellements d'angelots), dans un camaïeu cramoisi, tout cela rappelant certains motifs de tissus du XVIIIe siècle, avec un air de déshabillé et de robe de chambre très à la mode alors. Rappelons en aparté que des mouvements comme le punk, la new-wave, le gothique, la techno-industrielle ou le grunge sont, avant d'être provocateurs, le reflet d'une société parfaitement cynique où l'on appuie que les solutions d'avenir sont le nucléaire, les ondes électromagnétiques (téléphone portable, wifi ...), le rsa, les petits arrangements avec des dictatures comme la  République populaire de Chine etc etc etc. Il reste dans ce XXI e siècle à voir au-delà, en s'inspirant entre autres de ce qu'il y a de meilleur dans le passé pour créer quelque chose de mieux pour le futur ! 

Vivienne Westwood parle du XVIIIème

Visite guidée de l'exposition "Le XVIIIème au goût du jour" par Olivier Saillard

Mannequinage des robes de l'exposition "Le XVIIIe au goût du jour"

Photographie : Pour conclure voici une gravure que j'ai déjà présentée à plusieurs reprises dans ce blog mais qui illustre très bien l'intervention de Vivienne Westwood. Il s'agit d'une estampe d'époque 1798, « dessinée d’après nature sur le Boulevard des Capucines » provenant du Journal des Dames et des Modes : une revue parisienne de mode célèbre à partir de 1797. La jeune fille a une coiffure dite textuellement « en porc-épic » qui rappelle la mode punk.

chevelureenporcepic1798300lm© Article LM

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Le café Frascati

frascatidebucourtensemble1650lm2Le Frascati est un café parisien célèbre du temps des merveilleuses et incroyables et aussi d'une certaine jeunesse dorée issue sans doute de la nouvelle bourgeoisie mise à l'honneur avec la Révolution puis durant le Directoire et l'Empire. Il est difficile de faire la part entre les véritables incroyables et merveilleuses et ceux qui prennent pour modèle cette modernité sans en avoir la noblesse. Si le café Frascati est sans aucun doute assez somptueux par sa grandeur, sa décoration néo-antique, la beauté des jeunes personnes qui viennent y savourer de délicats glaces, punchs et limonades, il n'en reste pas moins aussi une maison de jeu dans laquelle de nouvelles fortunes souvent mal acquises en des temps troublés viennent y parader leur argent. Il se situe à l'angle du boulevard Montmartre et de la rue de Richelieu. C'est d'abord un hôtel particulier édifié en 1784 selon Georges Cain (Les Pierres de Paris, Paris Ernest Flammarion, 1910?) par « le riche traitant Crozat ». En 1789 il est démoli pour devenir « l'hôtel Lecoulteux de Nolay » ; « la belle terrasse seule est respectée ». En 1789, le cafetier italien Garchi l'achète. Il y fonde le café Frascati : « Ce subtil limonadier conquit Paris par l'excellence de ses glaces parfumées et la somptuosité de ses pyrotechnies. » « Chaque soir, la foule se pressait pour admirer les feux d'artifice, secouant sur Paris leurs gerbes de diamants, d'émeraudes et de rubis. En sortant de l'Opéra de la rue Richelieu (sur l'actuel emplacement du square Louvois) il était de bon ton de venir faire flamber des punchs ou écorcher des glaces chez Garchi. On promenait des frascatidebucourtensemble1300lm5belles dans les allées « illuminées a giorno » qui s'étendaient  jusqu'au passage des Panoramas, et il n'en coûtait que " trois livres d'entrée " ». Dans Les Anglais en France après la paix d'Amiens [1802]: Impressions de voyage de Sir John Carr (1772-1832), traduit par Albert Babeau, on y lit à partir de la page 180 : « [...] Frascati, où se réunit d'ordinaire, à dix heures, après la sortie de l'Opéra, le monde élégant de Paris. On n'y paye pas de prix d'entrée, mais tout étrange que cela puisse paraître, aucune personne mal élevée ne s'y introduit, sans doute par suite du respect que la bonne société inspire à la mauvaise. […] Un escalier mène à un beau vestibule, et de là à une salle entourée de glaces et décorée de festons de fleurs artificielles. A l'extrémité s'élève une belle statue de la Vénus de Médicis. Auprès de cette statue s'ouvre une arcade donnant accès à une suite de six magnifiques pièces superbement dorées, garnies également de glaces et de lustres de cristal taillé en diamants, qui brillaient comme autant de petites cascades étincelantes. Chaque chambre était comme un foyer de lumière ; l'on y prenait des glaces ou du café. On communiquait d'une pièce à l'autre par des arcades ou des portes à deux battants ornées de glaces. Le jardin, petit, mais disposé avec art, se compose de trois allées bordées d'orangers, d'acacias et de vases de roses ; à l'extrémité s'élèvent une tour dressée sur un rocher, des temples et des ponts rustiques ; de chaque côté, de petits berceaux en labyrinthe. Une terrasse s'étend le long du boulevard, dont elle commande l'aspect ; elle est bordée de beaux vases de fleurs et se termine à chaque extrémité par des sortes d'avenues décorées de miroirs. Là, dans le cours d'une heure, l'étranger, partagé entre la surprise et l'admiration, peut voir près de trois mille femmes les plus belles et les plus distinguées de Paris, dont les joues ne sont plus désormais défigurées sous les ravages du rouge, et qui, par l'harmonie et la grâce de leur extérieur, le porteraient à croire que les plus aimables figures de la Grèce, dans son époque la plus brillante, revivent et se meuvent devant ses yeux. »
Il semble que le High-life tailor rachète le bâtiment ou celui construit à sa place (voir l'article intitulé Le high-life). Ce grand magasin de mode, comme il s'en fabrique beaucoup dans la seconde moitié du XIXe siècle, s'installe alors à l'intérieur.
Photographies :  « Frascati », « Dessiné d'après un Croquis pris sur le Lieu, et Gravé par P. L. Debucourt. » Il s'agit de Philibert Louis Debucourt (1755-1832), artiste dont les gravures marquent la production de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe. Il s'est fait notamment une spécialité des images de mode à l'époque des incroyables et merveilleuses. L'estampe représente le café Frascati en 1807. Cette gravure est peut-être d'époque. Le papier vergé est épais.

frascatidebucourtensemble1650lm1 frascatidebucourtretouchedetail10lm frascatidebucourtensemble1650lm3frascatidebucourtensemble1650lm4© Article LM

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Au corps de l'oeuvre d'Ingres

IngresPortrait300Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) a légué à Montauban, sa ville natale, un corpus de centaines de ses dessins que le musée de cette ville complète d'autres acquisitions, conserve et étudie … recherches qui permettent non seulement d'avoir connaissance des techniques employées par l'artiste mais aussi d'appréhender la conservation d'un papier qui se transforme beaucoup dans la première moitié du XIXe siècle, se fragilisant du fait des nouveaux procédés de fabrication utilisés pour une diffusion à plus grande échelle et à moindre coût. L'exposition Ingres / Secrets de dessins, qui se déroule jusqu'au 6 novembre au musée Ingres de Montauban (voir la vidéo ici), témoigne du type de recherches que l'on peut faire afin de mieux connaître l'oeuvre d'un artiste ; et offre des clés utiles d'expertise pour les collectionneurs et les professionnels tout en éduquant les néophytes. Et puis cette exposition nous rappelle qu'Ingres est un témoin important de la vie de son époque comme le montre cette série de portraits d'hommes : un inconnu (vers 1797) - Jean-François Gilibert (vers 1804/05) - François-Marius Granet (en 1807) - Edme Bochet - Jean-Pierre Cortot (sculpteur) ; et de portraits de femmes : les deux soeurs Harvey (vers 1804) - Mademoiselle Caroline Rivière - Marie-Louise Bénard (en 1819) -  Louise de Broglie (contesse d'Haussonvilleen, en 1845) - princesse de Broglie (vers 1851-1853). 
Photographie 1 : Portrait de Madeleine Chapelle : la première femme de l'artiste. Celle-ci est habillée à la mode de vers 1813 : la capote a une haute calotte alors que la visière se rétrécit par rapport à précédemment (voir à ce sujet l'article intitulé La petite maîtresse invisible) ; la robe garde la forme de la tunique 'à l'antique' avec une taille très haute (en dessous des seins), mais la poitrine est entièrement couverte, et une fraise autour du cou rigidifie un peu plus la silhouette plus libre avant (poitrine et cou découverts) ; mais le corset n'est toujours pas de rigueur. Le papier utilisé pour ce dessin paraît assez moderne pour l'époque. Il ne semble pas être vergé et sa qualité assez médiocre comme le prouvent les nombreuses taches dont les origines peuvent être multiples : comme le contact avec un verre ou un carton de mauvaise qualité, mais qui sont souvent dues en particulier à la qualité du papier employé. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle le papier est fabriqué à partir de chiffons. IngresfiligraneIl est dit 'vergé' car laissant apercevoir en transparence les lignes formées au contact des vergeures (horizontales) et des chaînettes (verticales) qui composent le tamis avec lequel est fabriqué le papier. Puis de nouvelles techniques apparaissent qui vont beaucoup évoluer au XIXe siècle. Non seulement la matière du papier change avec l'utilisation de fibres végétales comme le bois et de nouvelles colles mais aussi sa fabrication à partir de machines de plus en plus sophistiquées. © Photographie Musée Ingres de Montauban.
Photographie 2 : Image en transparence d'un papier chiffon utilisé par l'artiste, avec les caractéristiques du papier vergé que j'ai évoquées dans la description de la première photographie, et le filigrane. Les filigranes sont rendus obligatoires en France dès la fin du XIVe siècle et au début du XVe. Le papetier forme avec du fil de laiton sur le tamis le dessin de sa 'maison'. La feuille produite (dont la grandeur fait généralement un double in-folio) est ensuite découpée selon les usages. Le papier d'une gravure ne contient donc pas obligatoirement de filigrane. Chaque papeterie ayant sa 'marque' qui évolue avec le temps : le filigrane devient un élément important de datation d'un papier et par là d'un dessin ou d'une gravure. Mis en juxtaposition avec toutes les autres données il peut permettre une expertise précise. © Photographie Musée Ingres de Montauban.

© Article LM

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Des gravures de mode du XVIIIe siècle

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Grande estampe du XVIIIème siècle représentant la planche n°1 de la 13ème suite de douze différentes coiffures (chapeaux, bonnets, charlottes) à la mode en 1785. Gravure sur cuivre sur papier vergé de l'époque gravée par Dupin d'après Desrais et publiée chez Esnaults et Rapilly à la ville de Coutances, à Paris, avec Privilège du Roi. Dimensions 43 x 28 cm et 23 x 28 cm sans les marges. Texte de la gravure : 13e Suite de Coeffures à la mode, en 1786. N°1Bonnet à la Chérubin, vû sur le côtéBonnet à la Chérubin, vû par devantChapeau à la Saint DomingueLe même chapeau vû sur le côtéChapeau à la Minerve BretonneCoëffure de Mme Dugason dans le rôle de Babet, à la Comédie ItalienneCoeffure de Mlle S. Huberti de l’Académie Royale de MusiqueCoeffure de Mlle Maillard dans le rôle d’Ariane, opéraNouveau Chapeau à la FigaroNouveau Chapeau à la CharlottembourgCoeffure à la nouvelle CharlotteCoeffure de la Beauté de St JamesDesrais del. Dupin sculp. – A Paris chez Esnauts et Rapilly, rue S. Jacques, à la Ville de Coutances. Avec Privil du Roi. 

Nous avons vu dans l’article du 2 octobre 2007 intitulé : Les almanachs de mode du XVIIIe siècle, l’importance de ces petits livres dans la divulgation de la mode dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les gravures sont un autre moyen. Elles offrent des exemples de coiffures ou d’habits à la mode du jour ou des années précédentes. Elles sont envoyées en province et dans le monde entier pour servir de références aux marchandes de mode, coiffeurs et dames. Elles sont vendues sous la forme de suites (parfois reliées entre elles) ou au détail. Elles sont un témoignage capital de la divulgation des modes au XVIIIe siècle. Fréquentes à l’époque, ces estampes sont très rares aujourd’hui. Certaines recensent des modes vieilles de plusieurs siècles et prouvent qu’il y avait alors une véritable culture de la Mode et de son histoire qui n’est pas si éloignée de la notre avec ses nouveautés portées par les fabricants (dont certains sont de véritables ateliers de haute-couture) et autres artisans coiffeurs … ayant eux aussi leurs figures de proue. Dans la gravure présentée ici, la date de 1785 est très proche de celle de l’édition (fin du XVIIIe siècle) comme le montrent divers éléments tels : les dates des auteurs Desrais et Dupin, la période où la maison d’édition indiquée sévit, le type de papier utilisé et son filigrane, le Privilège Du Roi (APDR) antérieur à 1794 ... Nicolas Dupin est un graveur actif à la fin du XVIIIe siècle et Claude-Louis Desrais (1746-1816) est un peintre à l’origine de nombreuses gravures de mode comme : Mode du jour, Le Serail en Boutique, Promenade du Boulevard des Italiens… de même que de diverses estampes répertoriant les modes de l’époque comme celles de la revue : Cahiers de Costume Français. Esnaults et Rapilly sont des vendeurs/éditeurs de la fin du XVIIIe siècle qui ont publié de nombreuses gravures récapitulant les modes de leur siècle, dont plusieurs sont d’après Desrais et gravées par Dupin. On peut en voir quelques-unes sur le site de la Réunion des Musées Nationaux (http://www.photo.rmn.fr) en faisant une recherche par Desrais Claude-Louis (1746-1816). Sur ce même site il y a une gravure semblable à la notre (cliquez ici) mais coloriée. La seconde gravure présentée ci-dessous est aussi d’époque et coloriée. On peut du reste observer le raffinement des tons chatoyants ou pastel.

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Gravure de la seconde moitié du XVIIIe siècle, avec 4 vignettes représentant des dames en buste coiffées de chapeaux : Chapeau à la Bostonienne, Chapeau à la Voltaire, Nouveau Casque à la Minerve ou la Pucelle d'Orléans, et Chapeau à la Colonnie (orthographe de l’époque). La gravure avec ses marges fait 23,5 x 35 cm et sans 21,1 x 27,4 cm. 

Les almanachs et les gravures ne sont pas les seuls à permettre aux modes parisiennes de se répandre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. On publie aussi des périodiques comme nous le verrons dans un autre article. Et puis il y a les poupées de mode qu’on habille au goût du jour et qui portent la mode loin.

Retrouvez la collection LM des Modes en France du XVIIe siècle au début du XIXe en vente sur : http://richard.lemenn.free.fr/rubriques/modes.html

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Sylphes et sylphides

lafeuillesanstitren317doublepagegravure300lmlafeuillesanstitren317pagegravure300lmOn appelle sylphides et sylphes des jeunes femmes et hommes dont la beauté confère au merveilleux, à la féerie.
Dans la mythologie les sylphides et les sylphes sont des génies élémentaires de l’air.
Chateaubriand (1768-1848) raconte avoir créé dans son esprit  une sylphide qui lui tient compagnie. Ils sont des êtres de rêve, représentant l’idéal masculin ou féminin pour les romantiques jeune-France versés dans l'imaginaire, la fantaisie, la mélancolie et la passion. Le premier grand ballet romantique se nomme La Sylphide. On peut lire un long article ayant pour sujet ce personnage ici.
Photographies : Double page et détail du numéro 317 du quotidien La Feuille sans Titre, du dimanche 24 décembre 1777. Ce journal qui paraît du 1er février au 31 décembre 1777 prend comme modèle le premier quotidien français : le Journal de Paris qui paraît à partir du 1er janvier 1777 jusqu'en 1840. La Feuille sans titre se différencie quelque peu notamment en proposant à partir de son numéro 100 toutes les semaines une gravure de coiffure sur buste. Dimensions : 21x17 cm. Le premier volume (sur deux) rassemblant ces parutions est visible sur : gallica.bnf.fr. Le numéro présenté ici expose dans sa rubrique 'Modes' une gravure et la description de la « Coiffure à la Sylphide ». Voici le texte :
« Coiffure à la Sylphide.
lafeuillesanstitren317pagegravurea250lmOn sait que les Sylphes & les Sylphides étaient, selon les Cabalistes, des esprits aériens qui se montraient quelquefois sous des formes humaines, mais toujours belles & élégantes, & c'est sans doute la raison pour laquelle on a donné à cette Coiffure le nom de Sylphide.
Le toupet & les faces se relèvent sur le coussinet comme dans les autres accommodages, en formant sur le sommet de la tête un demi-cercle parfait. De dessous le toupet ainsi ajouté, sort une masse de cheveux qui ont la même direction & qui paraissent en former un second, mais distingué, & séparé de l'autre. Cette masse de cheveux est ajustée en manière de toque, d'où sort du côté gauche une aigrette attachée par un petit flot de ruban, & du côté droit une cocarde. Cette toque formée de cheveux, comme nous l'avons dit, s'appuie sur le chignon retroussé négligemment, mais maintenu par le milieu d'un large ruban à la hauteur des oreilles. Au lieu de retrousser les extrémités des cheveux du chignon en dessous, on les laisse pendre négligemment pardessus, mais les pointes frisées en bequilles. Les faces ne consistent qu'en une grosse boucle, de chaque côté, qui prend de derrière l'oreille & va en remontant se terminer à la toque & au chignon pour remplir l'espace qui les divise. Sous cette boucle, les cheveux qui pourraient en former une seconde, pendent négligemment & sans apprêt jusques sur l'épaule ; & cet espèce de négligé, dans une Coiffure soignée, pour tout le reste, fait un contraste des plus agréables, & donne à la physionomie un certain air de négligence & de douceur qui ne peut manquer de plaire. Dans une partie de cette coiffure ; c'est la Dame la plus occupée de sa coiffure ; dans l'autre c'est celle qui, contente des dons de la nature, les laisse dans l'état qu'elle les lui a donnés, & n'en paraît pas moins belle.
C'est peut-être aussi pour cela qu'on a donné à cet accommodage le nom de Sylphide ; les esprits ne s'occupant guère des ornements des corps qu'ils empruntent ou que quelques sectes leur prêtent.
En jetant les yeux sur cette Coiffure, nous l'avons trouvée élégante & gracieuse ; & nous ne doutons pas, que venant de la source du goût en ces matières, les Dames ne nous sachent bon gré de la leur avoir procurée. »
Pour comprendre un peu mieux la coiffure féminine de cette époque, on peut regarder ces photographies d'une tête de femme datant du XVIIIe siècle qui nous permettent d'appréhender l'archétype de cette manière de cheveux de face, de trois quarts et de dos. Photographies 1, 2 et 3.

© Article LM

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La mode des amériques d'avant et après la guerre de 14-18 : le tango, les jazz-band, le swing, le fox-trott, les années folles ...

J'ai montré dans les articles des 28 et 31 octobre et des 4 et 7 novembre 2008 l'importance de la mode anglaise en France à partir du XVIIIe siècle. Mais au début du XXe siècle, ce sont les modes venues des amériques qui prennent le dessus. Le livre intitulé La Ronde de nuit (première photographie) offre quelques exemples des occupations très américaines de la jeunesse de l'avant et après guerre de 14-18. Il s'agit d'une compilation d'articles de Sem écrits pendant cette période et rassemblés par l'éditeur dans cette première édition originale de 1923. Le second article date d'avant la guerre : de 1912 « année mémorable qui vit le tango argentin, nouvellement débarqué à Paris, y risquer ses premiers pas compliqués. » Quelques lieux où on se passionne pour cette danse d'Amérique du sud y sont décrits. Le premier article (qui porte le titre du livre) date de 1920. Il évoque la mode d'Amérique du nord de l'après-guerre dans la capitale, durant les années folles : « Cet article est la description un peu poussée d'un dancing clandestin. Il a été écrit au lendemain de la guerre, après l'armistice. A cette époque, pour économiser la lumière électrique, disait l'ordonnace de police, tous les lieux de plaisir devaient être fermés à onze heures précises. Comme cela gênait les noctambules enragés on essaya de tourner la loi. Des tenanciers ingénieux organisèrent des dancings plus ou moins dissimulés, dénommés noblement « clubs », qu'ils éclairaient avec des lampes à pétrole et des bougies. » Une bande d'amis au sortir d'un dancing se rend dans un de ces lieux, une petite maison de banlieue abandonnée, dans laquelle se réunit toute la jeunesse chic de ce début des années folles pour y danser frénétiquement sur des rythmes noirs américains d'un jazz-band. L'avant dernier article est de 1921. Il s'articule autour de la danse : le fox-trott, le shimmy, les dancings, les restaurants à musique, les thés dansants, les danses en appartement au son d'un phono ... Le dernier papier, date de 1922. Il s'intitule « Brodway à Paris » : « Naguère, Montmartre avait le monopole des boîtes de nuit. Mais ce Montmartre frelaté (pas celui des artistes) s'est démocratisé à l'excès et les étrangers chics ont émigré vers des zones moins canailles. Leur essaim bourdonnant et doré s'est abattu un beau soir, on ne sait pourquoi, sur cette pauvre vieille rue Caumartin. C'est là que bat maintenant, avec le plus de frénésie, le rythme trépidant de la vie américano-parisienne. » L'auteur compare cette rue à « une sorte de Broadway en miniature » avec ses dancings comme le Teddy, le So different ... et surtout le Maurice's Club. De nombreux américains s'y retrouvent. On est ici près des fameux grands boulevards (Les Boulevards des Italiens, des Capucines et de Montmartre) puisque la rue de Caumartin débute au commencement du boulevard des Capucines.

Deuxième photographie : Page de la revue Fantasio (152) : « Un début dans le monde / en 1923 / L'invitation à la valse / dessin de Lorenzi. ». Fantasio est une revue satirique illustrée bimensuelle publiée à partir de 1907 jusqu'à la fin des années 1920. Dimensions : 29,8 x 20,6 cm.

Troisième photographie : Prospectus original (trouvé dans la cave du café Au Père tranquille dont l'emplacement est encore aujourd'hui en face des halles), d'époque 'Années folles' (1918-39), de 10,6 x 13,4 cm. « Paris la Nuit aux Halles – Au Père Tranquille – Cabinets Particuliers - Soupers » Au dos : « ''Au Père Tranquille'' / le célèbre Cabaret-Restaurant des Halles / 16, rue Pierre-Lescot, Paris-1er Tél.: Louvre 20-34 / Soupers - Dancing - Chants - Attractions / de minuit au matin/ Tous les Plaisirs et Amusements / dans le « Ventre de Paris » / La Fameuse Soupe à l'Oignon Gratinée à 6 francs / Le Champagne de Marque à partir de 50 francs / et tout un Souper à des Prix Modérés / - Bar : consommations 8 francs - » L'actuelle brasserie parisienne Au Père tranquille existe depuis la fin du XIXe siècle quand les halles (le ventre de Paris) sont encore présentes (elles sont remplacées par l'actuelle galerie marchande à partir des années 1970). Le prospectus date des années folles. A cette époque le lieu fait office de cabaret – restaurant avec soupers, dancing, chants et attractions. On remarque qu'il allie toutes les gammes (de la soupe à l'oignon à 6 fr au champagne à partir de 50 fr) et est donc largement ouvert tout en étant chic.

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Les petits crevés.

Le nom de 'petit crevé', ou 'crevé', désigne un genre de jeune homme à la mode. Il est fréquemment utilisé au XIXe siècle , mais son origine me reste encore mystérieuse.

Dans son livre intitulé La Comédie de notre temps de 1874, Bertall (1820-1882) semble dire que c'ette appellation est une invention de Nestor Roqueplan (1805-1870) : "Les allures grêles et mourantes que se plaisaient à prendre les cocodès, ont donné à Nestor Roqueplan, ce Parisien émérite, l’idée de les intituler petits crevés. Le mot a prévalu. – Les cocottes sont devenues dès lors des crevettes. De même, que l’on s’honorait d’être appelé jadis ou incroyable, ou lion, ou fashionable, ou dandy, ou cocodès, on s’est honoré d’être nommé petit crevé. La guerre ayant démontré que les petits crevés se battaient aussi bien et savaient mourir sur le champ de bataille aussi bravement que les autres, le mot qui semblait contenir une accusation de faiblesse ou d’impuissance est tombé en désuétude." Dans Le Trombinoscope (toute fin du XIXe siècle) on lit : "Angénor devint un des spécimens les mieux réussis de cette génération de crevés que le réveil politique de 1868 et 1869 trouva insensibles, engourdis et hébétés, selon la formule napoléonienne. […] Aujourd’hui, Angénor n’est plus le petit crevé de 1869 …" D'après ces sources, il semble faire aucun doute que cette dénomination apparaît au début de la seconde moitié du XIXe siècle, pendant le règne de Napoléon III (de 1852 à 1870) et plus certainenement vers 1868. Seulement j'ai trouvé ce même nom dans une pièce de 1811 : " Eh ! on a une tournure à enlever le coeur de la belle et le consentement du père ! LUCIEN. C’est vrai ! Tu es joliment bien mis tu as l’air d’un…. ISODORE, pirouettant. J’ai l’air d’un petit crevé ! Dites le mot ! C’est assez chic ! Hein ? " Pompigny, Le Mystère ou Les deux frères rivaux, mélodrame … Représenté, pour la première fois, sur le théâtre de l’Ambigu-Comique, le 8 janvier 1811.

Ce nom est donc plus ancien que ce que prétend Bertall. Est-ce qu'il fait référence aux crevés :  une mode vestimentaire qui existe déjà au Moyen-âge, et qui consiste à porter des habits dans lesquels sont cousues des 'déchirures' ? Ce style perdure jusqu'au début du XXe siècle. La vendeuse d'images présente sur son site (www.lavendeusedimages.fr/) plusieurs exemples de manches à crevés datant du XIXe siècle. Et pour en revenir au Moyen-âge, cette période de mille ans connaît de nombreuses prouesses vestimentaires, des innovations et des audaces qui portées aujourd'hui passeraient pour ultra-modernes, voir fantasques : ainsi pratique-t-on les crevés ; utilise-t-on des tons et des motifs très voyants ; joue-t-on sur la dissymétrie : une manche plus longue que l'autre, un bras rouge, un autre bleu, une jambe verte et l'autre orange ; porte-t-on des chapeaux de toutes formes et hauteurs, des chaussures exagérement pointues se terminant parfois par un visage ; et une multitude d'autres inventions qui témoignent d'une grande créativité ...

Il est possible que le nom  de 'petits crevés' désignant une catégorie de jeunes hommes vienne aussi de leur air "crevé", désabusé, que l'on retrouve chez nombre de petits maîtres adoptant la posture en chenille dont je parle dans l'article du 16 mars 2009 intitulé Le petit-maître en chenille. Une chose certaine c'est qu'on désigne par ce nom des jeunes hommes élégants pendant tout le XIXe et la première moitié du XXe. Ainsi Henry de Montherlant (1895-1972) écrit-il dans Les Célibataires (1934) : "Ce jeune crevé, hâve, voûté, avec sa coiffure de rhétoricien". Enfin finissons par ces vers de Paul Verlaine : " Les petits crevés et les petites crevettes (...) / Nos vestons courts jusques aux nuques / Nous donnent un galbe parfait. / Et nos chignons font leur effet / Même sur les eunuques. " (Premiers vers,1858-66). Dans ce poème il y est aussi question de la crevette : le pendant féminin du crevé dont je parle dans plusieurs articles de ce blog.

Photographie 1 : "Un crevé ébaubi" Chromolithographie de la fin du XIXe siècle.

Photographie 2 : " Chapeau du petit crevé. " Bertall, La Comédie de notre temps, vol. 1, Plon, Paris, 1874.

Photographie 3 : "1867. LE CREVÉ. - L'adorable élégant que l'Europe nous enviait entre beaucoup d'autres choses. " Détail de la double page intérieure du journal La Caricature du « 10 Décembre 1881 » (n° 102) intitulé « La Genèse du gommeux ».

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Les romantiques 'jeune France' et 'nouvelle France'.

Après les merveilleux, les muscadins, les incroyables, les fashionables, les calicots, les mirliflors puis les dandys, voici les jeune-France (ou nouvelle France) qui officient à l'époque des lions, avant les gants jaunes, les daims, les gandins, les cols cassés, les fendants, les petits crevés, les gommeux ...

Si les termes de jeune ou nouvelle France s’appliquent aux romantiques ; avant eux, certains élégants ou élégantes très modernes sont appelés : dames ou hommes de la nouvelle France. Le mouvement dit romantique est relativement récent dans l'hexagone par rapport à d'autres pays comme l'Angleterre ou l'Allemagne. Les 'jeune France' appelés aussi 'nouvelle France' représentent la jeunesse passionnée et moderne d'une époque, en opposition avec l'ancienne 'rigidité' classique. Ils portent des cheveux longs, souvent ébouriffés et des tenues caractéristiques. « La Bataille d’Hernani » est un moment important du mouvement romantique dans l'hexagone. Elle se passe à la Comédie-Française (qui s’adosse au Palais-Royal), le 25 février 1830, pour la première de la pièce de Victor Hugo. Celle-ci remet en question les canons du théâtre classique et notamment les trois unités de temps, de lieu et d'action. Le spectacle est dans la salle davantage que sur la scène. Les jeune-France du parterre, aux cheveux longs et aux manières passionnées, parmi lesquels se signalent Gérard de Nerval et Théophile Gautier, interpellent les anciens présents qui restent fidèles aux règles classiques. Dans son Dictionnaire de la langue verte, Alfred Delvau (1867) donne la définition suivante du jeune-France : « Variété de Romantique, d’étudiant – ou de commis en pourpoint de velours, en barbe fourchue, en cheveux en broussailles, avec le feutre mou campé sur l’oreille. » Dans son recueil Les Jeunes France (1833), Théophile Gautier (1811-1872), dépeint un de ces jeunes hommes dans le conte légèrement érotique intitulé : Celle-ci et celle-là, ou la Jeune-France passionnée, qui esquisse ce qu’est un petit-maître romantique : poète, passionné, jeune, libre, déluré, libertin, badinant voluptueusement avec une grisette, amoureux vainqueur d’une grande dame, argumentant en faveur de Victor Hugo face au mari 'trompé' adepte du classique Racine ... En voici quelques passages : « Il s’en allait coudoyant ses voisins de droite et de gauche, fourrant sa tête sous le chapeau des femmes, et les regardant entre les deux yeux avec son binocle. Il s’élevait sur son passage une longue traînée de malédictions et de : Prenez donc garde ! entrecoupés çà et là du : Oh ! admiratif de quelque merveilleux, pour son gilet ou sa cravate […] Les passions dévorantes qui bouillonnaient dans son sein lui avaient aiguisé l’appétit […] Le théâtre oscilla deux ou trois fois devant ses yeux ; les tibias lui flageolaient d’une étrange manière ; le lustre, dardant dans ses prunelles de longues houppes filandreuses de rayons prismatiques, le forçait à cligner des paupières ; la rampe, s’interposant comme une herse de feu entre les acteurs et lui, ne les lui laissait voir que comme des apparitions effrayantes ; […] Rodolphe, qui avait soutenu plus d’un duel avec l’ivresse, ne se déconcerta pas pour si peu ; il prit bravement son parti : il boutonna son frac jusqu’au col, remonta sa cravate, prit sa badine entre ses dents, enfonça ses deux mains dans ses goussets, écarquilla les yeux pour ne pas s’endormir, et fit la contenance la plus héroïque du monde […] De retour chez lui, quoiqu’il fût une heure du matin, il se mit à donner du cor à pleins poumons ; il déclama à tue-tête deux ou trois cents vers d’Hernani […] A voir la manière dont il s’en allait dans la rue, la main dans sa poitrine, les sourcils sur le nez, les coins de sa bouche en fer à cheval, les cheveux aussi mal peignés que possible, il n’était pas difficile de comprendre que ce pâle et malheureux jeune homme avait un volcan dans le coeur. […] si bien que tout le monde, qui s’attendait à voir un original, un lion comme disent les Anglais, était émerveillé de le voir s’acquitter des devoirs sociaux avec une aisance aussi parfaite. »

Photographie : Détail de la double page intérieure du journal La Caricature du 10 décembre 1881 avec pour légende : « 1830. LA JEUNE FRANCE. - Une mode diabolique qui dut vivement impressionner les femmes sensibles du temps : séduire par la terreur ! ».

Photographie : « ANCIEN JEUNE FRANCE 1838. Souvenirs et regrets du vrai libéralisme, de la jeunesse vraie, du vrai chapeau. » Bertall, La Comédie de notre temps, vol. 1, Plon, Paris, 1874.

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Boucles, macarons et papillotes

bouclesXVIIIe500aPhotographies du dessus : Détails de gravures du dernier tiers du XVIIIe siècle.
Photographies du dessous : - La première planche date de 1830 et provient du Journal des Dames et des Modes : « Coiffure ornée de rubans de gaze par Mr. Hulot, Rue de la Michaudière, N°29 ... » - La seconde est issue de la même revue et date de 1831 : « Coiffure exécutée par Mr. Victor Plaisir ... » Dans le premier exemple les cheveux forment un chignon au sommet du crâne avec sur le haut des tresses, le tout agrémenté de rubans, et de deux macarons sur les tempes. Dans le second les cheveux sont tous ramenés en chignon au dessus de la tête et sur le derrière, avec une partie lisse et une autre tressée, le tout agrémenté de perles et de fleurs.Coiffures18301831500
bouclesXIXe200Photographies de gauche : Exemples de coiffures de 1817 à 1845.
Les cheveux bouclés sont très à la mode en France, en particulier aux XVIIe et XVIIIe siècles. De nombreux exemples sont exposés sur mon site www.lebonton.com en particulier à la page consacrée aux périodiques de mode et à celle traitant de la coiffure. Une chevelure dense et bouclée exprime la virilité d'un homme dans toutes les couches de la société et la beauté d'une femme. D'où l'usage de perruques parfois immenses et presque toujours frisées, de fers à friser et de papillotes.
Dans les années 1815-1845 à peu près, en pleine époque romantique où les Nouvelle-France se laissent pousser les cheveux longs, il est de bon ton d'avoir une coiffure dépassant en boucles des chapeaux au niveau des tempes. Cela donne, chez les dames comme chez les hommes, d'étonnants exemples, avec des cheveux frisés sur les côtés, gonflés parfois comme des chignons. Chez les femmes il s'agit de ce qu'on appelle 'les macarons', ce qui consiste à séparer les cheveux au milieu du haut du crâne en deux parties égales pour les réunir en une forme arrondie sur chaque oreille. Ces macarons sont sans doute parfois factices car lorsque les dames n'ont pas de chapeau, l'équilibre est obtenu par un haut chignon (lui aussi certainement parfois faux) souvent de plusieurs dizaines de centimètres. Les hommes eux se contentent de boucler leurs cheveux au niveau des oreilles. Au XIXe siècle, les hommes qui ne portent plus beaucoup de perruques utilisent, comme les femmes, les papillotes et un fer à friser. Il y a tout un art des papillotes. La mythologie du héros gaulois chevelu, créée au siècle de Victor Hugo, trouve sans doute son origine dans le soin que le sexe masculin apporte, comme le féminin, à sa chevelure. Cependant les exemples de l'histoire de la coiffure masculine française nous dévoilent une plus grande finesse que celle des représentations des Gaulois exécutées au XIXe siècle. Il suffit de se rappeler les perruques poudrées du temps de Louis XIV !
Photographies ci-après : 1 - Lithographie du XIXe siècle (années 1830) de Daumier tirée de la revue Le Charivari, de la série 'Types parisiens' (planche 35), avec pour légende « Un coup de feu ! ». Format : 22 x 26 cm. « Imp. D'Aubert & Cie. ». L'image représente l'intérieur d'un salon de coiffeur parisien qui fait un thermobrossage à un client justement pour que la coiffure de celui-ci ait du volume au niveau des oreilles. 2 - Estampe en pleine page provenant d'un journal avec un texte au dos. Elle fait partie de la collection « Petites misères » et a pour légende : « Bon ! V'là mon fer qu'est trop chaud à s t'heure (dit le Merlan) ah ! Bé Dam ! Tant pire ! » Il est marqué au crayon 1840. On lit dans le Dictionaire critique de la langue française (Marseille, Mossy 1787-1788) que l' « On appelle populairement Merlans, les garçons perruquiers. » 3 - Estampe en pleine page, sans doute tirée d'un livre ou d'un journal avec un texte au dos que l'image illustre. Elle fait partie de la collection « Musée Pour Rire » et a pour légende : « J'ai ta lettre chérie, O mon Ernest, je la presse sur mon coeur et la couvre de mes baisers … Qu'il m'est doux de penser que tu en fais autant de la mienne ! Comme l'amour sait poétiser les choses les plus vulgaires ! Ton Elise. Ernest s'en fait des Papillotes. » papillottesXIXea500Photographie : Détail d'une illustration pleine page de la revue La Mode, datant de 1837. triodetail300

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Reconnaître les livres anciens

L'histoire du livre occupe une longue part de l’Histoire avec un grand ‘H’ que l'on fait commencer à l'avènement de l'écriture. Certains font remonter les premiers livres à la haute Antiquité avec les tablettes d’argile ou de pierre ; d’autres à la fin de l’Antiquité avec l’abandon progressif du volumen (rouleau en papyrus ou parchemin) pour le codex (ensemble de feuillets reliés au dos) que le Moyen-âge utilise presque exclusivement en joignant entre elles des feuilles de parchemin. Les peaux de dizaines de moutons sont nécessaires à la réalisation d’un seul livre. Ce sont des ouvrages de luxe entièrement écrits à la main, parfois enluminés d’ornements et illustrés de miniatures, et dont les reliures peuvent être serties de joyaux ou d’autres éléments affirmant leur valeur. Le papier apparaît au XIIe siècle. Il se généralise peu à peu, surtout avec l’avènement de l’imprimerie grâce à Gutenberg dès 1450. Les premiers livres imprimés (jusqu'à février 1501) sont appelés des "incunables" (du latin incunabulum : berceau) ; ceux qui suivent des ouvrages modernes. Les incunables n'ont souvent ni page de titre, ni date ; ce qui rend leur identification difficile. Par contre dater un livre ancien est relativement aisé ; car cette datation est confortée par de très nombreux éléments. Le premier aspect à prendre en compte est la date de publication indiquée généralement au bas de la page de titre, ou bien au "colophon" (à la fin) pour les livres de la fin du XVe siècle et du début du XVIe. Le second élément, qui est souvent le premier car constituant l’approche initiale d’un livre, est la reliure. Aux XVe et XVIe siècles elle est souvent en parchemin ou vélin. Une reliure du XVIIIe siècle se différencie très nettement d’une du XIXe. Il suffit d’en comparer une dizaine des deux périodes pour s’en rendre compte. Sous l'ancien Régime, la plupart des reliures sont en pleine peau. Avec la Révolution et la pénurie de cuir, se généralisent les demi-reliures (dos en cuir, mais carton et papier marbré pour les plats). Le travail du relieur des XVIIe et XVIIIe siècles est très spécifique et le plus souvent particulièrement abouti. Parfois les plats, et presque toujours le dos des ouvrages en cuir, sont ornés de décors dorés, mélanges d'encadrement, de dentelles ou de fers à motif particuliers. Le contenu est de toute première importance : le texte, les gravures, le papier aussi. Ce dernier a ses caractéristiques suivant les périodes de sa confection. Jusqu’au début du XIXe siècle, il est produit à partir de chiffons de lin ou de chanvre. Sa préparation donne un aspect vergé caractéristique et facilement décelable à la lumière. En transparence, on peut sur certaines feuilles identifier un filigrane qui est un motif (dessin, texte …) distinctif du lieu de fabrication. Enfin, la qualité de la pâte, son épaisseur … ont leur importance. Tous ces éléments viennent confirmer la datation d’un livre. Ensuite d’autres aspects s’ajoutent pour en évaluer sa valeur. Mais nous verrons cela dans un autre article. 

Reliures-L-Intersigne-.jpglogolintersigne155.gifLivres en vente à la librairie d’Alain Marchiset L’Intersigne : www.livresanciens.eu
De gauche à droite :
- Arnauld de Villeneuve, Libellus de regimine senû et seniorum, Paris, F. Baligault, sans date (incunable de vers 1500) ;
- Vesling, Syntagma anatomicum, 1647 (reliure en parchemin) ;
- Torquemada,  Hexameron, 1610 (reliure aux armes) ;
- Du Verney, Traité de l'organe de l'ouie, 1683 (reliure du 17e s.) ;
- Newton, Arithmétique universelle, 1802 (demi-reliure) ;
- Nynauld, De la lycanthropie, 1623 (reliure de luxe du 19e s.).

Sur la place du livre ancien dans le monde contemporain, notons les intéressants articles d’Alain Marchiset (Président d'honneur du SLAM : Syndicat de la librairie ancienne et moderne)
comme celui intitulé :
Quel avenir pour le livre ancien ? 

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Environnement - Gnôthi séauton.

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Saint-Lambert, Jean-François de (1716-1803), Les Saisons, Poëme, Troisième édition corrigée & augmentée, Amsterdam, 1771. La première partie contient un long poème sur les saisons et est illustrée de belles estampes dont une gravure et une vignette pour chaque saison. Le frontispice est sculpté par Augustin de Saint-Aubin (1736-1807) d’après Jean Baptiste le Prince (1734-1781). Les cinq vignettes sont de Pierre Philippe Choffard (1730-1809). Les quatre planches hors texte sont gravées par Jean Baptiste le Prince (1767), Benoît Louis Prévost (1735-1808), Jean François Rousseau (1740-?) et Nicolas de Launay (1739-1792), d’après Jean Baptiste le Prince et Hubert François Bourguignon dit Gravelot (1699-1773).

lessaisons900.jpgAujourd hui le terme 'environnement' est particulièrement utilisé pour parler de l'action de l'homme sur la nature. Son signifié est cependant plus large que cela et met en relation une multitude d’interconnections. Ce mot englobe tout ce qui nous entoure : la nature, les relations entre les êtres humains, le social, le familial, l'histoire, l'art …, ce qu'on appréhende ou pas. Envisager l’environnement c’est le faire à notre mesure, c'est-à-dire d’une manière réductrice. On ne peut donc imposer une vision qui nous est propre. C’est apprendre à chaque instant. Il en est ainsi avec les objets d’art. Une véritable communication s’établit avec le passé obligatoirement fragmentaire car le résultat de choix personnels.  Il est possible de partager cette vue avec ceux qui le désirent, en cherchant dans notre patrimoine ce qui nous semble le plus proche de notre cœur, le plus en harmonie avec nous-mêmes et les autres. Le travail d’antiquaire demande une certaine érudition et beaucoup de sensibilité. On découvre parfois une grande finesse dans certaines œuvres anciennes, une beauté souvent absente de l’art contemporain. Dans la mesure de nos moyens, nous essayons de trouver dans ce que le passé nous a transmis ce qu’il y a de meilleur et qui pourrait servir d’inspiration pour notre présent et le futur. Nous envisageons de nous ouvrir de plus en plus à d’autres antiquaires ayant une conscience pas seulement marchande mais aussi esthétique et philosophique des objets d’art qu’ils proposent, et aux conservateurs du fond public des musées, bibliothèques …, aux étudiants faisant des recherches diverses, aux collectionneurs, aux artisans et cetera desunt. Par l’intermédiaire des objets que nous présentons, nous espérons dévoiler quelques idées esthétiques. Celles-ci ont besoin d’être confrontées à la réalité ; et pour passer de l’une à l’autre (de l’idée à la réalité), l’art est la plus belle des transitions. Les objets d’art sont un patrimoine commun. Autour d’eux, nous pouvons dialoguer avec discernement, partager, trouver équilibre et harmonie. Comme on l’a écrit dans l’article du 28 août 2007 intitulé LM, la mesure de l’excellence c’est avant tout celle de soi-même. Le « Connais-toi toi-même » (gnôthi séauton en grec ou nosce te ipsum en latin) qui était  inscrit sur le temple d'Apollon à Delphes dans la Grèce antique est toujours d’actualité. 

Dans www.lamesure.fr, nous proposons une rubrique consacrée aux pastorales avec des livres et des gravures du XVIIIe siècle qui nous permettent d’égrener avec amour les saisons, les mois, les heures … de partager un environnement dont le rythme est toujours présent comme le sont les battements de nos cœurs.

les4partiesdujour400.gifZachariae, Friedrich Wilhelm, Les quatre parties du jour, Poëme traduit de l’allemand de M. Zacharie, Paris, J. B. G. Musier Fils, 1769. Peut-être la première édition de cette traduction. Une gravure et une vignette introduisent chaque partie du jour : le matin, le midi, le soir et la nuit. Elles sont sculptées par Jean Charles Baquoy (1721-1777) d’après Charles Eisen (1700-1777). Le frontispice représente l’auteur puisant son inspiration chez sa Muse et dans la fontaine Hippocrène. 

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Philosophie de l’élégance V

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessus : « Les Amours du Bon Ton ». « Vous devez me trouver bien inconséquente… ! »

LA DOUCEUR. Selon Diogène Laërce, des auteurs prétendent que la fin (le but) de l’homme, pour certains sceptiques, […] serait la douceur (Source). Le mot « douceur » (πραότητα) conclut même la vie de Pyrrhon racontée par Diogène Laërce. Je trouve cela très beau… un magnifique programme. La douceur est une chose très belle et précieuse. Il ne s’agit pas bien sûr de mollesse, mais d’action juste. Elle est inhérente à l’élégance, bien que cachée suivant l’adage Ars [est] celare arte (voir article II), ou suivant d’autres formules comme Ne quid nimis (rien de trop).

Les Pyrrhoniens suspendent leur jugement (assentiment), car à tout argument s’oppose un argument égal. Il ne s’agit pas là de mettre face à face du vrai et du faux, mais deux vérités opposées concernant un même sujet. Par exemple, on peut dire qu’un corps est beau, parce qu’il est harmonieux, bouge avec grâce, est une horloge très subtile et fantastique, etc. ; mais on peut tout aussi bien affirmer que ce même corps est laid, composé d’éléments répugnants comme les urines, les selles, le sang, la morve…, sujet à l’impermanence (la vieillesse, la mort, la maladie…), etc. Ces deux affirmations contraires sont vraies. Le Pyrrhonien ne tranche pas ; il ne peut honnêtement le faire, et donc il suspend son jugement. Cette connaissance, ou plutôt reconnaissance, le rend humble et doux, car notamment ouvre son champ de vision tout en relativisant sa capacité à connaître, et le protège de toutes les duretés, notamment la dogmatique.

Jusqu’à Charles Trenet, et sa chanson Douce France, et depuis des temps immémoriaux, la France est la dolce France. Il faut vivre au moins une fois cette douceur pour la comprendre… Et encore… Il existe tellement de niveaux… plus ou moins profonds, délicats, délicieux, riches, pétillants, lumineux… de douceur…

La douceur est aux fondements de l’élégance. Par exemple, la politesse n’est que cela. Pourtant, comme déjà dit, certains y voient un moyen de dissimulation ou une guerre ou bien un système rigide, dur, etc. Pourtant, selon moi, la vraie politesse n’est que douceur. Quand je parle de douceur, il n’est pas question de mièvrerie bien sûr.

Merveilleuses et merveilleux

LA TRANQUILLITÉ DE L’ÂME Je trouve, mais peut-être ai-je tord, que la chose la plus importante pour l’être humain est la tranquillité de l’âme. Elle est difficile à obtenir quand on n’a pas une tranquillité de vie, c’est-à-dire sans ce qui trouble. Il faut connaître cela pour voir la richesse qui en découle. Cela peut être, par exemple, comme lorsque l’on boit un très bon champagne. C’est pétillant, doux, goûteux, et nous ouvre l’esprit, ce qui le rend joyeux.

Un des je-ne-sais-quoi qui font l’élégance est cette tranquillité de l’âme, cette douceur précieuse qui distingue et est distinguée, qui se pose exactement au bon endroit, qui est amour et donc aimable.

Merveilleuses et merveilleux

L’AMABILITÉ ET L’AMOUR. Selon Platon, il y a trois sortes de civilité : la politesse, la bienfaisance et la sociabilité (Source). « Rendre de bons offices à ceux qui en ont besoin » est une marque de civilité. Il s’agit aussi de l’expression de l’amour. Cette dernière notion est fondamentale dans l’élégance telle que la France la développe, en particulier depuis la courtoisie médiévale, qui se mue en galanterie aux XVIe – XVIIIe siècles. Courtoisie et galanterie tournent autour de l’amour de la Dame, voire son culte. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet. L’amour consiste à aimer, et l’amabilité à être aimable, c'est à dire digne d’amour. On donne trop souvent à ce dernier terme des limitations qu’il ne mérite pas.  Il évoque le plus souvent ou le sexe, ou quelque chose de très grand, comme l’amour mystique. On le place donc souvent dans des extrêmes, et oublie ses nuances, comme l’amitié, etc.

Merveilleuses et merveilleux

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