Kimono

Le mois de novembre est celui de la rentrée des expositions non seulement pour 2022 – 2023, mais aussi une rentrée d’après 2020 – 2022 pas vraiment grandiose pour la culture française et pour l’intelligence en général. Je craignais que la crise orchestrée autour du coronavirus affaiblisse dorénavant la qualité des expositions, mais Alléluia, ce n’est pas le cas, avec entre autres à Lyon Poussin & l’Amour, à Ecouen Le blason des temps modernes, à Versailles Louis XV, à Sèvres Formes vivantes, au Louvre Les choses : une histoire de la nature morte, au Muséum d'Histoire naturelle Art et préhistoire, etc.

Le Musée du quai Branly ne déroge pas à cela, avec, jusqu’au 28 mai 2023, une exposition sur le Kimono, initialement présentée en 2020 au Victoria and Albert Museum de Londres, et qui depuis a voyagé une autre fois en Europe. Mis à part les ganguros, sur lesquelles je me suis un peu renseigné avant d’écrire un article visible ici, je n’y connais rien en modes japonaises, et ne vais pas faire semblant. Mais j’ai vu l’exposition dont il est question ici ! Celle-ci est particulièrement intéressante, avec de nombreux exemples de kimonos depuis le XVIIe siècle jusqu’à aujourd’hui et des documents d’époque les présentant en situation.

Photographie ci-dessus : Séance de toilette devant une table apprêtée à cet effet. Cette œuvre semble nous apprendre que, comme durant l’Ancien Régime en France, la seconde toilette était un moment où les visites étaient permises, notamment celles des vendeurs d’habits. Cette œuvre d’Utagawa Kunisada (1786 – 1864) provient du Palais impérial à Edo (Tokyo) et daterait de 1847 – 52. Le ‘rituel’ de la toilette avec la table de toilette était donc assez semblable de part et d’autre de notre planète. D’autres éléments rappellent l’histoire de la mode en France, comme les lois somptuaires édictées afin de freiner le surenchérissement de la richesse des habits, la ‘rivalité’ entre les aristocrates (samouraïs) et la bourgeoisie…

J’ai appris qu’au Japon on appelait « image du monde flottant » (浮世絵, ukiyo-e), à l'époque d'Edo (1603 – 1868) un mouvement artistique se caractérisant par des peintures et surtout une prolifération de gravures représentant des thèmes, assez nouveaux, axés sur les plaisirs et la beauté.

Pour un œil occidental, l’habillement japonais reste particulièrement original, bien que l’on y retrouve des éléments semblables dans la mode française des XVIIe et XVIIIe siècles, en particulier le goût pour la broderie. De plus, le kimono est d’inspiration chinoise, une reprise semble-t-il du hanfu (漢服) porté par les Hans avant la dynastie Qing. Depuis le XVIIe siècle, la Chine s’étant d’abord fermée à l’étranger, au XIXe siècle ayant été la victime des guerres de l’opium puis au XXe siècle jusqu’à aujourd’hui de la République populaire de Chine, le Japon a été pendant tout ce temps la principale vitrine indépendante de l’Asie, l’Inde un peu moins car sous domination principalement britannique.

D’après Anna Jackson, commissaire de l’exposition : « Dès le XVIIe siècle, les Japonais ont été friands de styles dernier cri, ce qui a stimulé les progrès techniques tandis que fabricants, détaillants et éditeurs de kimonos travaillaient main dans la main pour exploiter ces opportunités commerciales, aidés en cela par un culte de la célébrité qui encourageait les dépenses. En d’autres termes, c’était déjà la mode telle que nous la connaissons. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le port du kimono a considérablement diminué, que ce vêtement a été associé à la notion de tradition et aux visions conservatrices de la féminité japonaise. »

Elle évoque notamment « un kimono d’extérieur en brocart français. L’étoffe avait été tissée à Lyon au milieu du XVIIIe siècle afin d’être utilisée pour des costumes d’homme, mais elle a été emportée au Japon, probablement comme cadeau diplomatique. Transformée en tenue pour l’épouse d’un samouraï de haut rang, cette pièce unique a été donnée au V&A. En plus d’exporter des tissus au Japon, les Hollandais ont rapporté des kimonos en Europe, où ils ont eu un grand impact sur les tenues informelles. Des vêtements spécialement adaptés ont été commandés à des fabricants japonais, mais seuls quelques-uns sont parvenus jusqu’à nous. De manière plutôt inattendue, l’un d’entre eux a été repéré dans une collection écossaise et emprunté pour l’exposition. Ces merveilleux vêtements illustrent le fait que la mode a le pouvoir de brouiller les frontières entre ce qui nous est familier et ce qui nous est étranger. »

En contemplant cette exposition, on a l’impression que les Japonais achetaient uniquement des kimonos entièrement réalisés par des tailleurs. En vérité, comme en France, on achetait aussi de la matière que l’on cousait chez soi, et même dans les campagnes fabriquait à la maison les tissus que l’on portait.

Cette exposition ne donne aussi qu’une pâle idée de la finesse des ‘rituels’ liés à la toilette et tous les éléments qui constituaient les costumes féminins et masculins japonais. Mais était-ce possible de faire autrement ? On ne peut enseigner et apprendre tout en une fois… et même en plusieurs années !

Il est à noter qu’un vêtement très en vogue en France aux XVIIe et XVIIIe siècles (sans doute aussi avant) rappelle le kimono. Il s’agit de la robe-de-chambre ou robe d’intérieur, un habit particulièrement important dont on se servait comme un manteau d’intérieur, afin de rester au chaud. Il s’avérait indispensable en périodes froides, à des époques où l’on se chauffait au bois et au charbon. Comme on pouvait recevoir chez soi en robe de chambre, celle-ci était généralement très ouvragée, davantage qu’un manteau d’extérieur, car non soumise aux intempéries. Elle avait une forme semblable au kimono japonais et autres habits du même style chinois. En voici quelques exemples qui ne se trouvent pas dans l’exposition qui en propose cependant deux du XVIIIe siècle fabriquées à partir d’un tissu japonais… ou peut-être même d’un kimono. Voici quelques exemples de robes de chambre des XVIIe – XVIIIe siècles : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8.

Ci-dessous : Les Japonais étaient ouverts aussi aux influences extérieures, et une estampe de Yoshu Chikanobu (1838 – 1912)  donne l’exemple de l’utilisation de robes occidentales par des femmes en 1888. On l’intitule « Dignitaires profitant d’un jardin fleuri ». Cet artiste a représenté principalement des personnes en habits ‘traditionnels’, mais aussi d’autres de ces robes à la mode occidentale que l’on peut voir sur ce site américain. Ici, cette estampe reprend directement un genre de mise en scène de la gravure de mode parisienne.

Le kimono et les tissus japonais n’ont pas seulement influencés les robes de chambre occidentales, mais aussi des modes et grands couturiers dès le début du XXe siècle, comme Paul Poiret. Ce genre d’habit lâche, ample et confortable fascinait à la fin du XIXe et au début du XXe, période où les femmes utilisaient encore le corset. Certaines vedettes de la pop ont aussi porté le kimono, principalement issues des mouvances anglaises glam et fun, comme David Bowie ou Boy George.

De nos jours, au Japon, le kimono revient à la mode. Comme on peut le lire dans cet article : « La culture occidentale n’est plus aussi spéciale pour les jeunes modernes. C’est pourquoi les jeunes considèrent les articles traditionnels comme les kimonos comme étant cool et tendance. Le kimono possède un design original que les vêtements occidentaux n’ont pas. Ils se donnent volontiers à cœur joie pour parer leur kimono de leurs articles préférés. » Ces jeunes apprécient les kimonos très colorés comme ceux présentés ici.

Il est à noter que dans le même temps, la Maison de la Culture du Japon à Paris expose jusqu’au 21 janvier 2023 Un bestiaire japonais : Vivre avec les animaux à Edo – Tokyo (XVIIIe – XIXe siècles.

Ci-dessous : Détail – « Utagawa Kunisada (1786 – 1864). Trois femmes devant la boutique de kimonos. Daimaruya. Edo (Tokyo), 1840 -1845. Xylogravure polychrome. © Victoria and Albert Museum, London. Trois femmes élégantes se retrouvent devant le magasin de kimonos Daimaruya. À l’intérieur, des assistants portent des piles de tissus impressionnantes pour les montrer aux clients. Les estampes comme celle-ci représentent une excellente source de publicité pour les marchands de kimonos. Diffusant des informations sur la ville, ses commerces et les dernières modes auprès d’une large population, elles servent de guides et de souvenirs pour les visiteurs d’Edo. »

Ci-dessous : « Kimono pour femme (kosode). Probablement Kyoto, 1800 – 1850. Satin de soie (shusu) et broderie de soie et fils de soie dorés. © The Khalili Collection of Japanese Art. Sur ce kimono, les motifs de bouquets présentés dans des sacs attachés par de longs cordons à houppes ont été réalisés grâce à un savoir-faire exceptionnel. Lorsque la broderie était l’unique technique décorative, comme c’est ici le cas, elle était souvent effectuée sur un satin de soie afin d’obtenir une apparence particulièrement brillante. Les brodeurs employaient une grande diversité de points et de couleurs, ainsi que des fils dorés à la feuille d’or ou argentés à la feuille d’argent. »

Ci-dessous : « Un jeune à la mode. Utagawa Kunisada (1786 – 1864), Edo (Tokyo), 1843 – 7. © Victoria and Albert Museum, London. »

Ci-dessous : « Paire de figures de femmes. Arita, 1670 – 1690. Porcelaine peinte en émaux de surglaçage et dorure. Acquisition avec le soutien de l’Art Fund et l’assistance des legs Murray et Horn © Victoria and Albert Museum, London. »

Ci-dessous : « Sous-kimono d’homme (juban). 1835 – 1870. Coton imprimé. Étoffe : Probablement Royaume-Uni, 1835 – 1860 ; confectionné au Japon. © The Khalili Collection of Japanese Art. Ce coton imprimé était produit en Grande-Bretagne ou en France pour servir de tissu d’ameublement léger. Au Japon, ses fleurs réalistes et son fond jaune vif lui donnent un caractère nouveau et exotique. Comme souvent avec les étoffes importées, celle-ci a été utilisée pour la confection d’un sous-kimono masculin. Dès les années 1820, les Néerlandais commencent à importer davantage de cotons européens au Japon. »

Ci-dessous : « Sandales en bois (geta). Japon, 1920 – 1930. Bois avec laque rouge et or, paille de riz tissée, fourrure de lapin, velours de soie, métal © Victoria and Albert Museum, London. Ces geta ont une sur-chaussure fourrée pour plus de chaleur et de protection les jours d’hiver. Les hautes « dents » permettent d’élever celle qui les porte au-dessus du sol mouillé ou enneigé. On suppose que la personne qui les portait était assez aisée pour pouvoir s’offrir de telles chaussures. Les côtés, eux, sont ornés de grues et de pins en rouge et or. » Ce genre de chaussures rappelle les chopines et patins occidentaux : voir ici, ici, ici et ici.

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