Se faire arranger les cheveux est un acte important de la vie élégante. Le coiffeur qui connaît son métier sait toute la portée de ses ciseaux et la 'gravité' de son geste. Comme on le devine par son mouvement représenté dans la caricature ci-dessous, c’est un artiste qui tient dans ses mains la vie mondaine de sa cliente. Tous ses muscles sont tendus vers sa mission. Il est armé comme un hussard, une paire de ciseaux sur la hanche et un peigne en arme légère dans les cheveux. L’effort qu’il déploie est gorgé de toute la verve qui donne en France les révolutions : celle de 1789, celle artistique des Romantiques, celle des Trois Glorieuses. Évidement, tout cela est ironique ! Cette lithographie date de la Monarchie de Juillet (1830 et 1848) qu’elle critique. L’intérieur de la scène est bourgeois et luxueux, dans le goût de cette époque. Le coiffeur est chic, et l’occupation très futile. Cela contraste avec l’autre thème qui est la Révolution française, suggéré par les deux tableaux ayant pour titre des batailles révolutionnaires célèbres : Jemmappes et Walmy (Jemappes et Valmy) et le bonnet tricolore que tient la jeune femme tout en disant : " Pauvre liberté, qu’elle queue !! " ce qui peut se traduire par : " Pauvre liberté, quelle fin !! ". Ces deux batailles particulièrement difficiles ont permis à la Révolution de s’établir et à la ‘liberté’ de s’installer pour qu’une femme puisse se faire coiffer la queue (de cheveux). Il s’agit d’une allégorie sarcastique. On peut y lire les autres inscriptions suivantes : " La Caricature (Journal) N°61 " ; " Pl. 124 " ; " Lith. De Delporte " ; " On s’abonne chez Aubert galerie véro dodat ". La maison d’édition Aubert est créée en 1829 et située à Paris au Passage Véro-Dodat. Elle publie La Caricature à partir de 1830 jusqu’à la fin du titre en 1843. C'est un hebdomadaire satirique illustré. Elle édite à part des lithographies des images du journal sous la forme de feuilles volantes, comme celle-ci.
La coiffure et par là même le coiffeur occupent une place de choix dans la mode parisienne. Au XVIIIe siècle le terme de 'coiffure' désigne tout l’arrangement du haut de la tête. Les petites gravures sous forme de vignettes avec certaines de dames représentées de buste parsèment les revues de mode de cette époque. Dans le tome I de Causes amusantes et connues (1769), Estienne Robert (1723-1794) relate un différent entre les coiffeurs des dames de Paris et les barbiers-perruquiers, les premiers se plaignant que les seconds essaient leur prendre leur place. On y récolte de nombreuses indications sur ce métier. Voici des extraits : " Nous sommes par essence des Coiffeurs des Dames, & des fonctions pareilles ont dû nous assurer de la protection, mais cette protection a fait des envieux ; tel est l’ordre des choses. Les Maîtres Barbiers-Perruquiers sont accourus avec des têtes de bois à la main ; ils ont eu l’indiscrétion de prétendre que c’était à eux de coiffer celles des Dames. […] Le Coiffeur d’une femme est en quelque sorte le premier Officier de la toilette ; il la trouve sortant des bras du repos, les yeux encore à demi-fermés, & leur vivacité, comme enchaînée par les impressions d’un sommeil, qui est à peine évanoui. C’est dans les mains de cet Artiste, c’est au milieu des influences de son Art, que la rose s’épanouit en quelque sorte, & se revêt de son éclat le plus beau ". La plainte des " Coiffeurs des Dames de Paris." est assez amusante car elle met en valeur le métier de coiffeur en le décrivant comme un art libéral et dénigre celui de perruquier. On y apprend beaucoup de choses sur ces deux métiers et combien ceux-ci sont considérés à l’époque, les premiers n’hésitant pas à se comparer à des artistes. Si au XVIIe siècle, certaines coiffures féminines ressemblent à des tours, au XVIIIe, les cheveux montent en boucles en de gracieuses vagues et sont parsemés de fleurs, rubans, de plumes et même parfois d’objets décoratifs pour en faire de véritables monuments. Un passage du même livre fait référence à la coquetterie exagérée des " Petits-Maîtres " dont les coiffeurs concèdent la tête aux perruquiers afin de ralentir l’élégance affectée de ces raffinés. Nous apprenons qu’à Paris, en 1769, on dénombre près de 1200 coiffeurs sans compter les perruquiers. Honoré Daumier (1808-1879) en caricature un pour sa série des Types Français avec le texte suivant. : " Le Coiffeur. La Coiffure est un art qui a son langage, ses principes, ses académies et ses savants. Le véritable artiste Coiffeur est Français, Parisien, Languedocien ou Provençal, mais surtout Gascon. " La boutique du coiffeur est un endroit très prisé des élégants car non seulement on s'y rend pour s’y faire coiffer mais aussi y passer du temps en lisant et s'informant. Au XIXe siècle on y compulse les derniers romans à la mode et les dandys comme les gommeux viennent les feuilleter. La coiffure est une affaire sérieuse dans la France coquette. Depuis l'Antiquité on la porte tantôt longue, tantôt courte. Au Moyen-âge, chez les hommes, la mode est pendant un temps aux cheveux longs, puis le clergé les impose coupés avant qu'ils reviennent à l'état précédent et parcourent ainsi les XVIIe et XVIIIe siècles avant d'être réduits à nouveau au XIXe. Mais les boucles restent de rigueur dans les deux cas. La mode des cheveux bouclés oblige certains à se faire deux fois par semaine des frisures quand ils ne portent pas tout simplement une perruque. De nombreuses caricatures du XIXe siècle représentent des hommes se faisant mettre des papillotes dans les cheveux par leur amie ou un coiffeur.
… Le Coiffeur
Vendredi, 3 Octobre 2008