J’ai déjà écrit sur les apaches dans cet article.
Je me suis souvent demandé d’où venait la poésie du langage et des manières des apaches. J’ai trouvé une réponse en lisant un livre sur Les En-dehors, anarchistes individualistes et illégalistes à la « Belle Époque », écrit par Anne Steiner (Paris : L'échappée, réédition 2019). Les illégalistes n’hésitent pas à voler ceux qu’ils considèrent comme ayant ‘trop’ et à fabriquer de la fausse monnaie, tout en prônant la liberté, l'étude, l’éducation populaire, les mœurs libres, la poésie, l’entraide, etc. Fréquentant la pègre de l’époque dans les prisons et dans leurs ‘affaires’, sans doute insufflent-ils cette profondeur, cet humour, cette poésie et tout ce style que l’on retrouve chez ceux que l’on appelle dans l’entre-deux-guerres « les apaches ». Les illégalistes peuvent même tuer, et la bande à Bonnot en est un exemple. Pour les individualistes c’est différent. Si certains illégalistes fréquentent les individualistes et que des ‘évolutions’ s’accomplissent, beaucoup d’individualistes sont végétariens, prônent une vie saine, frugale, les exercices du corps, l’amour libre, le naturisme, l’autonomie, la solidarité, l’éducation personnelle, la sensibilité artistique, la beauté, etc. Je crois qu’aujourd’hui on ne prend pas la mesure de ce qu’apportent ces gens à la République française (c’est-à-dire à l’égalité, la liberté et la fraternité) si affreusement bafouée de nos jours, simplement en vivant pleinement leur liberté, leur expérimentation de la vie… une vie sans maîtres et sans pouvoirs… digne… Comme pour les petits-maîtres, ce sont ces « en-dehors » qui insufflent par leur liberté l’oxygène qui fait vivre la grande majorité qui pourtant ne peut pas les encadrer (et c’est tant mieux d’être hors-cadre… c’est là que se joue la vie), mais qui sans eux s’auto-détruirait.
On retrouve de ces éléments dans des mouvements de jeunes européens de la seconde partie du XXe siècle, associés à des milieux populaires, qui inventent leur argot, musique, danse, coutumes... tout en ayant un aspect 'mauvais garçon', comme le rude boy en Jamaïque, le blouson noir et le racaille en France, le chav au Royaume-Uni, le gangsta aux États-Unis (voire d'autres comme le zoot suiter), le eshay en Australie, le gopnik (гопник) et la gopnitsa (гопница) en Russie, etc. En fait, beaucoup de mouvements de mode de cette période revendiquent une certaine liberté, un style nouveau, leurs propres conventions... ce qui les fait considérer par d'aucuns comme des rebelles, comme avec la garçonne ou flapper, le teddy boy, le mod, etc. Pour autant, ceux-ci ne sont pas spécialement libertaires, contrairement au hippie et baba ou punk, traveller, alternatif, autonome, zadiste et décroissant.
Photographies ci-dessous : Les années 1960 n’ont pas inventé l’amour libre et la vie naturelle… C’est vieux comme Adam et Ève ! Le souvenir de l’Âge d’Or et l’appel à son retour, cela suit tous les siècles. Les anarchistes, à leur manière, revendiquent un tel monde, où chacun est libre et responsable pour lui et les autres, un monde d’amour. Évidemment, cela peut sembler étrange d’écrire cela dans un article où il est question d’apaches volant et tuant.
Les deux premières de couverture ci-dessous sont de revues, La Vie Heureuse, de novembre 1903 pour la première, et la « revue hebdomadaire des actualités » Le Miroir, du 17 mai 1914, avec une photographie de la comédienne « Mlle Edmée Favart dans son premier rôle » pour la seconde. Celles-ci ont déjà été présentées dans ce blog, mais elles témoignent que même à des époques où la mode n’est pas au naturel des années 1960 – 1975, tout y est : les cheveux longs, le bandeau dans les cheveux, les fleurs, le vêtement bariolé, le collier, le visage non maquillé, le sourire, etc.