Imprimer ! L'Europe de Gutenberg

Merveilleuses et merveilleux

Il est encore temps, jusqu’au 16 juillet prochain, de vous rendre à l’exposition de la Bibliothèque nationale intitulée : Imprimer ! L'Europe de Gutenberg. Celle-ci présente une quantité de documents du XVe siècle témoignant des débuts de l’imprimerie en Europe, en particulier en Allemagne, en Italie et en France, sans doute les plus précieux. Les premiers livres imprimés et gravures y sont exposés ainsi que tous ceux témoignant des évolutions techniques durant ce siècle. On peut dire que le XVe siècle a inventé toutes les bases du livre qui resteront sans grands changements pendant plusieurs siècles… jusqu’au XIXe, et en partie jusqu’à nos jours. Progressivement, de l’Allemagne puis de l’Italie, nous arrivons dans le quartier latin parisien, et c’est émouvant de constater comment le livre imprimé l’a conquis. Une âme industrieuse, littéraire et artistique nous suit tout le long de l'exposition… ou que nous suivons… témoignant d’un renouveau à la base de la modernité, formant une renaissance intellectuelle et les débuts de l’époque moderne. L’exposition se conclut cependant avec quelques citations d’auteurs du XVIe siècle questionnant déjà cette modernité noyant sous un torrent de lettres et d’images. C'est un vrai plaisir  de contempler ces documents d'époque, historiques pour l'histoire de l'art, du livre et de notre culture, sortis de réserves de bibliothèques et musées et rassemblés pour quelques semaines !

Photographies : il y a quelques années de cela, j’ai acheté sur internet ces deux images, principalement parce qu'elles représentent les modes de l'époque, et aussi parce que je suis un spécialiste des illustrations des textes de Térence et de la Néa (la Comédie nouvelle antique) en général depuis l'Antiquité. J'ai écrit un mémoire et une thèse non sanctionnée sur le sujet, le fruit d'un travail de quatre années m'ayant conduit dans les réserves des grands musées et bibliothèques grecs, italiens et français. L’exposition présente le livre d’où elles proviennent, c’est-à-dire d’un incunable reprenant les pièces connues de l’auteur romain Térence et sa vie : Comoediae. Vita Terentii de dictis Petrarcae excerpta, imprimé par Johann Grüninger, à Strasbourg en 1496. Les illustrations sont faites de décors et personnages gravés en relief sur bois et repris selon les entrées en scène et les lieux théâtraux du moment de la pièce imprimée. Elles proviennent donc de petites matrices xylographiques (gravures sur bois) rectangulaires, plus hautes que larges, mises côte à côte comme on le fait pour les lettres, afin de former un phrasé en image : une illustration du texte imprimé. Nous avons une sorte de rédaction de l’image, de grammaire iconographique d’autant plus intéressante à noter que Térence a été étudié dans les écoles depuis l’Antiquité et au moins jusqu’au XVIIIe siècle inclus pour la pureté de son latin, et les illustrations de ces manuscrits puis livres imprimés pour la rhétorique gestuelle. En Occident, en France notamment, le théâtre a été, jusqu’au milieu du XXe siècle, la première source pour l’étude de la langue et à la base de sa culture. En comparant ces images avec les illustrations de manuscrits antérieurs, on observe que les personnages perdent leur masque, ce qui se fait progressivement au Moyen-Âge, et ce qui signifie, selon moi : une perte de distanciation face à la représentation humaine et sa condition, et du simple plaisir, de même que de certaines formes de l'intelligence, ce qui peut nous amener à croire tout et n'importe quoi.

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