Prétention

La langue française est jolie, et on devrait toujours essayer de l’embellir, non seulement par le choix des mots, des tournures, le rythme des phrases, mais aussi par la manière de les prononcer et de respirer. La parole est un partage, elle doit tenir compte de ceux qui l’écoutent ou l’entendent, que cela soit les êtres humains, les animaux ou autres.

Les mots ont parfois plusieurs significations ou nuances. C’est le cas pour le terme « prétention » qui possède des tonalités négatives ou positives.

Une prétention est une revendication d’un droit, justifié ou non, ou un mouvement pour obtenir ce droit. Il en est de même pour le verbe « prétendre ».

Être prétentieux consiste à avoir des prétentions, à prétendre. On dit souvent que certains petits-maîtres sont prétentieux, parce que ce qu’ils revendiquent est jugé exagéré, injustifié ou extravagant. Souvent, on considère qu’ils visent trop haut pour eux. Cependant, ils font des efforts pour y parvenir. Beaucoup sont d’une origine populaire, ce qui les ‘oblige’ à être ainsi, afin de cacher une partie de leur origine ou simplement de leur état. Par exemple, au XXe siècle, les sapeurs aventuriers sont à peu près tous d’une origine modeste. Cela ne les empêche pas de s’acheter des habits très chers et de mimer les personnes qui, à leurs yeux, ont réussi : qu’ils appellent « grands ».

Parmi les petits-maîtres, on trouve aussi de vrais élégants, qui placent la beauté de l’esprit au-dessus de tout le reste, puisque ruisselant naturellement, bien sûr si les conditions sont présentes. Pour exister, l’élégance a besoin de contingences, afin de pousser, s’épanouir, fleurir puis donner des fruits et des graines. Comme la sagesse, la graine de l’élégance est indestructible, mais peut tout à fait ne rien donner tant que le terrain n’est pas favorable.

La petite-maîtrise étant aussi et avant tout une affaire de jeunes gens, elle est pour certains une sorte d’apprentissage. Pour les sapeurs, la sape est envisagée comme une initiation. On passe de l’enfant au sapeur, du sapeur à l’aventurier, et de l’aventurier au grand. Chaque étape est très difficile. D’abord il faut se procurer des vêtements et avoir assez de goût et de panache pour être accepté dans le cercle de la sape qui est finalement assez restreint. Puis on prépare son voyage vers une des Jérusalem du bon et grand goût. Enfin il est nécessaire d’acquérir une gamme (tenues complètes de grandes marques… griffées). J’ai déjà écrit sur la sape ici et ici.

Photographies : Justin-Daniel Gandoulou est le sociologue qui parle le mieux de la sape, en particulier dans l’ouvrage intitulé Entre Paris et Bacongo (Paris : Éditions du Centre Georges Pompidou, 1984), réédité en 1989 par L’Harmattan sous le titre Au Coeur de la sape : Moeurs et aventures d’un Congolais à Paris. Il évoque ce mouvement avec simplicité et efficacité, sans se cacher derrière des termes sociologiques déconcertants et décourageants. Il est aussi l’auteur d’une thèse de doctorat en Sociologie. Anthropologie sociale et culturelle, dirigée par Georges Balandier, soutenue en 1988 à l’Université de Paris Cité (Paris V) et intitulée Jeunes de Bacongo : dynamique du phénomène sapeur congolais (voir ici le résumé).

Merveilleuses & merveilleux