Dans ses Essais, Michel de Montaigne (1533 – 1592) écrit que la philosophie est de la joie, du bonheur, notamment dans ce passage dont j’ai un peu changé l’orthographe, mais qui reste pour beaucoup difficile à lire, car dans un français du XVIe siècle : « Il n’est rien plus gai, plus gaillard, plus enjoué, et à peu que je ne die folâtre [que la philosophie] ; elle ne prêche que fête et bon temps ; une mine triste & transie, montre que ce n’est pas là son gîte. […] L’âme qui loge la philosophie doit, par sa santé, rendre sain encore le corps ; elle doit faire luire jusques au-dehors son repos et son aise ; doit former à son moule le port extérieur, et l’armer, par conséquent, d’une gracieuse fierté, d’un maintien actif & allègre, et d’une contenance contente et débonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c’est une réjouissance constante ; son état est, comme des choses au-dessus de la lune, toujours serein. […] elle a pour son but la vertu, qui n’est pas, comme dit l’école, plantée à la tête d’un mont coupé, raboteux & inaccessible : ceux qui l’ont approchée la tiennent, au rebours, logée dans une belle plaine fertile & fleurissante, d’où elle voit bien sous soi toutes choses ; mais si peut on y arriver, qui en sait l’adresse, par des routes ombrageuses, gazonnées, & doux fleurantes, plaisamment, et d’une pente facile & polie, comme est celle des voûtes célestes. Pour n’avoir hanté cette vertu suprême, belle, triomphante, amoureuse, délicieuse pareillement & courageuse, ennemie professe & irréconciliable d’aigreur, de déplaisir, de crainte & de contrainte, ayant pour guide nature, fortune & volupté pour compagnes ; ils sont allés, selon leur faiblesse, feindre cette sotte image, triste, querelleuse, dépitée, menaçante, mineuse, et la placer sur un rocher à l’écart, amie des ronces, fantôme à étonner les gens. […] le prix & hauteur de la vraie vertu est en la facilité, utilité et plaisir de son exercice, si éloigné de difficulté, que les enfants y peuvent comme les hommes, les simples comme les subtils. Le règlement, c’est son utile, non pas la force. […]Elle sait être riche, et puissante, et savante, et coucher en des matelas musqués ; elle aime la vie, elle aime la beauté, et la gloire, et la santé ; mais son office propre & particulier, c’est savoir user de ces biens-là règlement, & les savoir perdre constamment ; office bien plus noble qu’âpre, sans lequel tout cours de vie est dénaturé, turbulent & difforme, et y peut-on justement attacher ces écueils, ces halliers et ces monstres. »
Le beau engendre le bon, et vice versa ; la sagesse conduit à la beauté, et réciproquement. Quand je dis cela, je ne veux pas dire que le mal existe. Ce qui est mauvais oui, mais pas de manière générale. Ce qui est mauvais pour un être est bon pour un autre. Il n’y a rien de mauvais en soi. Le mal n’existe pas. Les êtres cherchent à vivre et en cela ils sont prêts à prendre sur les autres. C’est ainsi que cela fonctionne sur la terre et ce qui crée son harmonie. Ce n’est bien sûr pas le bonheur de vivre au détriment d’autres, tout le contraire. Mais « c’est la vie », du moins pour les êtres les moins subtils. L’être humain se place entre la subtilité et une condition de bête. S’il ne se ‘subtilise’ pas, il s’auto-détruira. Je le répète : Cela ne veut pas dire que le mal existe, et en cela je pense comme Euclide de Mégare (Ve – IVe siècle, disciple de Socrate), dont Diogène Laërce dit : « Quant à l’opposé du bien, il le supprimait et niait qu’il eût aucune réalité. » (Source), ce qui est traduit ici par « II n’admettait point comme réelles les choses contraires à ce bien, et niait qu’elles existassent ».
LA NONCHALANCE. Comme l’écrit Michel de Montaigne, la philosophie peut être comprise par tous, des enfants aux vieillards, car la sagesse n’a pas de bornes. Même un petit-maître peut l’entendre. Sa fantaisie notamment en est l’expression. Comme le dit Boris Vian (1920 – 1959) : « Que diable, si vous avez tant besoin de vous libérer de vos instincts sournois, rendez-vous compte que… la simple fantaisie est là, prête à vous accueillir et que, dans ce domaine, tout est permis. » Comme j’ai déjà écrit sur la fantaisie, je n’y reviens pas, mais ces mots de Boris Vian expliquent très bien pourquoi la petite maîtrise est très éloignée de tout le fatras que certains voudraient y mettre ; qu’elle est véritablement liberté. Les « instincts sournois » dont il parle, sont ce qui brûle l’être humain. La petite-maîtrise apporte une fraîcheur qui apaise cette bêtise. Le mot « nonchalance » résume cela : Il vient de « non-chaloir », c’est-à-dire qu’il a une connotation de fraîcheur (« non-chaud »), comme celui de cool en anglais.
LE DÉGAGÉ. Le nonchalant est très décontracté, peut-être un peu trop détendu même. Il a des airs dégagés, c’est-à-dire « un peu trop libres, trop familiers », comme on peut le lire dans le Dictionnaire de L’Académie française de 1762. On dit aussi « Taille dégagée, air dégagé, pour dire, Taille aisée, air aisé. » Il y a une idée de liberté dans ce mot, mais une liberté à la limite de l’impolitesse. Il peut aussi traduire une certaine assurance, de la facilité.
LE PHLEGME. Être nonchalant ou dégagé, n’est pas une preuve d’esprit. Avoir du phlegme l’est davantage. On écrit aussi « flegme », ce dernier mot ayant un rapport avec la médecine, avec les humeurs, « humeurs » faisant référence aussi bien à des états d’esprit qu’à des substances circulant dans notre corps. L’humeur est donc du mouvement aux niveaux psychique et corporel. Avoir du phlegme consiste à maîtriser les deux, à ne pas laisser la maladie envahir, mais être dans la santé. Il s’agit d’être en possession de soi-même, de se connaître, afin d’avoir du recul sur soi et son environnement, de ne pas se laisser emporter par des manifestations ‘malades’.
LE DÉBONNAIRE. Dans la citation introduisant cet article, Michel de Montaigne emploie le terme de « débonnaire ». Il vient de l’ancien français (debonaire, debonnaire…), le mot signifiant alors « de souche noble », « noble, bienveillant, généreux », « gentil, bon, doux », etc. (Source Dictionnaire du Moyen Français : 1330 – 1500). On y trouve aussi l’idée d’une personne cultivée, « aire » en ancien français désignant notamment une surface cultivée, un lieu aménagé… Sans doute le succès du « bel air » et du « bon air » en élégance française vient en partie de là, pas seulement du mot « air ».
LA BONNE HUMEUR. Au sujet de Démocrite, Diogène Laërce écrit : « La fin de l’homme est la tranquillité d’âme, qu’il faut se garder de confondre avec la volupté, comme on l’a fait quelquefois, faute de bien entendre sa pensée : c’est un état dans lequel l’âme, calme et paisible, n’est agitée par aucune crainte, aucune superstition, aucune passion. Il donne encore à cet état plusieurs autres noms, en particulier celui de bien-être. » (Source). La traduction de ce même passage par Robert Grenaille (GF-Flammarion, 1965) n'est pas la même : « Le souverain bien est le bonheur ou “euthymie”, très différent du plaisir, contrairement à ce qu’ont cru ceux qui l’ont mal compris, attitude dans laquelle l’âme est en repos et calme, et ne se laisse troubler par aucune crainte, superstition ou affection. Il l’appelle de divers noms, entre autres de celui de “bonne humeur”. » On constate l’importance d’une traduction pour la compréhension d’un concept philosophique. Par exemple, le mot εὐεστὼ est traduit par l’un « bien être » et par l’autre « bonne humeur ».
LA FÊTE. Une autre façon d’être dans la distanciation plaisante et décontractée consiste à être tout simplement joyeux, de VIVRE pleinement, de faire la fête… d’être la fête. Cela ne veut pas dire faire du bruit, mais être gai, plaisant… La fête doit être un élément rassembleur et non pas diviseur. Elle est une des expressions de la paix et du bonheur : de rythmes harmonieux !
Comme le dit Michel de Montaigne, la philosophie est gaie, gaillarde, enjouée…
Χαῖρε ! Khaîre « Réjouis-toi ». Il s’agit de la manière de dire « bonjour ! » en grec ancien. C’est une drôle de façon de conclure cet article, mais la réjouissance ne devrait n’avoir ni début, ni fin, mais être toujours là ! Le mot « gandin » vient lui-même du verbe « gaudir » (toujours employé mais beaucoup moins qu’autrefois), « se réjouir » ! Réjouissons-nous !