L’élégant n’est léger que dans le regard de ceux qui sont lourds. De nos jours, la légèreté est souvent vue comme une tare. En ce moment on constate un des degrés de l’épaisseur humaine avec cette grande majorité de gens, même sans obligation, leur masque médical sur le visage, sous le menton, au bras ou à la main, et plein de tocs, comme celui de se désinfecter les mains au premier contact vivant. La plupart des êtres humains sont lourds. C’est comme cela. Il ne faut surtout pas idéaliser l’espèce humaine, et ce fut sans doute une erreur des époques chrétienne et moderne d’avoir placé l’homme au centre de la Création. Il n’est qu’au centre de ce qu’il appréhende pour vrai… c’est tout… Le mieux qu’il puisse sans doute faire, c’est s’abandonner à l’immensité… à cette grandeur. C’est facile à dire… mais l’être humain est relié aux apparences par ses nerfs et ses images, mais quoi qu’il en soit nous baignons dans la grandeur.
Si la légèreté est donc considérée comme une tare, pourtant les sociétés post-antiques, dont la nôtre, étaient et sont surtout tournées vers le Ciel : où se trouve Dieu et le Paradis pour les Chrétiens et l’avenir à l’Époque moderne. Durant l’Antiquité et avant, c’était le contraire : Les âmes revenaient à la terre d’où elles avaient été extraites, d’où par exemple l’importance pour les Grecs d’enterrer leurs morts, et la mythologie autour de l’Enfer.
Bias (Bias de Priène, VIe siècle av. J.-C.), l’un des sept sages, observait même que la plupart des hommes sont méchants. Beaucoup d'autres philosophes de l'Antiquité pensaient cela, comme Pittacos (vers 650 - vers 570 av. J.-C.) qui affirmait qu'il est impossible de trouver un homme de bien. Louis-Ferdinand Céline (1894 – 1961) les considérait comme avant tout lourds, comme il le dit dans cette vidéo que j’ai publiée dans un article précédent de ce blog, et dont voici la retranscription du texte :
Céline. – « Évidemment, je suis isolé pour ainsi dire. Isolé, c’est pour être plus en phase de la chose [sans doute un raccourci de : “en face de” et “en phase avec”]. J’aime beaucoup l’objet, ce qui n’est pas beaucoup apprécié à l’époque où nous sommes. On s’occupe beaucoup plus de la personnalité que de l’objet. On est 'personnaliste', de même qu’on est 'verbaliste'. Ce n’est pas mon cas. Ce n’est pas mon cas du tout. Je suis un travailleur de la chose en soi. Cela n’est pas du tout apprécié de nos jours. Cela ne se produira sans doute jamais, à moins qu’il se produise une révolution anti-matérialiste à un moment donné, dans des siècles et des siècles. Mais pour le moment, nous sommes évidemment à l’époque de la publicité et de la mécanique. Alors… Le robot génial : l’auteur à succès. »
Question. – « Quels mots voudriez-vous prononcer, quelle phrase voudriez écrire avant de disparaître ? »
Céline. – « “ILS ÉTAIENT LOURDS.” Voilà ce que je pense, oui, en pensant : les hommes en général. Ils sont horriblement lourds. Ils sont lourds et épais. Voilà ce qu’ils sont. Plus que méchants et bêtes, en plus. Mais ils sont surtout lourds et épais.
Question. – « Et vous, vous avez essayé d’être léger ? »
Céline. – « Je n’ai pas besoin d’essayer. Je n’ai pas besoin d’essayer. Je suis le fils d’une réparatrice de dentelles anciennes. Je me trouve avoir une collection assez rare… la seule chose qui me reste. Et je suis peut-être un des rares hommes qui sait différencier la batiste de la valenciennes et la valenciennes du bruges et le bruges du alençon. Je connais très bien les finesses, très très bien. Je n’ai pas besoin d’être éduqué. Je le sais. Et je sais également la beauté des femmes comme celle des animaux… très bien… très très bien. Je suis expert en ceci. Mais pour être expert en ceci, il faut vraiment s’en occuper. C’est dans son laboratoire intime que l’on s’occupe de ces choses-là. Et je le répète, je trouve surtout les autres énormément lourds. Je les trouve lourds. C’est surtout cela que je trouverai : “Dieu qu’ils étaient lourds !” Voilà tout ce qu’ils me font comme effet, surtout quand ils s’imaginent d’être malins, c’est encore pire. C’est tout ce que je vois. »
Céline offre ici une très belle définition de l’élégance : « être en phase de l’objet ». Comme il le dit, il ne s’agit pas d’être matérialiste… tout au contraire. C’est une sorte d’abandon à la perfection innée.