Jusqu’au 15 septembre 2019, Le musée du Petit-Palais à Paris nous gratifie d’une très belle exposition sur le Paris romantique, 1815 – 1848. Celle-ci est beaucoup mieux que ne le suggère le lien ci-avant. L’époque concernée est extrêmement riche et, malgré les centaines d’œuvres présentées, cette rétrospective ne fait évidemment que l’effleurer. Mais quel ravissement de retrouver l’effervescence d’alors, chic, engagée, noceuse, artistique, innovante… et tous les merveilleux de ce temps que l’on retrouve dans mes livres ! Lors de telles exhibitions, je suis toujours étonné de pouvoir contempler de tels trésors conservés dans nos musées !
Ceux qui s’intéressent comme moi aux merveilleux, seront contents ! On y croise quelques merveilleux proprement dits, ainsi que des jeune France, dandys, fêtards, lorettes, grisettes, flâneurs, boulevardiers, débardeurs, noceurs, chicards, artistes, bohèmes, etc. Évidemment, on ne compte qu’une partie des incroyables de cette époque présentés dans mes premier et dernier livres… mais tout de même…
Les nouveaux dandys d’aujourd’hui doivent s’y rendre, car c’est une époque où le dandysme finit de se répandre en France (la grande période du dandysme français étant 1818 – 1830). Je rappelle que, comme je l’écris dans mes ouvrages, le mot anglais de dandy est sans aucun doute issu de l’ancien français dandin, substantif qui désigne un homme qui se dandine et a la tête « remplie de mille sortes d’imaginations ». Cela donne dans le français actuel les mots : « dandiner », « dadais »… Je me répète : il faut lire mes ouvrages. Le dernier, qui est sorti ce mois, est disponible à la librairie du Petit-Palais, au milieu d’autres très intéressants sur le sujet !
Mais reprenons notre déambulation dans l’exposition ! J’ai pris quelques photographies que j’agrémente ici de commentaires succincts. Ceux qui sont intéressés, se rendront à l’exposition, ou se procureront le catalogue. Mes choix sont eux aussi très restrictifs. Au sujet des photographies, je dois ajouter que celles des estampes sont souvent floues, parce qu’une nouvelle présentation consiste à remplacer le verre qui les protège par du plexiglas. Ce dernier est un peu granuleux, ce qui ne permet pas, non seulement pour le visiteur de bien apprécier ces documents, notamment la qualité du papier (même le texte devient un peu flou), mais pose évidemment un problème pour les photographier.
L’exposition couvre trois règnes, ceux de Louis XVIII, Charles X et Louis Philippe, et se place entre le Premier Empire et la Seconde République. Il est donc normal qu’elle commence par la monarchie de l’époque.
Ci-dessous : Représentation de la reine Marie-Amélie de Bourbon. Elle se marie en 1809 au futur roi de France, Louis-Philippe d’Orléans. Ce buste donne une idée de la mode féminine vers 1830, avec les cheveux en macarons, les immenses chapeaux garnis de plumes et de rubans les transperçant, les collerettes, les longues écharpes, les manches ‘gigot’, etc. L’exposition présente plusieurs chapeaux, robes, chaussures et autres éléments du costume. Le chapeau de paille ci-après est ici plutôt sobre, mais permet d'apprécier le volume ! Dans les estampes de mode, il est agrémenté de plumes et d’autres rubans. Sur cette page on en a quatre exemples, sur celle-là deux et sur celle-là trois. Les robes sont de vers 1830. L’exposition présente aussi des sacs à main (appelés durant le Directoire et Premier Empire « réticules » ou « ridicules »), des chaussures, des peignes, des écharpes, des foulards, des châles, des bijoux (châtelaines), etc.
Ci-dessous : Pour les chaussures, se poursuit la mode du Directoire des souliers sans talon. Elles sont très fines. Les bottines sont de vers 1830, et les chaussures de danse de vers 1845.
Ci-dessous : Sac à main tulipe de vers 1820.
Nous pouvons ainsi nous faire une idée de l’habillement des merveilleuses d’alors. Les merveilleux ne sont pas du tout en reste… et tous les genres, depuis le dandy jusqu’à l’artiste bohème en passant par le lion, le gant jaune et bien sûr le nouvelle France romantique !
Ci-dessous : Paris en 1829 et 1830 (tome I, 1830) « par Lady Morgan ». Livre ouvert sur le chapitre intitulé « Dandies français », aux pages 338 et 339, retranscrites ensuite.
« Oh ! “qu’elle est charmante avec son arc-en-ciel !” dit le merveilleux, s’arrêtant pour rire : “mais quelle couleur est celle-là ?” dit-il en montrant son gilet.
“Cela,” dis-je fort intriguée par cette teinte vraiment équivoque, mais désirant montrer mon petit savoir “ce n’est pas une couleur, c’est une nuance, peut-être ce que vous appelez soupir étouffé.”
“Pas mal,” dit-il avec une gravité magistrale, “quoique ce ne soit pas précisément cela. Le soupir étouffé est aussi vieux que le temps, du moins que le temps du bon roi Louis XVIII, de bienheureuse mémoire ! c’était un vaporeux oriental, formé par le mélange de l’orange, du blanc et du bleu.”
“Eh ! c’était l’ancienne eau du Nil qui faisait fureur, quand je quittai Paris en 182o.”
“Oh ! ma chère dame,” reprit le merveilleux piqué et mortifié de la remarque, “il n’y a pas à disputer avec des gens qui remontent à l’an 182o. Je conviens avec vous et Salomon qu’il n’y a rien de positivement nouveau sous le soleil. Et vous pouvez bien croire que je ne m’amuse pas à étudier des chroniques. Je puis seulement vous certifier que la mode n’a jamais inventé ou adopté une couleur plus originale que celle que j’ai l’honneur de vous signaler. Le gilet lui-même qui a paru hier pour la première fois aux Tuileries et qui sera vu demain dans tout Paris, ne se montrera plus nulle part la semaine prochaine, si ce n’est dans quelque coin du Marais, le grand dépôt des choses oubliées et l’antipode de la mode.”
“Et quelle est l’étoffe ? elle me paraît singulière.”
“Je le crois bien,” répliqua-t-il d’un air triomphant. “C’est de la zinzoline, coupée à la Marino Faliero, par Delisle, rue Sainte-Anne.”
Je croyais n’arriver jamais assez tôt chez moi pour écrire tout cela ; mais le voilà écrit. »
Ci-dessous : Tenue d’un élégant de vers 1820 – 1830. Il s’agit d’un ensemble d’été, avec un chapeau haut-de-forme en paille, un col-cravate (de vers 1833) « en soie marron, doublure en toile de coton enduite » (le choix de ce col détonne un peu avec le reste, une couleur plus claire et un tissu plus léger étant préférable me semble-t-il), une redingote en piqué de coton blanc et toile de lin blanche, une chemise blanche de lin, deux gilets superposés comme cela se fait alors, une canne. Il est à noter aussi que le col est à l'envers, le nœud devant être au bas du cou (voir un peu plus loin) et non pas sous le menton.
Ci-dessous : Gilets de vers 1815 – 1850.
Ci-dessous : Cols-cravates de vers 1835. Il est question des cols dans cet article. On constate que l’on peut y ajouter un nœud-papillon ! La présentation est sans doute à l'envers, car comme le suggère la lithographie ci-dessous, le nœud est vers le bas.
Ci-dessous : « Évariste Boulay-Paty (1804 – 1864) et Charles Letellier [date?] » peints en 1834 par Jean-François Boisselat (1812 – 18..). Ce portrait fait penser à une composition du XVIe siècle, à la mode alors.
Ci-dessous : Eugène Sue (1804 – 1857) peint par Gabriel Lépaulle (1804 – 1886) en 1836. Eugène Sue est un écrivain, dandy dans sa jeunesse. Il adhère au huppé Jockey Club de Paris, puis s’engage en politique et devient libre-penseur, ce qui lui vaut l’exile.
Ci-dessous : Alfred, comte d’Orsay (1801 – 1852). Autoportrait de 1845. Lamartine le surnomme l’« archange du dandysme ». On remarque qu’il tient dans sa main droite un gant jaune (voir le gant jaune dans mes livres).
Ci-dessous : Le comte Anatole Demidoff, prince de San Donato (1812 – 1870) par Jean-Pierre Dantan (1800 – 1869).
Vers 1830, les merveilleux se changent en romantiques (jeune France, nouvelle France…) échevelés et passionnés !
Ci-dessous : Hector Berlioz (1803 – 1869) par François-Xavier Dupré (1803 – 1871).
Ci-dessous : Franz Liszt (1811 – 1886) par Henri Lehmann (1814 – 1882).
Les habits de ces personnages sont tous sombres. Seuls les gilets, ici invisibles, sont encore très colorés. La mode masculine devient plus sobre, et ne cessera plus de l’être jusqu’à aujourd’hui, avec bien sûr toujours des exceptions (voir l’article précédent), comme l’homme ci-dessous, d’une gravure intitulée « Modes de 1830 » et ayant pour légende : « Encore un degré de perfection ». Je la montre, car cet habit masculin préfigure celui du gommeux de vers 1890 – 1900, avec une veste très serrée à la taille pourvue d’un large col et de manches s’évasant au-dessus d’une chemise très large aux poignets, et un pantalon moulant mais se terminant en pattes d’éléphant. Il est étonnant de constater que certains merveilleux préfigurent très en avance des modes futures. C’est le « suprême bon ton ».
Ci-dessous : « Les Romains échevelés à la 1re représentation d’Hernani. » « Si le drame avait eu six actes, nous tombions tous asphyxiés. »
Bien sûr on y rencontre aussi des élégantes, comme :
« L’écuyère Kippler sur sa jument noire », peinte par Alfred de Dreux (1810 – 1860) en 1850 ; elle aussi de noir vêtue ;
Georges Sand (1804 – 1876, peinte en 1838 par Auguste Charpentier : 1813 1880), un mélange de bas-bleue, de féministe et de vésuvienne ;
Cristina Trivulzio, princesse Belgiojoso (1808 – 1871), dessinée en 1847 par Théodore Chassériau (1819 – 1856).
Les lorettes sont présentes… dessinées notamment par Paul Gavarni (1804 – 1866) dans une série de 1841 – 1843 :
Ci-dessous à gauche : « – Ce que c’est pourtant que nos sentiments !…. sais-tu que faut convenir que c’est bien farce, Minette, quand on examine ça !…. – … une forêt de Bondy, quoi ! » On utilisait autrefois, semble-t-il, l’expression « forêt de Bondy » pour désigner un lieu mal fréquenté.
À droite : « – Qu’est-ce que tu lis là ? – Le mérite des femmes… – T’es malade. »
Malgré la Révolution et ses massacres, le Premier Empire et ses guerres, l’invasion de la France par les ‘alliés’, une agitation politique continuelle et inévitable, cette époque conserve la joie de l’Ancien Régime, à laquelle participe toutes les classes de la société. On s’amuse franchement dans une aimable gaieté, et la fantaisie règne, portée par les artistes, la bohème, les jeune France, et un kaléidoscope parisien effervescent dans tous les domaines.
On fait la fête. Les bals sont très nombreux. On invente de nouvelles danses, comme le chahut-cancan ! Cette dernière est très impressionnante, complètement libre, voire folle, sans tabou. Certains hommes et femmes lancent la jambe le plus haut possible, font le grand écart… Le nom même exprime très bien le style : « chahut » et dérision (« cancan »). Son origine vient sans doute du télescopage du milieu des étudiants et de celui des grisettes (blanchisseuses…) : une jeunesse pleine de vivacité, bohème, profitant de la très riche vie parisienne et des ‘relâchements’ et libertés inspirés par la Révolution.
Ci-dessous : « Quadrille pour piano […] par Musard ».
Ci-dessous : « Conservatoire de danse moderne. » Il semblerait que l'on appelle le cancan aussi « coincoin ». Du reste, certains des hommes ci-après paraissent imiter la démarche du canard.
On importe la polka, danse qui serait originaire de Bohème, et qui est à l’origine d’une véritable ‘polkamania’ pendant tout le reste du XIXe siècle.
Ci-dessous : Lithographies de la série « La polkamanie ».
À gauche : « LA POLKA. Depuis longtemps les dames du grand monde révoltées du laisser-aller qui régnait dans les bals publics et même particuliers, éprouvaient le besoin de voir apparaître enfin dans les salons une danse de bon goût et complètement décente. – En conséquence on emprunta à la Bohème le ravissant pas de la Polka. N.B. – En Bohème on écrit Polka mais on prononce Kankanka ! » »
À droite : « UN DÉSAGRÉMENT DE LA POLKA. Patatra !.. v’là qu’ils enfoncent mon plafond !.. ça ne pouvait pas manquer d’arriver avec leurs satanés coups de talons de bottes !... »
Le carnaval parisien est, jusqu’au XIXe siècle inclus, sans doute le plus important au monde. C’est un moment de relâchement et de fantaisie !
La descente de la courtille est un défilé de genre charivari improvisé au XIXe siècle par des fêtards venant des guinguettes du nord de Paris : des hauteurs de Belleville, lors du carnaval. Cette ‘descente’ vers le centre de Paris et ses bals du carnaval se crée spontanément lorsque les membres du Cirque Moderne décident de faire une parade rejointe rapidement par la foule se trouvant dans les guinguettes et cabarets situés sur le chemin. Chaque année la 'renommée' de cette ‘descente’ ne fait que croître, jusqu’à prendre une ampleur phénoménale.
Le carnaval est un mélange de folie et de merveilleux, de défoulement et d’élégance, de profusions… Toutes les limites sont abolies, dans le respect bien sûr de la fête, des plaisirs, de l’amusement et de la joie !
Ci-dessous : Lithographies de Paul Gavarni (1804 – 1866).
À gauche : « LES DÉBARDEURS. Y’en-a-ti des femmes, y’en-a-ti… et quand on pense que tout ça mange tous les jours que Dieu fait ! c’est ça qui donne une crâne idée de l’homme ! »
À droite : « Le Carnaval. – Ah ! Mon Dieu !… c’est mon mari, ma petite, mon vrai mari ! Le gueux ! – Voyons ! Ne va pas le réveiller, bête ! Allons, allons ailleurs. »
Ci-dessous : D’autres ‘personnages’ du carnaval par Paul Gavarni, avec à gauche le « Chicard », et à droite le « Balochard ».
Ci-dessous : « La loge ou la Vénitienne au bal masqué » (1837) par Joseph-Désiré Court (1797 – 1865).
L’exposition nous permet même de muser dans les galeries du Palais-Royal de l’époque, à travers des maquettes qui reproduisent les vitrines des boutiques s’y trouvant vers 1842 : couturiers, modistes, parfumeurs, vendeurs de cannes, bottiers, etc. On distingue celles de : marchandes de modes (modistes) comme Mme Melcior, Mme Schultz, Mme Hamelin, Mme Sellier ; tailleurs (pour femmes ou hommes) comme Paillard, Mack & Maintrieu ; vendeurs de cravates et de cols comme Perry, Mme Naquet ; vendeurs de cannes comme Renaud ; coiffeurs – parfumeurs comme Navare ; bottiers comme Sakoski, etc.
Les boulevards ne sont pas oubliés !
Ci-dessous : « Boulevard de Gand », un endroit de Paris où se réunissent les émigrés de retour en France après la Révolution (revenant notamment de Gand), ainsi que la jeunesse et la société la plus chic et élégante. Ce qui est merveilleux dans ce genre d’endroit, c’est qu’il est ouvert à tous. On peut aussi bien y croiser des élégants que des curieux, grisettes, flâneurs, familles, etc.
Ci-dessous : « Le boulevard des Italiens de nuit », détail d’une peinture de vers 1835 par Domenico Ferri (1795 – 1878).