Le Cours : L'empire des oeillades, l'un des lieux de l'élégance française où l'on fauche le persil, le Cours-la-Reine, les Champs Élysées ...

Photographie : Gravure du XVIIIe siècle rehaussée à l’aquarelle à l’époque avec comme légende (orthographe d'origine) : « Toilete Florentine avec l’Elégant Chapeau des Champs Élisée ». Cette raffinée est en promenade avec son petit chien et son chapeau rehaussé de plumes, de fleurs, de rubans et de gazes.

'Aller au persil’ (on dit aussi ‘faucher le persil’) consiste à se promener avec ostentation en toilette dans les endroits les plus à la mode pour se faire remarquer, lancer des oeillades, séduire dans le pur esprit galant (galanterie dont la définition n’est pas si simple à comprendre mais très importante pour saisir l’esprit français), au Palais Royal, sur les trottoirs bitumés des boulevards, au bois de Boulogne, au Cours … Le Cours est une longue, large et magnifique avenue plantée d'arbres. C'est un des ancêtres des boulevards, des Champs-Élysées et des défilés de mode. C'est là que toute l'élégance parade au milieu de tout-un-chacun. Les précieuses du XVIIe siècle l'appellent « l'empire des oeillades ». Les oeillades seront le sujet d'un prochain article.

On lit dans un livre de 1642 : « Magnificence […] beauté […] variété […] agrément […] toute la grandeur se rassemble en une ligne pour paraître plus adorable […] On dit que Paris est le Miracle du monde, & l’on voit au Cours tous les miracles de Paris. […] Celui qui n’a rien vu de grand dans l’Europe, doit venir à la promenade, pour lui voir étaler tout ce qu’elle a de magnifique. Outre que les Reines s’y rencontrent quelquefois, on y voit toujours des Princesses, dont les qualités personnelles égalent celles de leur naissance. […] Tout ce qui peut flatter le coeur & les yeux se découvre ici d’une seule vue. […] appareil extérieur de houppes & de parures […] habits magnifiques […] Ici vous voyez une belle brune qui a des yeux lumineux avec un teint sombre, & qui assemble en un même sujet, un peu de noirceur avec une blancheur divine. Là vous apercevez une blonde, dont les cheveux ayant une plus belle couleur que l’or, semblent aussi plus précieux aux Amants : & c’est une merveille de voir en elle une vigueur céleste, avec une souplesse admirable de la charnure. […] ce qu’il y a de plus beau dans cette illustre compagnie, c’est que vous y êtes honoré des personnes que vous ne connaissez pas, comme de celles qui vous connaissent. Quelque étranger que vous soyez, vous y êtes salué, & celles qui ne daigneraient pas de vous regarder ailleurs, vous donnent ici des oeillades favorables. Au reste, n’êtes vous pas ravi de cette excellente diversité qui compose une si belle multitude. Je ne ferai point mention ici des carrosses & des chevaux, ne faisant état que de considérer les personnes. Un autre pourrait dire, que ces animaux ont un orgueil généreux de se voir employer à une si belle cérémonie, & que s’ils se plaisent à servir Mars, comme un Ancien a remarqué, ils ne se plaisent pas moins à servir la Déesse de l’Amour. […] Ici vous voyez un Anglais, là un Italien & un Allemand, & les peuples qui se font la guerre ailleurs s’accordent ici dans une paix agréable. Vous voyez d’autre côté un Prince & un Magistrat, un homme d’épée & un homme de robe longue, une Dame & un Damoiseau. Contemplez ce jeune frisé qui brule près d’une Demoiselle toute de glace. Regardez ce Mélancolique qui prend la plus belle compagnie du monde, pour une affreuse solitude. Il s’afflige d’autant plus qu’il voit plus [se] réjouir les autres. Considérez encore ce silence morne qui règne même parmi les personnes les plus gaies : leurs yeux font taire leur bouche. Chacun se fait ici regarder, & cependant chacun n’y est que pour voir. Vous croyez avoir découvert toutes les raretés du Cours, & vous n’en avez vu qu’une partie. Les unes viennent quand les autres passent. Vous trouverez un commencement où vous pensiez trouver la fin. L’agrément naît de cette belle diversité, puisqu’il est certain que la bigarrure des choses nous désennuie, au lieu que l’uniformité nous lasse. Et puis l’esprit prend d’autant plus de plaisir en cette assemblée, qu’il y vient déchargé de toutes ses peines. Le corps y goûte la pureté de l’air, & l’âme s’y repaît par l’ouïe & par la vue. Mais encore que peut-on souhaiter pour la satisfaction du coeur, qui ne s’y trouve en effet ? Si on aime l’honneur, on voit ici rassemblées toutes les sources de la gloire qui sont répandues ailleurs. Si la bonne compagnie nous plaît, voici la compagnie des Grâces. J’ose dire encore, qu’elle a d’autant plus de charmes, que les personnes qui ont des défauts en particulier s’efforcent de les cacher en public. Enfin si les belles choses nous récréent, ce lieu semble être le centre de la beauté. Ce qu’on ne peut voir ailleurs qu’avec beaucoup de peine, se découvre ici sans difficulté. Enfin on ne peut douter que ce ne soit le séjour des vrais plaisirs, puisque les personnes du monde les plus heureuses y viennent chercher une nouvelle félicité. […] On voit les Grands marcher indifféremment avec les petits, & des Dames d’éminente condition, qui suivent quelquefois de simples bourgeoises. Ceux-là mêmes qui sont les mieux accompagnés ailleurs, laissent ici leur suite. […] ce lieu qui est un des plus doux divertissements de la vie. […] On ne parle pas ici par des termes articulés, mais par des signes éloquents. […] ordre continu de carrosses. […] on y découvre quantité d’illustres objets ».

Le Cours semble aussi exister en province car ce nom y est encore aujourd’hui présent dans la cartographie des rues, plus qu’à Paris. Il est intéressant de constater que la définition du 'cours' d'après le Dictionnaire de l'Académie française de 1762 commence ainsi : « Flux, mouvement de quelque chose de liquide. Il se dit particulièrement de l'eau des rivières & des ruisseaux. [...] se dit encore Du mouvement réel ou apparent du Soleil & des Astres. [...] se dit encore Des choses qui sont en vogue. Cette chanson, ce bruit eut cours pendant quelque temps. Les dentelles, les passements ont cours, n'ont plus de cours. » Le Cours à la mode est aussi un « flux », un « mouvement », et d'après les sources qui en parlent, un flot ininterrompu de réjouissances, de beautés qui s'y pavanent comme des étoiles parmi les astres. La mode qui a cours s'y exhibe. Ce dictionnaire insiste sur le fait que le Cours est avant tout dédié aux carrosses (mais pas uniquement) : « COURS signifie aussi Un lieu agréable, destiné ou choisi ordinairement auprès des grandes villes, pour s'y promener en carrosse. Il y avait plus de cinq cents carrosses au cours. Le cours est beau de ce coté-là. Le cours est en un tel endroit. Il va souvent au cours. » La grandeur et la majesté de ce lieu le dédient à toutes les promenades de l'élégance : en carrosse, à cheval et à pied. Il a une fonction similaire à Longchamp et au bois de Boulogne ainsi qu'aux grands boulevards dont je vous parlerai dans un prochain article et auxquels on donne le nom de « Nouveau Cours ».

On dit « Cours-la-Reine », car la Reine Marie de Medicis plante en 1616 les rangées d'arbres de ce nouveau lieu de promenade principalement destiné aux personnes en carrosse. On peut lire dans le Dictionnaire universel de la France de 1771 « Le Cours-la-Reine, autrement appelé les Champs-Élysées, est une promenade publique [...] Elle est fermée d'un côté par un beau fossé, le long duquel règne une longue allée à quatre rangs d'arbres, qu'on appelle le Petit-Cours, & plus loin par la rivière de Seine, par-dessus laquelle on a vue sur l'hôtel & les avenues des Invalides. De l'autre côté elle est embellie par les jardins des beaux hôtels du Roule & de la rue du faubourg Saint-Honoré : on en découvre tous les agréments, parce qu'ils ne sont environnés que par des fossés, afin d'en laisser la vue libre au public. Les boulevards devenus si brillants, ont un peu fait négliger cette promenade ; mais il y a tout lieu de croire que l'on pourra y revenir un jour, lorsqu'elle aura reçu de nouveaux embellissements par la place Louis XV [l'actuelle place de la Concorde] et le nouveau plan d'arbres qui commence à l'accompagner. » Aujourd'hui, le Cours la Reine existe toujours et longe la Seine mais n'est plus qu'une voie de passage rapide des voitures. Il est près des Champs-Élysées mais s'en distingue donc, bien que jusqu'au XIXe siècle on appelle aussi  « Champs-Élysées  » une partie plus large comprenant le Cours.

Lorsque Catherine de Médicis fait construire à partir de 1564 le palais des Tuileries cela comprend un jardin à l'italienne. A partir de 1664, celui-ci est entièrement redessiné par André Le Nôtre qui trace au-delà et parallèlement au Cours la Reine une belle avenue bordée de terrains avec des allées d'ormes et des tapis de gazon. Celle-ci s'étend des actuels place de la Concorde jusqu'au rond-point des Champs-Élysées, en direction de la montagne du Roule (aujourd'hui la place de l'Étoile). On l'appelle le Grand-Cours pour la distinguer du Cours la Reine. Puis l'avenue prend le nom de l'endroit où elle se trouve : les Champs-Élysées. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, de grands équipages empruntent cette voie assez poussiéreuse pour aller à Longchamp et au bois de Boulogne. Les Champs-Élysées et ses jardins sont à partir de la toute fin du XVIIIe un terrain de divertissement tout en continuant à l'être de promenade. Edmond Texier écrit dans son tome 1 de Tableau de Paris (1853) : « Voici les Champs-Élysées, la promenade du beau monde, le mail des élégances, le carrousel des riches attelages ; c’est là que défilent, à une certaine heure de la journée, pendant la belle saison, des rubans d’équipages, la grande dame dans son coupé, le bourgeois dans sa calèche, la femme légère dans son colimaçon, le dandy dans son brougham, puis les cavaliers qui vont au bois, et les amazones qui en reviennent.[…] cette avenue où tout passe, où tout change, où l’on se salue, où l’on s’envie, où l’on se hait, où l’ont s’admire, voit naître la première mode et le premier bouquet ; elle a la primeur des colifichets, et c’est pour se montrer à elle que s’épanouissent en plein soleil tant de toilettes extravagantes. » Les Champs-Élysées à cette époque possèdent de nombreux  « jardins enchantés » où l’on vient se divertir comme le Château des Fleurs. C’est à côté, sur l’actuelle avenue Montaigne que Madame Tallien, la célèbre merveilleuse du Directoire, fait construire sa 'chaumière'. De nombreux hôtels aristocratiques s’y érigent. Elle devient au milieu du XIXe siècle « une des rues les mieux habitées et les plus élégantes ». Le jardin Mabille est « là resplendissant de lumière, grouillant de bruits joyeux, de farandoles, de cris, de chansons et de musique. Ce jardin est le marché des faciles, le Paradis, l’Eldorado, la terre promise des femmes sensibles et des jeunes gens généreux.[…] De tous les établissements chorégraphiques qui pullulent dans la capitale de la France et du plaisir, le Jardin Mabille est celui dont la réputation se soutient avec le plus de persévérance. » Sur les Champs-Élysées est installé le jardin d’Hiver dans lequel on danse et on boit ou se promène au milieu de fleurs. Le Chalet est moins cher mais on s’y amuse aussi. Du reste c’est le cas dans la totalité des Champs-Élysées où le plaisir est roi. Il y a le Cirque National, et bien d’autres réjouisances : des restaurants comme Ledoyen qui existe toujours, des cafés chantant, le carré Marigny avec ses attractions, musiciens, hommes-orchestres, marionnettes, concerts, jeux … Des bosquets gardent l’intimité des coeurs au milieu du tumulte. On y boit tranquillement en compagnie galante quelques liqueurs, punchs, bières ou tous les autres breuvages à la mode disponibles. Dans des prochains articles, je parlerai des boulevards, et des autres endroits à la mode à Paris ...

Photographie : Première page de La Caricature du 16 juillet 1881 (n° 81) avec une illustration intitulée « Les Champs-Élysées, - par A. Robida » présentant un café concert. L'image ainsi que le texte en-dessous avec des extraits de chansons populaires expriment une certaine décontraction.

 

 

Merveilleuses & merveilleux