Nous allons dans cet article donner une définition de la faïence française et prendre pour exemple celle emblématique de Moustiers.
Photographie : Cette assiette en faïence de Moustiers est caractéristique de la production française des XVIIe et XVIIIe siècles. Elle est exemplaire avec son décor en camaïeu bleu de dentelles en bordure et son médaillon en plein sur le bassin avec une scène mythologique. Cette dernière mélange la fable antique à celle du terroir. Ainsi retrouve-t-on Aphrodite naissant de l’écume des flots voguant sur un dauphin, entourée d’Eros et d’une naïade en forme de sirène, associée à une divinité féminine de la nature et de l’amour : une nymphe aquatique des cours d’eau évoluant dans un paysage bucolique français avec la nature en premier plan et un village à l’arrière. Les quatre éléments découpent en parties égales la scène avec la terre (plantes, arbres, terre, village), l’eau (la rivière), l’air (avec le ciel et les nuages), et le vent (symbolisé par la divinité). Cet objet d’art est du XVIIIe siècle et fait 23,5 cm de diamètre. Il est à noter le crémeux de l’émail. Il appartient à l’antiquaire Christian Béalu et est présenté sur son site :
La faïence est un genre de terre cuite : une poterie (céramique argileuse à pâte poreuse) constituée d'un mélange de terres composé d'une argile plus ou moins pure, de sable et de marne calcaire, et recouverte d'un émail stannifère (stanum = étain, l'étain rendant l'émail opaque). L'émail stannifère est une couche vitrifiée. Il est composé d'oxyde de plomb (fondant), de silice et d'étain opacifiant (cache la couche d'argile, rend imperméable, blanchit, et sert de support au décor peint). On peut le colorer dans la masse en y incorporant des oxydes métalliques tels que le cobalt pour le bleu et l'antimoine pour le jaune et obtenir des fonds de couleur. La faïence est opaque, contrairement à la porcelaine qui est transparente à la lumière. Après le modelage, on cuit une première fois le biscuit vers 500° (cuisson de dégourdi) ; on le trempe dans de l'émail stannifère. Dans la faïence de grand feu, après cette première cuisson dite « au dégourdi », on recouvre la terre de l'émail qu'on laisse sécher, et on peint le décor sur l'émail cru, pulvérulent, avec des émaux (oxydes métalliques) aussitôt absorbés. Les repentirs sont interdits. On cuit à 980° l'ensemble, chaleur nécessaire à la fixation de l'émail. Cinq oxydes métalliques résistent à cette température : le bleu (cobalt), le vert de cuivre (il fuse, c'est à dire bave un peu), le jaune d'antimoine, le violet (manganèse) et le rouge « tomate » (fer). Pour les faïences de petit feu (début vers 1740), on cuit la pièce recouverte de l'émail stannifère vers 980°. On peint ensuite le décor sur l'émail. Il s’en suit une cuisson pour les couleurs à température inférieure, et une autre s'il y a de l'or. La palette des teintes est beaucoup plus riche : pourpre de Cassius, or etc. Les étapes de la fabrication de la faïence sont les suivantes : recueillir la terre, la laver, la décanter, la broyer, la tamiser, la dégraisser (en mêlant du sable aux argiles trop grasses), la faire « pourrir » (en la faisant attendre dans des caves), la façonner par tournage, moulage ou modelage, coller les éléments rapportés (bec, anses, etc.) avec de la barbotine (pâte liquide) ; puis il y a la cuisson de « dégourdi », le bain d'émail (eau ou flottent en émulsion des particules de sable broyé, d'oxyde de plomb et d'étain et éventuellement d'un colorant) ; on fait ensuite sécher avant le décor de grand feu ou la cuisson.
On suit les origines de la faïence jusqu’en Perse. Elle se développe dans le monde musulman, en Espagne surtout aux XIVe et XVe siècles et en Italie en particulier au début du XVIe avec notamment la ville de Faenza qui serait à l’origine de son nom. Elle arrive en France au XVIe avec les artisans italiens qui s’installent dans ce pays : à Rouen, Lyon, Anvers (Belgique), Nevers … pour fabriquer ce qu'on appelle de la majolique. De 1700 à 1730 environ c'est le triomphe du camaïeu bleu. A partir de 1730 on a la polychromie de grand feu. Les fabriques de grand feu sont alors nombreuses en France. Après 1750 c'est surtout la faïence à décor de petit feu qui se développe.
La faïence fine est destinée à imiter la porcelaine. Elle est découverte en Angleterre dans la région de Staffordshire semble-t-il. On incorpore à la pâte du kaolin et un autre minéral : le feldspath. Il existe de nombreuses variantes de cette recette mises au point par chaque fabricant, avec : la faïence feldspathique, la faïence fine dure, la demi-porcelaine, la porcelaine opaque, la terre de fer, la terre de pipe, la terre de Lorraine, le cailloutage ou terre anglaise. La faïence fine est une pâte dont l'intérêt premier est d'éviter la couverture par un émail qui cache la terre. Elle est ainsi recouverte d’une simple glaçure transparente. Sa malléabilité rend le moulage aisé et permet une grande finesse des décors. On en fabrique en France à partir du milieu du XVIIIe siècle mais surtout au XIXe.
La faïence de Moustiers est une des plus réputées de France des XVIIe et XVIIIe siècles avec notamment celles de Nevers et Rouen. Ce village du sud recèle plusieurs manufactures renommées. Avant le XVIIe, on y fabrique déjà de la poterie en terre cuite d'abord puis vernissée. Ensuite arrive l'émail blanc. C’est Pierre Clérissy (1651-1728) qui offre à Moustiers une expansion économique à partir de vers 1660 qui va durer jusqu'à la fin du XVIII e s. Il s'entoure tout d'abord de François Viry (auquel succéderont ses fils Gaspard puis Jean-Baptiste Viry) et d'Olérys. En 1702, son fils aîné Antoine s'associe avec lui puis lui succède. En 1728 le village compte déjà au moins 8 ateliers de faïenciers dont plusieurs sont tenus par de la famille des Clérissy. Pierre II devient l'associé de son père Antoine en 1732, puis reste seul à la tête de la fabrique. En 1783, il la vend à Joseph Fouque. Les Clérissy commencent par faire des décors en camaïeu bleu. L'émail est onctueux. On copie des gravures en particulier d'après Tempesta (scènes de chasses, mythologiques...) ou Bérain. On y retrouve des influences italiennes (mufles de lion), orientales (fleurs), des broderies délicates, des décors d'armoiries ... C'est au début du XVIII e, que les Clérissy créent le décor Berain. Les fabriques les plus connues de Moustiers avec celles des Clérissy sont celles de Joseph Olérys & Jean-Baptiste Laugier, de Joseph Fouque & Jean-François Pelloquin, des Ferrat et Feraud.