Le Chiffre, le Signe et le Verbe.

undefinedPhoto : Bergère inscrivant le Chiffre d'Amour sur un arbre (voir description plus loin).

Le chiffre est un symbole (ou plutôt un logogramme) associé le plus souvent à une valeur numérique, mais pas seulement. Le symbole implique une convention et donc sa connaissance, d'où le caractère plus ou moins secret de certains chiffres qui prennent l’apparence d'un langage spécifique s'adressant à des initiés. L'Alchimie utilise une écriture chiffrée. Le soufre est le chiffre du feu etc. Les chiffres agissent à la façon de ceux représentés dans le livre de magie appelé aussi grimoire, altération du mot grammaire. Le Verbe et sa grammaire sont en effet témoins de vie. Un autre mot appartient à la même famille que ‘grammaire’ et ‘grimoire’, c’est ‘grimace’. Son origine est le mot francique (de la tribu des Francs) grîma signifiant « masque ». Le masque est porteur de grammaire, de signification et d’action (voir article du 17 décembre 2007 sur Le théâtre antique et les conventions … classiques …). On peut le comparer à un chiffre car comme lui il imite, symbolise, représente. Si un chiffre en tant que valeur numérique sert pour appréhender, comprendre et agir, il en est de même pour les autres chiffres et le masque (surtout dans le cadre de rituels pour ce dernier). Le terme de ‘chiffres’ est utilisé en musique pour représenter des notes sous la forme de lettres ou de nombres, ou indiquer des accords. De même, par ce mot on entend (cela est attesté au moins depuis le XVIe siècle par chyfres) les lettres initiales des prénoms et du nom d’une personne. Ainsi retrouve-t-on nombre de ceux-ci inscrits dans divers endroits (reliures de livres, frontons, vaisselle …) afin de signifier la personne même et dans le cas des objets, à qui ils appartiennent. Les pythagoriciens donnent aux chiffres comme valeur numérique une action. Ils permettent de « parler » de la divinité, de choses difficilement explicables. Plusieurs écoles philosophiques de l’Antiquité les utilisent pour expliquer l’Un en le divisant etc., afin de signifier le Cosmos dans son entier et les rythmes qui sont impliqués, la musique qui en découle, celle du nombre, des rythmes imités dans la parole, les chants, les danses … mais nous verrons cela dans un autre article.

De nombreuses théories sous-tendent que nous sommes entourés de signes, comme celle ‘des signatures’ en botanique élaborée de façon « officielle » (par écrit) au IIe siècle après J.-C. par le médecin grec Claude Galien (131-201). Ne dit-on pas que la Nature est un livre ouvert ? Dans ce cas les signes sont des êtres vivants (ou des choses) ou des parties de ceux-ci. Ils font référence à une vérité ou à la probabilité de celle-ci et à sa manifestation, ou bien à une imagination créatrice . Ils peuvent représenter quelque chose sous une forme ou une autre (dessin, son, couleur, geste…) par similitudes ou conventions. Au terme ‘signe’ sont associés dans la langue française ceux de  : signification, signifiant, signifié, signature, signal etc. Les couleurs, formes, symboles, signes … ont leurs significations qui varient selon les sociétés. En Chine, le jaune est réservé à l’Empereur. En France, certaines familles ont toujours leurs couleurs, leurs armoiries … Rien n’empêche une personne de posséder les siennes. Le blason a valeur d’énoncé, de langage, avec sa science : l’héraldique. Ces emblèmes peuvent être utilisés d’une manière raffinée. Ils marquent l’indépendance de chaque famille, maison, région, pays, parfois d’une seule personne … D’autres signes ont valeur de formulation : ceux d’une tenue vestimentaire ou qu’on affiche autour de soi. A la Révolution, la cravate et le collet noirs (couleur portée en signe de deuil en mémoire des victimes) ou verts des Incroyables suscitent des réactions violentes de la part de certains révolutionnaires qui les leur arrachent. Ceux qui ne portent pas la cocarde d’abord bicolore puis tricolore peuvent être punis de prison. Et lorsque certains la manipulent pour la rendre discrète et plus élégante, ils sont rappelés à l’ordre. Pourtant ces trois couleurs ne sont pas contre la royauté puisque le bleu et le rouge sont celles de Paris, et le blanc celle du Roi, de la France et du royaume.  

Les tapisseries de La Dame à la Licorne, du XVe siècle et conservées au Musée national du Moyen-âge (Thermes et Hôtel de Cluny) à Paris, proposent de magnifiques exemples de symboles assemblés d’une façon particulièrement harmonieuse dans la pure tradition courtoise. On y retrouve armoiries, bestiaire, plantes, gestes, postures, vêtements …, agencés en tableaux allégoriques d’une grande finesse d’exécution et de langage. Cela peut nécessiter un déchiffrage. A ceux pour qui l’entreprise semble trop grande, qu’ils fassent comme les mélomanes qui apprécient certaines musiques profondément sans savoir pourquoi ou certains poètes inspirés par la Muse qui écrivent en suivant une grammaire élaborée mais comme de façon fortuite, comme guidés par la divinité et ceux qui se laisseront aimer leur chant … se laisser séduire, accepter la convention d’Amour, sa cour toujours renouvelée, en sachant relativiser en connaissance de la mesure de soi-même. En Asie, il y a une pratique dont les tibétains sont passés maîtres : le mandala, dont le terme provenant du sanskrit signifie cercle. Il est le plus souvent employé pour représenter et entrer dans le palais d’une divinité et servir de support de méditation. Il symbolise la plupart du temps un environnement sous une forme symbolique pouvant être considéré comme protecteur. 

Dans tous les cas, ces symboles sont l’expression d’une relation avec le monde, l’entourage, des moyens de s’affirmer, de créer, de recevoir … de communiquer … Dans un prochain article nous parlerons plus spécifiquement de la langue française.

Photo : Bergère, habillée à l’antique et parée de couronnes de fleurs, inscrivant le Chiffre d’Amour sur un arbre. Elle tient de la main droite sa houlette (bâton de berger) et de la gauche un ‘crayon’. Près d’elle se trouve son troupeau de moutons et à ses pieds coule un ruisseau. Frontispice d’Idylles et Poèmes champêtres, de M. Gessner, traduits de l'allemand par M. Huber, Lyon, chez Jean-Marie Bruyset, 1762. Format in-8°. Cette estampe est gravée par Claude Henri Watelet (1718-1786) d’après Poussin.

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