Lorsqu’un artiste peint un tableau, il réalise un reflet qui lui-même se reflète dans celui qui le contemple, quelque peu différemment suivant chacun, selon le sens esthétique d’aucuns et les clés qui leur sont données. Le mot « reflet » n’est pas juste, car il y a quelque chose de dépréciatif en lui. En même temps le reflet personnel implique du jugement, un jugement avec peu d’incidence s’il ne devient pas opinion. Il en est de même pour le beau. Évitons l’opinion. Mais peut-on esquiver le jugement, qui est tout entier le reflet de ce que l’on est ? De plus les opinions et les jugements (reflets) extérieurs, ont une incidence sur notre propre reflet, sans compter des choses plus tangibles, comme les conditions. Le beau ne déroge pas à cette règle.
La mode est aussi un reflet, et ses petits-maîtres aussi, avec leurs denses, nouveaux et jolis rythmes : couleurs, inventions, manières, langages… une sorte de jeu. Certains diront que cela n’a pas de profondeur. En effet, pas davantage qu’une couleur, qu’une danse, qu’un baiser… qu’une jouissance qui n’aurait pas de contrepartie, de seconde face… cachée… mais qui serait entier, tout, complet. Un reflet n’est que et entièrement ce qu’il est, tout en pouvant être différent à l’infini.
Dans le domaine du beau, je pense comme Antisthène (vers 444-365 – 390 av. J.-C.) qui écrit que « Ce qui est bien est beau ; ce qui est mal est laid. » Épicure (vers 342 – 270 av. J.-C.) compare l’être humain à un vase, dont la qualité n’est pas tant dans son apparence que dans sa capacité à retenir ce que l’on y verse de bon et de beau, et à ne pas le souiller, comme on l’apprend au livre VI du De la Nature des Choses (traduction disponible sur le site de Remacle) de Lucrèce (Ier siècle av. J.-C.). Voici ce passage : « […] il [Épicure] comprit que tout le mal venait du vase lui-même, dont les défauts laissaient perdre en dedans tout ce qui y était versé du dehors et même le plus précieux, soit que le vase perméable et sans fond ne lui parût pas capable de se remplir, soit qu’il fût imprégné d’une infecte saveur, poison pour tout ce qu’on y versait. » Cela fait la qualité d’un être humain… son intelligence, sa beauté… bien davantage que sa simple apparence. S’il est un joli vase corrompu, cette beauté est fausse. Le beau est ainsi vu comme un réceptacle qui retient et n’endommage pas ce que l’on y verse de bon. Le beau est une des formes que prend l’intelligence. Selon moi, la première qualité de l’intelligence n’est pas la capacité à raisonner, bien au contraire, mais à contenir et ne pas souiller le bon et le bien que l’on y verse. Ce principe est peut-être le premier de la discipline appelée « esthétique » qui, jusqu’au XIXe siècle est considérée comme la science du beau, du grec ancien αἰσθητικός (aisthêtikós), ce qui signifie « qui perçoit par les sens, perceptible »). C’est un pyrrhonien qui l’aurait employé pour la première fois : l’Allemand Louis de Beausobre (nom prédestiné, 1730 – 1783) dans son ouvrage publié en 1753 et intitulé Dissertations philosophiques…
Certains voient la beauté dans l’utilité. Une chose est belle parce qu’elle est utile, parce qu’elle apporte ce que l’on considère comme beau pour soi-même et/ou pour les autres. Finalement, la beauté est dans le regard que l’on porte sur les choses et les êtres. Elle reste relative et sujette aux affinités personnelles, de groupes, culturelles… aux coutumes.
Ci-dessous : Toilette des Dames ou Encyclopédie de la Beauté…