L’OUVERTURE SUR LE MONDE. Si nous avons des limites, s’y complaire est souvent une marque de laideur. Même les Pyrrhoniens, qui ont conscience de l’obvie (évidence) de l’acatalepsie (impossibilité de connaître vraiment), n’abandonnent jamais la recherche. Un pré-Sceptique, Métrodore de Chio, « disait qu’il ne savait pas même qu’il ne savait rien » (Source). Cette conscience du non-savoir et de l’isosthénie (force égale des arguments contraires), et la conséquence qui en est l’épochê (suspension de l’assentiment), ouvrent la vue sur le monde, les perspectives… On l’aura compris, il s’agit d’une démarche avant tout intérieure de l’esprit qui se libère des voiles qu’il a créés. Pourtant, certains pensent qu’enfermer les autres dans leurs limites est la solution. Cela ne fait que les rendre mesquins et plus petits, même s’ils ont de ‘hautes’ fonctions.
L’HARMONIE ET L’ÉQUILIBRE. L’homme est un être bipède qui vit en équilibre sur ses deux jambes. Trouver et conserver cet équilibre n’est pas facile pour l’enfant qui apprend à marcher. Même dans le reste de sa vie, l’être humain continue constamment de chercher l’équilibre, car tout étant mouvement, il est obligé de se réajuster tout le temps, d’où les phénomènes de modes (au masculin et au féminin). D’une certaine manière, il cherche la stabilité dans l’instabilité.
Ce mouvement est comme une danse, une musique. Il apporte la substance du réel qui, par là-même, par son impermanence, n’est pas vraiment substantiel, enfin pas dans un sens grossier, mais fin… Comme je l’ai dit, certains philosophes, comme ceux de l’éléatisme, affirment que le mouvement n’existe pas n’étant qu'une apparence, comme le dit Mélissos (voir l'article II de cette série). Cela rejoint certaines philosophies orientales sur le non-je, nos sens (pensée incluse) étant entièrement mouvement, enfin sur la question de ce qu’est (ou n’est pas) l'être : l’ontologie.
Cette conscience de baigner entièrement dans 'une illusion réelle' ne rend pas l’être humain extérieur à cette dernière. Il se doit donc de faire attention, de rester alerte. Quand on ne trouve pas l’équilibre, on tombe dans la folie. Du reste, en français, un fou est parfois appelé « un déséquilibré ». Cette folie peut se cacher derrière une convention collective. D’une certaine manière, la plupart des gens vivent avec la folie, car celle-ci est l’opposé de la sagesse ; et qui peut se dire être sage ?
Dans la vie sociale, l’équilibre est donc souvent une convention. Mais cette convention doit suivre trois préceptes qui me semblent (pour le moment) primordiaux si elle ne veut pas sombrer : 1 – La recherche de vérité ; 2 – Être forte ; 3– Être plaisante. Ces données s’appliquent aussi aux individus.
LA RAISON : CHERCHER LA VÉRITÉ. Si l’on ne peut être sage, du fait de la condition humaine (voir l’article sur le pyrrhonisme), on peut chercher à l’être, ce qui est au fondement même de la philosophie. Quérir la sagesse et ses dégradés (la vérité, le savoir, la connaissance…) doit être continuel. Cela est à la base de la liberté. D’après Héraclite, il n’y a qu’une seule manière d’être sage, c’est de connaître la raison, quelle est l’essence des choses. La raison est distinction ; être raisonnable consiste à distinguer.
RESTER FORT. Les limitations humaines font que la force est nécessaire pour rester en équilibre. Il faut l’être sans se laisser entraîner par la violence, la colère ou toute autre manifestation négative de cette force, comme la haine. Elle doit donc se coupler à la sagesse, sinon là aussi, elle ne devient que folie. Surtout on la trouve dans l’infini qui se déploie grâce à la sagesse et la profonde détente alerte et lumineuse qui en résulte.
LA DÉTENTE ET LE PLAISIR. La force doit donc s’unir à la détente. Dans la mythologie antique, Arès (Mars), le dieu de la guerre, est l’amant d’Aphrodite (Vénus), la déesse de l’amour. Il ne peut non plus y avoir d’équilibre sain sans plaisir. Les mots même de « bien » ou de « bon » ont ce sens. Il ne s’agit pas d’un désir. Chercher le plaisir c’est le désirer, ce qui n’est pas le plaisir, mais le contraire : ce qui apporte la frustration, la colère, la haine, la méchanceté, etc. L'amour n'est pas du désir, et la force n'est pas de la haine. Ce plaisir est davantage ce que les philosophes grecs appellent « l’ataraxie » (Epicure, Pyrrhon…) ou bien « l’euthymie » (Démocrite).
Nous ‘devons’ constamment chercher l’équilibre entre la connaissance, la force et le plaisir, en les remettant tout le temps en question, ce que de toutes les façons la vie et la mort font. Pour la plupart, il ne s’agit pas d’un équilibre apporté par le savoir, mais par sa recherche, qui s’inscrit dans une nécessité, comme le sont la force et le plaisir ; mais aucun ne doit prendre le dessus sur l’autre.
Tout ce que j’écris là n’est qu’une MUSIQUE. L’important bien sûr est ce qui vient de soi-même, et de la capacité, peut-être, que nous avons à sortir de notre état grossier sans pour autant rabaisser qui que ce soit, en pure conscience. D’une manière générale, nous évoluons dans une musique à laquelle nous ‘appartenons’… dans une manière, une façon, un mode, une mode… Les grands orchestres de musique classique nous montrent comment peut s’opérer cette harmonie. Chacun y a sa place et son rôle, car chacun, il me semble, est en mouvement et produit du rythme et donc du son, de la musique et de la danse.
L’Être humain étant infiniment insignifiant dans l’immensité, évidemment il se trouve confronté à beaucoup d’autres forces et obstacles au savoir et au plaisir. Mais il doit continuer de chercher à connaître… et chercher l’équilibre, pas un faux équilibre, mais le meilleur possible.
Personnellement, je trouve qu’une des meilleures choses qu’ont transmis les philosophes, c’est ce sentiment du bonheur, de plénitude… une sorte de réminiscence d’un Âge d’Or, dans lequel non seulement une société toute entière peut se baigner, mais avant tout qui se loge en soi, et qu’il faut laisser surgir naturellement, car cet état est la véritable nature de l’être humain.