Gravure de vers 1700, de Nicolas Guérard (vers 1648 – 1719, dessinateur et graveur) intitulée : « AUJOURD’HUI D’UNE FAÇON DEMAIN DE L’AUTRE ». Cette estampe s’inscrit dans la caricature de mode. Elle est même un document de choix ! La légende indique : « PARIS Paradis des femmes Purgatoire des hommes l’Enfer des Chevaux / L’on prétend partout que Paris / Soit des hommes le Purgatoire / Et des femmes le Paradis / Comme il paraît en cette histoire / Passe à cela pour tous nos maux / Que l’Enfer soit pour les chevaux. » L’image montre un personnage à cheval, à moitié femme et à moitié homme, tenant deux horloges.
L’une présente une « JOURNÉE DES FEMMES DE PARIS ET LEUR PARADIS », avec « Lever », « à la Toilette », « à la Messe », « à la Table », « Jeu Visites Collations », « Promenade Comédie Opéra », « Après Souper Jeu ou Bal », « Coucher », « beaucoup de repos peu de fatigue ».
La seconde horloge déroule une « JOURNÉE DES HOMMES DE PARIS ET LEUR PURGATOIRE » : « Lever », « Pour soutenir sa famille faut dormir peu et travailler beaucoup », « Pour faire valoir son talent faut suer sang et eau », « Pour avoir un emploi faut remuer Ciel et Terre », « Pour voir la fin d'un procès faut souffrir mort et passion », « Pour inventer des modes faut se casser la tête », « Coucher », « beaucoup de fatigue peu de repos ! »
D’autres textes de l’image se trouvent sous l’inscription « PARIS Source des Modes ».
Du côté de la femme on a : « Mode de se mettre du grand air. », « Mode d’avoir des souris. » [les souris sont des noeuds en nonpareille (ruban étroit) que les femmes portent à cette époque], « Mode de cacher son âge. », « Mode de se mordre les lèvres. », « Mode de se rengorger. » [se rengorger consiste à avancer la gorge tout en mettant les épaules et la tête un peu en arrière de manière vaniteuse], « Mode de ruiner un mari par la dépense », « Mode d’aller à toute bride et de crever les chevaux. », « les Chevaux meurent sous le fardeau ».
Du côté de l’homme est inscrit : « Mode d’outrer les modes d’un grand chapeau un petit d’une cravate de 2 aunes une de 3 quartiers. », « Mode de se barbouiller le nez de tabac et le justaucorps de farine. », « Mode d’aimer les nouveautés. Mode d’aller à toute bride et de crever les chevaux. », « les hommes servent de mulets ».
Pour en finir avec nos drôles de pistolets du XIXe, parlons donc un peu de la caricature de mode qui précède ce siècle. Nicolas Guérard est à l’origine de plusieurs caricatures des modes de son époque. J’en présente ici deux, ci-dessus et ci-dessous, mais il en a réalisé beaucoup d’autres, comme : Argent fait tout – Mariage à la mode ; Testament à la mode et deuil joyeux ; La Coquette. – Miroir des Dupes ; Vie voluptueuse. – Elle a plu elle plaît elle plaira ; Mode bourgeoise. – Tout ce qui reluit n’est pas or ; Le Pont-neuf vu du côté de la rue d’Auphine – L’embarras de Paris. Plusieurs gravures de mode de cet auteur sont présentées ici.
L’histoire de la gravure de mode française nous est connue notamment par les travaux de Raymond Gaudriault (1912 – 2003), qui a écrit La Gravure de mode féminine en France (Paris : Éditions de l’Amateur, 1983) et Répertoire de la gravure de mode française des origines à 1815 (Paris : Promodis-Ed. du Cercle de la librairie, 1988). À travers les gravures recensées, on apprend beaucoup sur la mode vestimentaire et les petits-maîtres qui la portent, mais beaucoup moins sur la mode en général et ses nombreux rythmes que ne le font les caricatures des modes. Dans les articles de ce blog de la série « Drôles de pistolets », je mets en avant quelques artistes du XIXe siècle, et même de la fin du XVIIIe mais ayant aussi vécu au siècle suivant, qui ont produit des documents sur le sujet. Pour les siècles qui précèdent, le travail est plus difficile, et je possède peu d’exemples d’époque à vous montrer, puisque dans cette série sur les drôles de pistolets je n’expose que des documents m’appartenant.
Ci-dessous : Gravure du même artiste que précédemment. Elle a pour double titre : « PEINTURE SANS MAÎTRISE », « LA TOILETTE ». Une dame est représentée à sa toilette, se faisant peigner et maquiller, et maquillant aussi une autre. Le caricaturiste se moque ici du maquillage qui ressemble à de la véritable peinture.
La légende stipule : « Fuyez Amants, les mouches sont en sentinelle / Pour vous jouer de quelque mauvais tour : Gare c’est l’assassin [genre de petite mouche dite « assassine »], employé par ces belles / Qui doit vous percer, Zest, d’une flèche d’Amour / Quand vous auriez gagné le pendre / Vous n’auriez pas plus d’Archers après vous / Tous leurs attraits sont masqués pour vous prendre / Pauvres amants prenez bien garde à vous. »
Dans la partie haute de cette gravure on lit : « Laissons gloser ces esprits mal timbrés / Par un bel Art réparons la nature / Cachons sous la couleur nos attraits délabrés / Et nous aurons un teint fleuri en miniature / Un teint bien refait et d’un éclat merveilleux / Oui Madame je vois déjà briller vos Yeux / l’Admirable Art de la Peinture / C’est un trésor qu’enrichit la nature / Car je vois qu’à chaque coup de pinceau / Vôtre teint prend un éclat tout nouveau / Surtout quand vous jouez de la prunelle / O Ciel que d’Esclaves en vous voyant si belle / En vous voyant on voit la mère des Amours / Qui triomphe des coeurs mais plaçons en vedette / Près de l’oeil l’assassin et la mouche coquette / Et nous verrons tantôt beau jeu au cours [Promenade du Cours la Reine].
Dans la partie basse il y a ce texte : « Iris croit par le fard d’être belle et de plaire / Son visage plâtré n’est qu’un mauvais ragoût / Elle gâte son teint en croyant le refaire / Et prétend plaire en donnant du dégoût. »
Au milieu, vers l’enfant (à gauche) est inscrit : « la Fille écoute et elle apprend de sa mère à faire un jour ce qu’elle lui voit faire » ; entre les deux jeunes femmes se maquillant : « Méthode de peindre en miniature sur le cuir et la peau » ; et près de celle peignant (située à droite) : « Peignes de Plomb servant à peindre les cheveux roux en brun ». Sur la table de toilette : « Arsenal de la mollesse » et « Artillerie des Coquettes »
Dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, au temps des hautes coiffures féminines en boucles, beaucoup de gravures se moquent de celles-ci. On compte par exemple une série anonyme mettant en scène « Mademoiselle des Faveurs », « Mademoiselle des Soupirs » et le « Baron du Caprice », comme Mlle des Faveurs à la promenade à Londres ; Mlle des Faveurs aux Tuileries à Paris, ou Vengeance de la volaille déplumée contre la coiffure emplumée de Mlle des Soupirs. En voici d’autres : Les funestes effets de la coquetterie ; Coiffure pour homme ; Coiffure de grand goût ; Départ de la promenade – Des boulevards de Paris ; Le stratagème amoureux ; L’incendie des coiffures ; Tiens vois-tu ce logis portes-y ce billet… ; Le maître de musique élégant qui donne leçon à Mlle Sara Frian et aux gens de sa suite ; La brillante toilette de la déesse du goût ; Madame la Comtesse de M… En voici deux du XVIIe siècle : Les enfarinés – Les mouches et Le branle des modes françaises.
Comme le sujet n’a pas été étudié, ce n’est pas très facile de les trouver… Il me semble que peu de ces caricatures sont signées, alors que les gravures de mode le sont souvent, avec, par ordre décroissant, des noms comme François Watteau (1758 – 1823), Claude-Louis Desrais (1746 – 1816), Augustin de Saint-Aubin (1736 – 1807), Nicolas le Jeune Dupin (1753 – ?), Louis-Joseph Watteau (1731-1798), Jacques Sébastien Le Clerc (1733 – 1785), Antoine Hérisset (1685 – 1769), Jean Mariette (1660 – 1742), Bernard Picart (1673 – 1733), Robert Bonnart (1652 – 1733), Jean-Baptiste Bonnart (1654 – 1726), Nicolat Arnoult (vers 1650 – vers 1722), Nicolas Bonnart (vers 1637 – 1718), Sébastien Leclerc (1637 – 1714), Henri Bonnart (1642 – 1711), Antoine Trouvain (vers 1650 – 1710), Jean Dieu de Saint-Jean (1654 – 1694 ou 1695), Abraham Bosse (1604 – 1676), Jacques Callot (1592 – 1635), François Desprez (ou Deserps, vers 1536 – vers 1585), etc.
Ci-dessous : « ENTRÉ[E] DU BARON DU CAPRICE Chez Mlle des Faveurs ». « De ces jeunes faquins Dieux, quelle est la folie, / Voyez à quel usage ils emploient la vie, / Voilà jusqu’à quel point les fades d’à présent, / Bornent tous leurs plaisirs, leurs goûts, leur argent. » Sur cette gravure d’époque Louis XVI, un petit-maître fait casser l’entrée de la demeure de sa maîtresse afin de pouvoir y entrer avec sa haute coiffure.