Harmonie des couleurs

Dans le jeu de la lumière, deux éléments sont importants : les couleurs et les formes. Harmoniser les couleurs est tout un art, en peinture, décoration… et dans la mode vestimentaire. Je retranscris ci-dessous un article de la revue La Mode, d’octobre 1829, ayant pour sujet l’harmonie des couleurs dans le costume. Entre crochets, j’y ajoute des remarques.

« PRINCIPES DU COSTUME : Harmonie des couleurs

Rien ne distingue plus tout de suite une femme que le goût qu’elle montre dans le choix des couleurs.

Dans leur accord pour l’habillement, il faut toujours en faire dominer une à laquelle les autres seront subordonnées. De même que les peintres ne laissent point deux lumières remarquables briller également dans le même dessin, de même dans l’habillement une moitié du corps ne devrait jamais être distinguée par une couleur, et l’autre par une couleur différente. Tout ce qui divise l’attention diminue la beauté de l’objet ; et quoique chaque partie, prise séparément, puisse paraître belle, l’effet ne sera pas moins détruit pour l’ensemble. [La fin du Moyen Âge et ses costumes mi-partis témoignent que ceci n’est pas toujours vrai, et que couper le costume avec des couleurs différentes de chaque côté est aussi harmonieux et ne diminue pas la beauté de l’objet.]

Les couleurs secondaires doivent avoir un certain rapport avec la couleur dominante, et en même temps être en harmonie l’une avec l’autre.

Les couleurs prédominantes sont mieux adoucies par le contraste ; mais il ne doit pas être tel que la couleur adoucissante soit égale à l’autre, car alors il y aurait opposition, ce qu’il faut éviter.

Le choix de la couleur dominante sera surtout indiqué par le teint de la personne. À cet égard quelques observations sur les couleurs ne seront pas inutiles.

Les couleurs primitives étant le jaune, le rouge et le bleu, un mélange égal de deux de ces couleurs devient directement l’opposé de la troisième. L’orangé est le composé qui est opposé au bleu, le vert est opposé au rouge, et le pourpre est le plus grand contraste du jaune.

Chacune des trois couleurs primitives, de même que les trois composées, se marie parfaitement avec le blanc.

Le diagramme expliquera les couleurs qui sont opposées l’une à l’autre. Le jaune, le rouge et le bleu sont les couleurs primitives ; l’orangé, le pourpre et le vert sont composés de leurs intersections ; le rouge et le bleu se réunissent dans le pourpre; le rouge et le jaune dans l’orangé, et le bleu et le jaune dans le vert. On voit en outre que le rouge et le vert, le bleu et l’orangé, le pourpre et le jaune sont diamétralement opposés l’un à l’autre.

On peut en général consulter le diagramme pour la simplicité ou l’éclat de l’habillement. Les teintes successives du triangle peuvent s’employer pour un vêtement simple et qui s’harmonise, et la couleur opposée pour augmenter par le contraste le brillant de l’autre couleur.

En faisant application de ces couleurs à la figure, on peut adopter comme essentiel le principe suivant : Si le visage a trop de jaune, on y remédie par une coiffure jaune, qui fait ressortir le rouge et le bleu du visage. Si c’est le rouge qui domine trop, le rouge autour de la figure diminue le premier et fait prédominer le jaune et le bleu. Si le visage a trop de bleu, on y remédie par du bleu, qui fait prédominer le jaune et le rouge.
On remédie par l’orangé à trop de jaune et de rouge, par le pourpre à trop de rouge et de bleu, par le vert à trop de bleu et de jaune.

Le peintre peut objecter à ces principes qu’il est nécessaire de balancer les couleurs dans un portrait ; que si le jaune domine, il est cependant nécessaire qu’il y ait du pourpre dans le portrait, ce qui, d’après ces principes, aurait une tendance fâcheuse à augmenter le jaune ; et ainsi de suite : que quoique la figure soit trop rouge, le vert est utile, et que, quoiqu’elle soit trop bleue, il ne faut pas moins du jaune. Je réponds que ces faits n’ôtent absolument rien aux principes précédents. De telles couleurs sont utiles dans les portraits, mais ne doivent pas être mises en contact avec la figure.

En effet, les mêmes principes s’appliquent à la figure vivante et à la figure peinte, avec la différence que le fond de celle-ci est limité par le cadre, ce qui n’existe point pour la figure vivante. C’est parce que le fond est déterminé, que la balance de la couleur doit l’être aussi dans un portrait. La tête vivante se meut et se trouve opposée à différents fonds, en sorte qu’il devient nécessaire de lui donner la draperie qui convient au plus grand nombre de fonds.

On ne conteste point que si cette draperie était jusqu’aux pieds d’une même couleur, elle serait monotone, et qu’il faudrait l’adoucir ; on ne prétend pas non plus que le meilleur moyen serait la couleur simple ou composée qui lui sert de contraste naturel, comme le pourpre pour le jaune, ou le bleu pour l’orangé ; mais alors, si nos principes sont vrais, et on ne peut le nier, il est certain que la couleur adoucissante ne doit pas être mise en contact avec la figure, où son contraste, fort et direct, renforcerait la teinte défectueuse ; et qu’elle ne doit pas non plus être trop marquée, parce qu’elle produirait encore un effet supérieur à l’autre. Il est évident, d’après le nom seul, que la couleur adoucissante doit être moindre en quantité. On conçoit de même, d’après tous les raisonnements précédents, qu’il faut mettre moins de cette couleur auprès de la figure. Tandis qu’on placera au bas de l’habillement un large bord de la couleur adoucissante, on mettra un bord plus étroit ou de simples nœuds pour marquer les pointes montantes de l’habillement, et cette couleur sera remplacée par le blanc auprès de la figure. La règle se confirme de la pratique actuelle, quoiqu’on la suive sans système et presque par instinct, car c’est au bas de l’habillement qu’on place des bords larges de la couleur adoucissante, et autour du visage qu’on emploie le blanc.

On peut encore employer les fleurs et les plumes, sur la tête, comme moyen d’adoucir la couleur dominante.

Nous arrivons à un point important de l’habillement chez les femmes : le fond des chapeaux qui réfléchissent leur couleur sur la figure, ou les chapeaux transparents qui laissent passer la couleur. Dans les deux cas, la couleur ne doit pas être celle qui est placée autour du visage, et qui opère sur lui par le contraste, mais la couleur opposée. Si le vert autour du visage relève par le contraste le rouge trop pâle des joues, le bord du chapeau y aidera aussi par la réflexion. Les bords dont la couleur se réfléchit devraient toujours être de la teinte qui manque le plus dans le visage. Mais alors il faut prendre garde que ces bords ne soient directement en face du spectateur, et ne nuisent au visage par le contraste, en effaçant la faible couleur qu’ils devraient relever par la réflexion. Il ne faut donc pas que le devant de ces chapeaux soit trop évasé.

Pour de grands chapeaux, on peut se servir pour doublure du contraste convenable ; mais il faut prendre garde que la réflexion ne soit trop forte, car autrement elle ferait tort au teint.

Avant de finir ce qui regarde l’application des couleurs d’une manière générale, nous ferons observer que des figures d’un teint délicat veulent pour contraste des couleurs légères, et que des teints foncés demandent des couleurs plus tranchées.

La raison, relativement aux teints foncés, est évidemment parce que les couleurs, qui le sont également, tendent à rendre le teint plus agréable ; et le motif pour lequel un teint délicat rejette les couleurs tranchées est parce que l’opposition serait trop forte, et que le teint paraîtrait trop pâle.

On serait tenté de supposer qu’un jaune foncé contraste le mieux avec une carnation très-rouge qui a un peu de jaune ; mais un moment d’attention prouvera que tandis que le jaune du fond tend à effacer le jaune de la figure, le noir du jaune foncé tend par opposition non seulement à blanchir la figure, mais à faire ressortir le jaune par le contraste, et qu’il se forme ainsi un double effet qui se contrarie.

Voyons dans quel degré il faut employer le blanc ou le noir pour la figure d’un rouge prononcé. Nous remarquons d’abord qu’en général la nature a, dans la figure humaine, combiné le rouge avec le blanc, et jamais avec le noir. Toutes les races blanches sont distinguées par une teinte sanguine, mais il n’en est pas de même du nègre. Cela suffit pour prouver l’accord du blanc et l’incompatibilité du noir avec une figure foncée en couleur. Il n’en peut être autrement ; le rouge paraîtra sur le blanc, mais non point sur le noir. Cette dernière couleur n’est donc jamais convenable, quand la figure est d’une carnation forte, et elle l’est d’autant moins que cette carnation est plus tranchée.

Sur ce point, il y a une différence relative aux sexes. Chez les hommes, le noir convient plutôt au teint d’un rouge foncé qu’au teint d’un rouge délicat ; c’est le contraire chez une femme.

Toutes les règles précédentes s’appliquent aux figures chez lesquelles il y a plus ou moins de rouge. S’il manque absolument, le teint est défectueux, comme chez les Albinos, et alors il faut agir différemment. D’après ce que nous avons dit plus haut, le jaune produirait sur les figures pâles une teinte livide, le rouge une teinte verte, et le bleu une teinte de saule ; aucune d’elles n’est avantageuse. Il ne faut donc pas les employer, parce que l’absence du rouge rend la chose impossible. Il ne reste que le blanc et le noir, et ceci est assez ordinairement senti, car, sans en comprendre la cause, on a remarqué l’accord du blanc et du noir avec les teints pâles. Ce n’est au reste qu’un accord relatif, et ces couleurs sont seulement un peu plus convenables que les autres.

Ovide observe ces deux particularités, la première relativement aux teints délicats et pâles, la seconde relativement aux femmes brunes. « Si le teint est délicat, dit-il, le noir lui conviendra davantage ; c’est de noir qu’est vêtue la tendre Briséis. Si la bergère est brune, qu’elle soit habillée de blanc ; c’est ainsi qu’Andromède charmait si fort les regards étonnés. »

Le noir et le blanc s’appliquent toutefois différemment aux personnes pâles qu’à celles qui ont le teint foncé. Chez ces dernières, il faut une couleur plus marquée, et une couleur plus faible, si le teint est plus délicat ; mais si les personnes pâles et délicates employaient le blanc, et les personnes pâles et brunes le noir, leur figure semblerait de la même couleur que l’habillement.

Il faut traiter les personnes qui n’ont presque point la teinte de la vie et de la santé, comme le peintre ferait d’un portrait, c’est à-dire employer une couleur opposée qui balance l’autre.

Il y a une exception à faire pour les personnes brunes dont les yeux, les cils et les sourcils son extrêmement noirs, ce qui fournit une autre sorte de contraste. Ces personnes peuvent non seulement porter du noir en opposition avec la couleur de la peau, mais aussi porter du blanc, qui contrastera avec la couleur des yeux, etc. Si les yeux, les sourcils, etc., sont les parties les plus délicates de leur visage, il vaudra mieux employer le blanc ; si les autres traits sont plus fins, il est préférable d’employer le noir.

Après tout ce qu’on a dit, il est à peine nécessaire d’ajouter que les objets qui servent de fond à la figure, ou qui réfléchissent leur couleur sur elle, embellissent toujours ou altèrent le teint. C’est pour cette raison et quelques autres que plusieurs personnes paraissent mieux dans leurs appartements que dans les rues. Les appartements doivent donc être particulièrement calculés pour faire bien ressortir le teint des personnes.

Passons à examiner la forme de l’habillement. Sa finesse et sa légèreté sont généralement préférables à leurs contraires.

Leur moelleux ou leur surface rude sont susceptibles de quelque observation. En général, les belles surfaces qui présentent quelque chose de rude forment un contraste agréable avec la douceur de la peau, comme le velours, le crêpe, la gaze, etc.

L’opacité ou la transparence méritent également de l’attention. Par rapport à la figure en général, la première est préférable pour une personne qui a de l’embonpoint ; et les vêtements transparents conviennent mieux aux autres. Par rapport à la figure en particulier, la transparence du vêtement en contact avec elle vaut ordinairement mieux. Le crêpe rude et transparent fait meilleur effet sur la figure qu’une batiste douce et opaque.

On a assez parlé de la transparence du vêtement dans les temps anciens et modernes. Ménandre cite un habillement diaphane qu’il indique comme celui des courtisanes. C’est ce que Varron appelle vitreas vestes, vêtements de verre ; Horace leur donnait le nom de l’île de Cos où on les fabriquait.

Ovide dit avec raison, relativement à la parure des cheveux : « Selon leur disposition, ils gagnent ou perdent de leur grâce, augmentent ou détruisent la beauté du visage. Demandez à votre miroir ce qui convient à vos traits, car on ne peut fixer de règle pour la coiffure de la tête. S’il faut dissimuler la longueur de celle-ci, que les cheveux ne s’élèvent point et se partagent également des deux côtés. C’est ainsi qu’est vêtue Léodamie. Une figure trop ronde doit laisser les oreilles à découvert et se couronner en tour. »

Au sujet de la photographie : Il s’agit d’une petite maîtresse de vers 1827. La teinte dominante de son accoutrement est l’ébène, depuis le chapeau jusqu’à la robe. Celle-ci et l’épaisseur ‘pleine’ du tissu (peut-être du velours) font ressortir le blanc de sa peau et sa finesse ainsi que la délicatesse de son rouge. Le blanc de la plume adoucit son teint d’albâtre et renforce le pourpre de sa face, alors que le rouge de l'autre plume, qui encadre son visage, dulcifie l’incarnat de ses joues et de ses lèvres tout en rehaussant le blanc de sa peau. Un autre harmonieux contraste se rencontre dans le vert et le rouge des autres plumes placées plus haut, couleurs qui s’opposent avec harmonie. Le rouge, le vert et le blanc se prolongent sur un ruban au-dessous du chapeau, faisant cette fois ressortir les yeux de cette belle par le jeu des contrastes ; à moins qu’il s’agisse de rouge, bleu et jaune, comme sur la robe, créant des lignes horizontales colorées adoucissant la verticale noire du costume. Sur ce sombre de l'habit, on ne retrouve que ces trois couleurs primaires en broderies seulement présentes en haut, au milieu et au bas. Ces couleurs vives donnent de la richesse (une préciosité) à ce noir, et ce dernier les accentue. Le jeu des contrastes se poursuit dans la transparence des manches, qui tranche avec le caractère opaque du tissu de la robe, en le prolongeant aussi car de la même couleur. Tout cela souligne la finesse des bras agréablement potelés, tout en faisant ressortir la blancheur des mains ou des gants

Le langage des couleurs s’apprend, comme on le fait de la langue ou de la musique, puis se joue d'une infinité de façons, avec plus ou moins de talent.

Certains codes sont admis de tous, comme le noir ou le blanc pour le deuil, le blanc ou le rouge pour le mariage. Le bleu serait plus adapté à l’homme, et le rouge à la femme. Le vert repose le regard ; ce qui n’est en fait pas un code mais une réalité (voir l'article En vert et contre tout ?). Il est aussi synonyme de printemps, alors que le brun d’automne, le jaune d’été (aussi de richesse), le blanc d’hiver. Ce ne sont que quelques exemples. Les sociétés et les religions ont aussi leurs tons. Dans la religion catholique, chaque période liturgique a la sien propre. Les pays possèdent leurs couleurs, comme le bleu, le blanc et le rouge pour la France, le bleu et le rouge étant celles de Paris et le blanc la teinte de la royauté.

Ce langage poétique est aussi présent dans les noms qu’on leur donne, qui peuvent être très imagés. Dans les revues de mode des années 1780 – 1790, sont citées les couleurs puce et ses nuances (ventre de puce, ventre de puce en fièvre de lait, tête de puce ou cuisse de puce), soupir étouffé, entraille [sans 's'] de petit-maître, cuisse de nymphe émue, boue de Paris, queue de serin, queue de renard, feuille morte, aurore, gris de lin, suie de cheminée de Londres, olivâtre, feu, impossible, cheveux de la reine, carmélite, plume de corbeau, vert de dragon et col de canard, parmi beaucoup d’autres. Certaines apparaissent ou sont à la mode à des moments précis.

Au XVIIIe siècle, on apprécie beaucoup les couleurs « tendres », c’est-à-dire à la fois profondes, éclatantes et douces au regard. Dans la photographie du tableau d’Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1755 – 1842) représentant une dame en jaune de cet article, on a l'exemple de ce que peut être un jaune tendre.

Souvent, on conçoit le passé en noir et blanc. Durant le XIXe siècle, le XXe et jusqu’à aujourd’hui, on s’est ingénié à faire disparaître les couleurs de statues et monuments anciens. Peut-on imaginer que le Parthénon à Athènes ou la cathédrale Notre-Dame à Paris fussent peints à l’extérieur et à l’intérieur, et en particulier les statues ! On conjecture que les Grecs et les Romains de l’Antiquité ne portaient que des drapés blancs, mais les peintures murales découvertes nous dévoilent des habits très colorés, souvent délicatement, avec des tonalités harmonieusement disposées sur le corps ! Je m’arrête là… mais ce sujet est sans fin, et mériterait que la mode d’aujourd’hui y accorde plus d’importance… ou du moins l’élégance contemporaine.

En ce mois d'avril, la nature se couvre d'un merveilleux vert tendre !
Les Petits-maîtres de la Mode

Merveilleuses & merveilleux