La posture est un élément de la vie, continuellement, car la vie est de la tenue. Dès l’enfance l’être humain apprend à se tenir, à quatre pattes puis sur deux pieds, à se comporter sociablement. Tout est posture, les moments personnels comme les partages, et cela jusqu’à la mort au moins, car sans doute ce qui apparaît après est aussi de l’ordre de la posture, de la manière dont on a tenu son esprit durant la vie, révélée de manière ‘réelle’, sans faux-semblants.
Le gandin est conscient de sa posture physique et mentale. Celle-ci n’est ni trop rigide ni trop relâchée… dans un point de confort et de plaisir idéal. Ne quid nimis : Rien de trop. Enfin, je parle là surtout de l’élégance, car au niveau du gandisme, il peut y avoir aussi de l’exagération, de la pose, de l’extravagance… beaucoup de fantaisie. Surtout le gandin est différent du commun dans sa modernité, sa jeunesse, son pétillant, sa vitalité riche… tellement riche que beaucoup de personnes croient que les petits-maîtres sont tous d’une condition sociale élevée… ce qui n’est pas du tout le cas.
La posture est en étroit rapport avec les nerfs du corps, avec l’appréhension du monde. Elle est physique et mentale. Selon les cultures, la contenance ‘figée’ dominante n’est pas la même, mais est toujours accompagnée d’autres s’inscrivant dans le mouvement. Si, dans les classes aisées de l’Antiquité grecque et romaine, on vit beaucoup couché, on pratique aussi assidûment les bains et les exercices du corps, souvent quotidiennement. En Asie, l’attitude en tailleur est accompagnée d’autres pratiques plus ‘mobiles’ comme de nombreuses formes de yoga ou liées au souffle (qi, 氣)… notamment. En Occident, on est passé progressivement de la position couchée, qui est restée pendant longtemps celle d’une certaine ‘élite’ (lits d’apparat, ruelle du lit…), à celle assise et statique. Je dis « statique », car jusqu’à l’apparition des voitures à moteur, on voyage beaucoup à cheval, l’équitation faisant partie des exercices. Aujourd’hui, le cheval n’est plus très courant, et les êtres humains sont principalement engoncés dans des véhicules à moteur, à leur bureau, dans leur fauteuil, devant leur ordinateur… Tout cela change l’appréhension du monde, bloquant même les nerfs, ce qui crée des maladies. C’est pour cette raison que les exercices physiques sont primordiaux pour garder une bonne santé… pas n’importe lesquels bien sûr, certains pouvant avoir une action contraire. Là aussi de la mesure. L’élégance enseigne cette beauté qui éclot de rythmes harmonieux.
Quand il y a mouvement, mesure et musique, on parle de danse. Cette dernière est un élément fondamental de la culture française. Là aussi, cela a bien changé. L’enseigne-t-on dans les écoles ? Pourtant, durant l’Ancien Régime, elle est l’une des premières disciplines, et peut-être la première, professée dans le cadre d’une bonne éducation. Elle initie au bien vivre ensemble, mais pas seulement aux rythmes sociaux, aussi à d’autres, comme ceux apportant harmonie du corps et de l’âme de l’individu, et d’autres encore plus ‘divins’, reliant à ce que les ‘platonistes’, les pythagoriciens ou les orphiques notamment appellent « la musique des sphères », c’est-à-dire la danse musicale du monde.
Je reviens sur l’expression « s’asseoir en tailleur » : Elle vient du fait que certains artisans, en particulier les tailleurs, se mettaient souvent dans cette position pour travailler. En Inde, les cordonniers avaient, et ont peut-être encore, l’habitude de le faire les jambes écartées, les genoux pliés et les talons joints.
Il y a deux contenances importantes dans l’éducation française, et que l’on retrouve chez les gandins : la droiture et la révérence. La première est aidée notamment par les habits qui, jusqu’au XXe siècle, sont pour d’aucuns assez rigides : corset, plastron, amidon, col, sur-mesure… Ils facilitent la tenue. La seconde est la révérence, qui est une marque de civilité. On se penche beaucoup jusqu’au XIXe siècle, avant d’emprunter l’usage anglais de se serrer la main. Les gandins prennent souvent un air ‘penché’… De la tenue certes, mais pas de rigidité. S’il y a une chose que le comportement des petits-maîtres enseigne aux autres, c’est à ne pas être rigide. Neglegentia diligens, dit l’adage (voir l’article sur Le gandisme).