La mode française

Est-ce vraiment le moment de parler de la mode française, alors qu’un très grand nombre des voyants de notre société et de notre monde sont au rouge ? Je réponds évidemment que oui, parce que :
– La situation est inextricable ;
– Il n’y a rien de mauvais à rechercher les trois B (le beau, le bon et le bien) ;
– J’aime cela ;
– Il n’y a pas de grandes solutions à la situation actuelle, mais une infinité à l’échelle humaine, et qu’aucun domaine ne doit être laissé de côté, et notamment pas ce qui fait remuer les foules ;
– Pour moi se cache derrière la mode une véritable philosophie, un amour du beau et de la fantaisie… du bonheur… et que sans bonheur, sans appétit, plaisir (je rappelle que je distingue fortement plaisir et désir), on ne peut véritablement avancer…
– Parce que ceci, parce que cela…

Et puis le gandisme consiste à chercher à rester droit et à l’aise dans toutes les situations, sans jamais oublier ce paradis ‘perdu’ dont la mode était un des reflets les plus chatoyants. J’emploie le passé, car il est bien évident que la mode française aujourd’hui est dans un lamentable état. De même que l’élégance…

L’élégance, la beauté et la sagesse manquent énormément à ce monde. Si elles étaient présentes chez ceux qui dirigent, il n’y aurait pas de problèmes environnementaux, d’injustices et autres.

Mais revenons-en à la mode française et en particulier à son histoire. Quand je parcours des livres sur la mode, je suis souvent très surpris par certaines constatations :
– Sa réduction aux habits, alors que dans son histoire le vêtement ne constitue qu’une partie de son évolution ;
– Le peu de connaissances que l’on a de l’histoire de la mode vestimentaire même, notamment de ses ‘grands artisans’, chaque génération ayant ses noms renommés dans tous les domaines qui la constituent, et cela depuis l’Antiquité ;
– Dans la mode vestimentaire contemporaine particulièrement, la place ridicule accordée à la mode masculine, tendance qui commence à la fin du XVIIIe siècle…

Dernièrement, j’ai emprunté à la bibliothèque de mon quartier un livre intitulé La Mode pour les nuls, dont l’auteur est une « rédactrice en chef adjointe du magazine Marie France ». Cet ouvrage est censé introduire à la mode ceux qui n’y connaissent rien. Il est exemplaire de l’état où en est la connaissance en France sur ce sujet. Il n’y est question presque que de mode vestimentaire. Celui-ci est très complet et clair pour ce qui concerne la seconde partie du XXe siècle et la mode marchande contemporaine. Il fait quatre cents pages, dont seulement douze sont consacrées à ce qui précède le XXe siècle. Et sur ces douze pages, cinq ont pour sujet ce qui se passe avant la reine Marie-Antoinette. Là, on peut y lire, sans autres explications, que « le mot mode n’apparaît qu’en 1393 ». À la page suivante on lit : « Emprunté au latin "modus", il signifie alors "manière et mesure" pour devenir un peu plus tard "façon" qui souffle aux Anglais le terme "fashion", tant utilisé aujourd’hui. Mais ce n’est qu’un siècle plus tard, en 1482 sous le règne de Louis XI, que le mot "mode" prend sa véritable signification en devenant "une manière collective d’habillement". »

Le mot latin modus signifie bien mesure, manière et façon, mais son sens est déjà très apparenté à celui du « mode » contemporain. Durant l’Antiquité, on parle déjà de modes : vestimentaires, des coiffures, musicales, langagières, etc. Alors que modus est masculin, au Moyen Âge se fait une distinction entre les genres masculins et féminins de « mode ». Comme aujourd’hui, même au féminin, ce mot ne désigne pas que les habits. Il est vrai que déjà au Moyen Âge on fait parfois le raccourci entre « mode » et « mode du costume » (« manière collective d’habillement »). Mais je me demande comment l’auteur peut donner des dates précises (du reste différentes) dans cette évolution, qui sans doute a commencé dans le latin médiéval ?

Quant à « façon », il vient du latin factionem, accusatif de factio (pouvoir ou manière de faire). Il y a donc une idée de manière mais dans le fait de faire, de fabriquer, ainsi que d’être, de se comporter. Le mot anglais fashion vient de l’ancien français « façon » qui a alors la même signification que son antécédent latin.

Ce livre, comme beaucoup d’autres sur le sujet et même les expositions contemporaines sur la mode, ne garde de la mode que sa marchandisation qui n’a fait que croître depuis le XIXe siècle particulièrement. Cela se comprend, les modeux d’aujourd’hui étant surtout préoccupés par leur temps qui est malheureusement celui du prêt-à-porter.

Il est écrit que « la première des couturières est Rose Bertin », alors qu’elle était marchande de modes, ce qui est différent. Elle n’était pas la seule marchande de modes réputée à son époque, juste avant elle il y en avait d’autres comme Mlle Alexandrine ou M. Baulard, car on compte aussi des marchands de modes reconnus. On peut retrouver jusqu’au Moyen Âge de grands noms de tailleurs, coiffeurs, bottiers, brodeurs, teinturiers, joailliers, etc.

Ce livre, comme ce que disent la plupart des spécialistes de la mode aujourd’hui, considère que celle-ci commence véritablement avec Charles Frederick Worth (1826 – 1895). Selon moi, c’est tout à fait le contraire, elle se dégrade à partir de cette époque (avec des prémices dès Rose Bertin et la fin de la grandeur masculine dans la mode) avec les grands magasins, le prêt-à-porter, la dictature imposée par les maisons de couture, puis au milieu du XXe siècle avec la fin des couturières et tailleurs pour tous, etc. Le livre présente Worth comme le premier homme s’occupant du costume des femmes, alors qu’au contraire la gente masculine prédomine dans ce domaine en particulier jusqu’au XVIIIe siècle.

Le chapitre 2 est intitulé : « Et tout arriva au XXe siècle » ! C’est dire ! Évidemment, cet ouvrage s’occupe surtout de la mode vestimentaire d’après le milieu du XXe siècle, mais c’est dommage que la mode soit ainsi introduite à ceux qui n’y connaissent rien.

Toujours selon moi, bien sûr, la grande époque de la mode dans l’actuelle France est celle comprise entre la fin du XIIIe siècle et le début du XVIIIe, même si elle y a toujours été présente jusqu’à aujourd’hui, malgré sa grande uniformisation mondiale imposée par l’industrie du prêt à consommer. L’inventivité vestimentaire n’a du reste jamais été aussi présente qu’aux XIVe – XVe siècles. Je ‘comprends’ que cela n'intéresse pas les contemporains attachés à la mode de manière ‘basique’, et encore moins les industriels.

Pour conclure, voici une utilisation du terme modus dans un texte latin, chez Ovide (43 av. J.-C. – 17 ou 18 ap. J.-C.) dans L’Art d’aimer (Ars amatoria) : Nec quot apes Hyblae, nec quot in Alpe ferae, / Nec mihi tot positus numero conprendere fas est : / Adicit ornatus proxima quaeque dies. / Et neglecta decet multas coma; saepe iacere / Hesternam credas ; illa repexa MODO est.  Ce qui est traduit ici ainsi : « On compterait les glands d’un vaste chêne, les abeilles de l’Hybla, les bêtes fauves qui peuplent les Alpes, plutôt que le nombre infini de parures et de modes nouvelles que chaque jour voit éclore. »

Si on souhaite découvrir la mode aujourd’hui, laissons celle de son histoire inspirer.

Merveilleuses & merveilleux