Depuis le 6 février et jusqu'au 5 juin 2016 le Musée Cognacq-Jay met à l'honneur l'artiste Jean-Baptiste Huet (1745-1811) dans une exposition intitulée Le plaisir de la nature.
Ceux qui suivent mon blog depuis longtemps le savent, j'ai un tendre faible pour l'univers des pastorales et de la nature d'un âge d'or tel que chanté par les poètes depuis le début des temps. Je me suis donc rendu avec grand plaisir à cet événement nous permettant de goûter à plus de soixante-dix dessins, peintures et gravures rassemblés dans quatre petites salles du premier étage du musée.
Le parcours de l'exposition se divise en trois thématiques dans quatre petites salles :
La première partie, intitulée 'Sur le vif' est dédiée aux oeuvres animalières (salle 1) et à celles consacrées aux végétaux (salle 2).
On commence par le tableau Un dogue se jetant sur des oies présenté par l'artiste à l'Académie royale de peinture et de sculpture comme morceau de réception à la séance du samedi 29 juillet 1769 . Jean-Naptiste Huet a alors vingt-quatre ans. Sa réalisation exprime ici, à travers une scène animalière, comme dans beaucoup d'autres de ce genre, une scène psychologique où chaque animal représente un penchant de l'âme et le jeu de ses mouvements dans l'esprit, de ses sentiments. Dans celui-ci nous avons une confrontation entre l'esprit de famille avec le couple de cygnes et leur progéniture démunis face à la force d'éléments incontrôlables comme le chien de chasse.
Dans Un loup percé d'une lance (1771) de la salle trois c'est la panique face à la mort qui est personnifiée par l'animal atteint au flanc par un chasseur.
les oeuvres animalières de l'artiste peuvent ainsi se lire comme une émotion, un lyrisme psychologique faisant naître un sentiment comme le ferait une musique. La peinture Coq, poules, poussins et colombes dans un paysage est un autre exemple de la salle trois où on distingue ce que peut ressentir un homme marié, fier (le coq chante), amoureux (couple de tourterelles), protecteur (de la poule et de sa progéniture) mais sans doute peu fidèle (vase renversé sur lequel se tiennent les deux tourterelles et présence de plusieurs roses épanouies).
Parfois l'animal est seul et très domestiqué comme dans le Portrait d'un chien papillon (salle 3) de 1778. Ici le décor est sommaire : un tissu bleu et un coussin rouge. Il fait ressortir le caractère peint : celui tourbillonnant d'une âme mignote.
Mais pour revenir à la première salle, celle-ci suit une chronologie pour se terminer par deux dessins annonçant la peinture romantique d'un Delacroix avec Lionne avec ses petits et Tête de lion, tous deux de 1801-1802.
La salle deux expose des dessins rassemblés par l'auteur en un recueil assez récemment disloqué afin d'être vendu feuille par feuille. Tous reproduisent des plantes potagères ou sauvages dont certaines très communes comme l'ortie.
La troisième salle baigne dans un joli bleu ciel. Elle est dédiée à l'univers pastoral, un thème remontant à la plus haute Antiquité et très en faveur jusqu'à la révolution industrielle. On considère alors qu'il conserve la réminiscence d'un Âge d'or. L'Amour y règne alors et les dieux vivent parmi les hommes, comme dans le dessin Léda et le cygne (1780) où Zeus est dessiné en bas à gauche de la feuille sous la forme du cygne et en haut à droite avec l'aigle ses ailes déployées comme pour embrasser la nature toute entière qui est son oeuvre et ne peut lui échapper.
La peinture Berger gardant un troupeau (1775) rappelle l'Antiquité sous la forme de ruines qui, s'y on s'en tient au découpage du tableau symbolisent le feu alors que dans la partie basse se trouve la terre, à gauche l'eau et en haut l'air. Le taureau au milieu semble trôner au centre comme dans une tauroctonie, du culte du dieu Mithra. Le soleil, figure centrale de celle-ci pourtant absent de la peinture, baigne totalement le tableau comme on le ressent lorsqu'on le contemple de visu. Cette oeuvre exprime (dans un sens rapproché 'd'extraire' sans la notion de sortie) les teintes d'arc-en-ciel, qui constituent cet astre diurne, et qui se cristallisent dans les formes dans une harmonie presque magique.
L'amour est très important dans cet univers où l'harmonie et le plaisir sont en toutes choses. Une peinture traite du sujet de l'amour d'une manière amusante : Le Petit chien au ruban bleu dit aussi La Fidélité déchirant le bandeau de l'Amour en foulant ses attributs (1771). Ici la fidélité est personnifiée par un minuscule épagneul à la coupe dite 'en lion', c'est-à-dire avec l'arrière-train rasé, fier d'avoir enlevé du dieu Amour son bandeau, lui permettant de voir la vérité afin que ses flèches ne touchent que les couples légitimes.
Je ne vais pas aller plus profondément dans le sujet des pastorales, l'ayant fait souvent dans ce blog et le continuant dans le futur. Seulement j'indique un dessin assez original qui est intitulé : Nature morte d'objets agricoles (1773), pourtant plein de vie dans l'évocation du travail du blé.
Dans un grand nombre de ces chefs-d'oeuvre on peut déceler des influences de divers grands maîtres français mais aussi italiens et hollandais. Il est à noter que de grandes photographies rappellent dans cette salle le salon dit 'des Huet' du musée Nissim de Camondo (voir ici ce salon).
La quatrième partie traite du travail de Jean-Baptiste Huet pour les arts décoratifs. Elle commence par trois cartons pour un dossier de bergère (le fauteuil). Les trois mettent en scène le plaisir maîtrisé avec dans le premier de 1780 une bergère qui tient un lapin en laisse avec un turban bleu. Dans le second Berger, moutons et chien, de la même année, le berger montre au chien une couronne de fleurs, symbole de l'hymen, lui indiquant la direction opposée. Dans le troisième Le Petit Chevrier (vers 1782), le chevrier tient dans une main un oiseau, symbole du plaisir.
L'artiste a travaillé notamment pour deux importantes manufactures royales françaises : celle de tapisseries de Beauvais et celle de toiles imprimées de Jouy-en-Josas appartenant à Oberkampf. Sans doute à cause du manque de place aucune tapisserie de Beauvais n'est exposée. De même aucun meuble n'est visible. Par contre plusieurs dessins sont présents composés pour de la toile de Jouy et aussi quelques gravures.
À notre époque où l'on est justement préoccupé par l'écologie, ce genre d'exposition est particulièrement importante, une bénédiction. Prendre soin de la terre c'est aussi le faire de notre culture et de la culture de notre esprit.
Photographies ci-dessous : « Paysage avec berger près d’un lac, 1767, pierre noire et craie blanche, Valenciennes, musée des Beaux-arts © RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau. » Comme on le constate ici et sur beaucoup d'autres dessins, l'artiste utilisait du papier coloré, ici ocré, parfois gris ou bleu etc.