Du 12 octobre 2011 au 6 février 2012 le Château d’Ecouen abrite une exposition intitulée Majolique : La faïence italienne au temps des Humanistes. Celle-ci est organisée par le musée national de la Renaissance du Château et la Rmn-Grand Palais, avec la collaboration du musée du Louvre.
La majolique désigne en français une faïence italienne produite durant la Renaissance, du XVe siècle au XVIe, provenant en particulier de villes de l'Italie centrale comme Faenza. On appelle aussi ainsi certaines productions de manufactures européennes, notamment en France, de la même période, suivant la même inspiration. Cette céramique est nouvelle en Europe, autant par sa fabrication que ses motifs et la façon de les représenter. Le procédé surtout est révolutionnaire : c’est celui de la faïence. Cela consiste à enrober une terre cuite d'un engobe de plomb de couleur crème opacifié à l'étain : ce qu'on appelle l'émail stannifère qui cache la terre et sa couleur ; ensuite on décore en utilisant des couleurs à base d'oxydes métalliques avant une seconde cuisson au grand feu qui permet l'adhérence de la glaçure.
Avant l'Italie cette manière de faire existe en Babylonie, puis en Perse, chez les Arabes, en Afrique du Nord, en Sicile et en Espagne. Le nom de majolique viendrait des faïences lustrées importées d'Espagne par des bateaux de l'île de Majorque « L’autre étymologie du mot maiolica serait une dérivation de l’expression obra de Malica ou de Mallequa, évocation de la cité de Malaga, sur la côte sud de l’Espagne, qui produit des céramiques lustrées très admirées avant de laisser la première place à Valence. Cette vaisselle de très belle qualité, destinée à être exposée plutôt qu’utilisée, pourvue d’un décor lustré resplendissant, est importée en Italie dès le XIVe et surtout au XVe siècle. Elle influence alors considérablement le goût italien, au point de motiver les artisans locaux à fabriquer eux-mêmes des pièces lustrées à partir des années 1480. » Alors que le mot majolica désigne aujourd'hui en Italie la faïence stannifère, au XVIe siècle elle représente la faïence lustrée des pièces hispano-mauresques. C'est la poterie dorée du Moyen Age. Au XVe siècle le procédé de la majolique est copié à Florence où Lucca Della Robbia (vers 1400-1482) l'applique en architecture ainsi que ses descendants avec de grandes sculptures religieuses en bas-relief. Des ateliers s'ouvrent à Sienne, Urbino, Gubbio, Faenza surtout. Dès 1530 chacun a sa physionomie propre. D'autres ateliers se créent en France à Nîmes, Lyon, Montpellier, Saint-Porchaire. Les premiers connus semblent être Anvers, Lyon et Nevers. Des italiens exportent le procédé de la majolique à Lyon et Anvers, puis de Lyon à Nevers. Le français Masseot Abaquesne (1500-1564) s'installe à Rouen (carrelages du Château d'Ecouen, de La Bâtie d'Urfé, pots à pharmacie etc.) et les frères Conrade (Conrado) venus de la province de Gênes pour s’installer à Nevers (le centre le plus important). Au XVIIe siècle l'Europe comprend de nombreuses manufactures de faïence qui n’ont plus rien rien à voir avec la majolique, développant avec des style particuliers, certaines élaborant leurs décors caractéristiques : faïences de Rouen, Delft, Moustiers etc. Montelupo (XVII-XVIIIe s.) semble être le dernier centre à produire des créations originales de la majolique italienne. Les décors de la majolique de la Renaissance sont avant tout de styles décoratif, historié et mixte. Il y a de nombreux types de décors : a candelieri avec le côté gauche identique au côté droit ; a compendiario qui laisse voir le beau blanc laiteux de l'émail épais enrichi en étain ; a fiamma inspiré de motifs tissés fait de striures parallèles ; a frutti et a foglie à fruits et à feuilles ; à grotesques ; a paesi e architetture ; a quartieri avec des pièces de forme mouvementée couvertes de fonds de couleurs alternées portant des rinceaux et entourant un motif du type a istoriato ; a raffaelesche inspiré du décor créé par Raphaël pour les loges du Vatican ; a trofei avec des trophées ; etc.
La Renaissance italienne, toute remplie d’humanisme, favorise les beaux-arts et les nouvelles techniques artistiques et de fabrication. Les artistes et artisans italiens sont invités dans de nombreux pays et notamment en France. C’est le début de la faïence dans ce pays, parmi d'autres nouveautés venues d’Italie pour mettre en place ce qu’on appelle la Renaissance française. L'exposition organisée par le musée du château d'Ecouen revient en quelque sorte aux sources. Elle présente une centaine de céramiques conservées dans les musées français (musée national de la Renaissance à Ecouen, musée du Louvre, Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Musée Jacquemart-André, musée Antoine-Vivenel à Compiègne...), britanniques (British Museum et Victoria and Albert Museum à Londres, Ashmolean Museum à Oxford...) et italiens (Castello Sforzesco à Milan, Museo Correr à Venise, Museo del Bargello à Florence...). Elle est divisée en différents chapitres qui déclinent l’influence sur la majolique et son décor des démarches artistiques, historiques et littéraires propres au milieu humaniste italien entre 1480 et 1530. Le propos de l’exposition est enrichi par la présence d’un certain nombre d’éditions contemporaines illustrées (Virgile, Tite-Live, Ovide...) dont les textes et les images inspirent la majolique du premier tiers du XVIe siècle. « Une première partie est consacrée au renouveau des motifs décoratifs à la fin du XVe siècle, avec l’apparition et le succès des décors all’antica. Un monde extravagant d’êtres fantastiques mi-humains mi-animaux, de dauphins, masques, putti, vases, cornes d’abondance, trophées et autres grottesche s’empare alors des parois des vases, des ailes des plats et des assiettes, des carreaux de pavement, dans divers centres de production, plus ou moins proches des lieux de création artistique majeurs tels que Sienne ou Pérouse. La seconde section aborde la problématique des décors héraldiques (armoiries, imprese, devises) présents sur les céramiques, en mettant l’accent sur les premiers « services » à proprement parler et sur la relation souvent difficile à appréhender entre artistes et commanditaires. Elle réunit notamment un nombre important de pièces du service d’Isabelle d’Este, marquise de Mantoue (1474-1539), réalisé vers 1524 par Nicola da Urbino, le plus grand peintre en majolique de la Renaissance. La question du portrait de personnages réels ou idéalisés, de figures historiques ou mythologiques est évoquée dans une troisième section. Elle soulève, pour les pièces les plus anciennes de la fin du XV siècle, la passionnante interrogation sur son rôle dans l’apparition du décor a istoriato, c’est-à-dire qui raconte une histoire, dont on situe généralement l’éclosion vers 1500 dans divers centres de production tels que Deruta, Gubbio, Faenza ou encore le duché d’Urbino. La section la plus importante de l’exposition est naturellement consacrée aux céramiques historiées. Dès les premiers exemples, au tournant de 1500, les peintres sur majolique s’emparent des thèmes iconographiques et littéraires mis en valeur par les artistes et les Humanistes de la seconde moitié du XVe siècle, en s’appuyant sur les sources graphiques contemporaines que constituent notamment les livres illustrés et les gravures. Au total, une soixantaine de céramiques évoquent les thèmes issus de l’histoire (biblique, romaine, ou contemporaine), de la mythologie (épisodes de la guerre de Troie, Énéide et légendes de la fondation de Rome, amours et métamorphoses des dieux), mais aussi des fables et épisodes populaires ou des sujets allégoriques encore difficiles à déchiffrer aujourd’hui. Les centres de production et les divers peintres représentés témoignent de la qualité et de l’originalité de ces œuvres (Cafaggiolo, Faenza, Deruta, Gubbio, le duché d’Urbino avec Nicola da Urbino, le peintre du Marsyas de Milan, le Peintre In Casteldurante...). Autour de Nicola da Urbino, figure artistique majeure du duché d’Urbino dans les années 1520, seront regroupées plusieurs œuvres phares du Museo Correr de Venise, visibles pour la première fois en France ».
Les meilleurs exemples de la majolique italienne de la Renaissance ont des décors particulièrement riches. Contempler leurs détails c'est aussi le faire d'un travail d'autant plus admirable que la céramique de 'grand feu', dont la majolique fait partie, interdit tout repentir puisque la glaçure stannifère sur laquelle le peintre dessine est poreuse et absorbe les oxydes colorants. Il n'est donc pas question de gommer et rattraper des erreurs. De plus la cuisson au grand feu reste délicate : certaines pièces pouvant sortir du four abîmées. D'autant plus qu'il peut y avoir trois cuissons : la seconde permet de fixer définitivement le décor en vitrifiant la glaçure ; et une troisième peut avoir lieu après l’application sur la pièce du lustre qui « est un mélange de nanoparticules de cuivre et d’argent qui ont la particularité de se fixer à la surface de la céramique lors d’une troisième cuisson, dans un four spécialement conçu à cet effet, à basse température (vers 600° environ) et dans une atmosphère dite réductrice (c’est-à-dire en empêchant l’oxygène d’entrer dans le four, contrairement aux deux cuissons précédentes faites en atmosphère oxydante). Ce décor - dont l’un des objectifs est d’apporter à la céramique l’éclat de l’orfèvrerie - produit des reflets métallescents, de couleur argentée ou dorée, mais aussi rouge ou brune, selon la proportion de sels de cuivre et d’argent et la température de cuisson. » Du reste cette céramique a souvent pour but d'être présentée en exposition ; comme c'est le cas pour l'argenterie d'exception ; celles-ci ayant pour fonction de décorer notamment la salle où l'on mange, et d’exposer aux invités la richesse de l'hôte.
Photographies 1 et 2 (détail) : « Assiette peu profonde, Orphée jouant devant les animaux. Nicola da Urbino, Urbino, vers 1520-1523. Diam. 27,3 cm. Plat du service de l’Histoire d’Orphée. Venise, Museo Correr e Biblioteca di Arte. © Venise, Fondazione Musei Civici di Venezia – Archivio Fotografic. »
Photographies 3 et 4 (détail) : « Vase de pharmacie, Portraits de profil. Probablement les Marches (Pesaro ou duché d’Urbino), vers 1475-1500, hauteur 37,5 cm, diam. 23 cm, Ecouen, Musée national de la Renaissance. © Service de presse Rmn-Grand Palais / Martine Beck-Coppola. »
Photographie 5 : « Bassin d’aiguière à décor de grotesques. Atelier de Lorenzo di Piero Sartori, Montelupo, 1509, diam. 38 cm, Montelupo, Museo della Ceramica. © Alessio Ferrari - Fototeca Museum Montelupo. »
Photographies 6 et 7 (détail) : « Vase à décor de grotesques. Probablement Les Marches (Pesaro, Urbino ou Casteldurante ?), vers 1500-1520, h. 43 cm ; L. 32 cm ; pr. 27 cm, Dijon, Musée des Beaux-Arts. © Musée des beaux-arts de Dijon. Dépôt Ecouen, Musée national de la Renaissance. Photo François Jay. »
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