Il a déjà été fait mention dans des articles de ce blog aux notions de goût et d'esprit :
Académies - Avoir de l'esprit ; Le bon goût ; Sur Le bon ton & le bon genre . Ce sont des éléments majeurs de la vie sociale et culturelle française des XVII et XVIIIe siècles.
Photographies : La Chercheuse d'Esprit, Opéra Comique. " De Monsieur Favart. Représenté pour la première fois, le [?] Février 1741. Avec le Compliment prononcé à la clôture du Théâtre, & les Airs notés. Le prix est de vingt-quatre sols. A Paris, Chez la Veuve Allouel, au milieu du Quay de Gêvres, à la Croix Blanche. 1741. Avec Approbation & Privilège du Roi. - Paris. Veuve Allouel. 1741. " On peut lire la pièce ici.
Dans cette oeuvre de Charles-Simon Favart (1710-1792), Monsieur Subtil veut se marier avec Nicette une jeune fille que sa mère (Mme Madré) dit être sans esprit. Nicette part donc en quête d'esprit. Elle trouve M. Narquois qui se vente d'avoir été obligé de quitter Paris parce qu'en ayant trop. Il lui demande : « … mais de quel espèce d'esprit voulez-vous, car il y en a de plusieurs sortes ? - NICETTE. Dame, je veux du meilleur. - M. NARQUOIS. De cet esprit, chef d'oeuvre de l'art, brillanté par l'imagination, et rectifié par le bon sens ? » M. Narquois ne pouvant rien pour elle, elle rencontre M. L'Éveillé qui se sert de son esprit pour duper. Il commence par lui faire des avances mais sa future femme arrive. Elle suggère à Nicette d'aller chercher de l'esprit ailleurs : auprès d'Alain, le fils de M. Narquois, aussi benêt qu'elle, et que la mère de Nicette souhaite épouser. Les deux jeunes personnes trouvent ainsi l'amour en cherchant à avoir de l'esprit. Les parents ayant peur qu'ils en aient davantage décident de les marier.
« FINETTE.
Chaque esprit a bien son usage ;
L'esprit fin est un séducteur
L'esprit savant a pour partage
Souvent moins de bien que d'honneur,
L'esprit brillant fait grand tapage ;
Mais l'esprit doux va droit au coeur. »
Dans son ouvrage intitulé Le Temple du Goût, M. de Voltaire (1694-1778) dépeint une promenade avec des amis vers l'édifice où se trouve le dieu du Goût. Sur un ton badin il y décrit les rencontres qu'il y fait ou pas de tous les prétendants à y être. Sa critique touche aussi bien certains de ses contemporains que des auteurs et artistes plus anciens, en particulier du siècle qui le précède : le XVIIe français qui définit le goût avec passion notamment à travers sa langue, son art et sa littérature. Voltaire décrit ce temple :
« Simple en était la noble architecture;
Chaque ornement, à sa place arrêté,
Y semblait mis par la nécessité:
L'art s'y cachait sous l'air de la nature
L'oeil satisfait embrassait sa structure,
Jamais surpris, et toujours enchanté. »
En son temps, M. de Voltaire est un des représentants de ce goût du XVIIIe siècle français. La vision qu'il en a est donc intéressante. Elle se démarque de celle de Jean-Jacques Rousseau ou d'autres auteurs qui, au XVIIe siècle, donnent pourtant à l'art et à la langue de France toute leur virtuosité … Cet ouvrage se termine par ces mots du dieu du Goût :
« Adieu, mes plus chers favoris:
Comblés des faveurs du Parnasse,
Ne souffrez pas que dans Paris
Mon rival usurpe ma place.
Je sais qu'à vos yeux éclairés
Le faux goût tremble de paraître;
Si jamais vous le rencontrez,
Il est aisé de le connaître:
Toujours accablé d'ornements,
Composant sa voix, son visage,
Affecté dans ses agréments,
Et précieux dans son langage,
Il prend mon nom, mon étendard;
Mais on voit assez l'imposture,
Car il n'est que le fils de l'art;
Moi, je le suis de la nature. »
Cette idée du goût développée par M. Voltaire s'inscrit dans celle des Lumières qui trouve sa science dans la nature même et non pas dans l'artifice de l'art. Cette nouvelle optique du parti philosophique, dont les encyclopédistes sont des représentants, basée sur la connaissance concrète, façonne jusqu'à aujourd'hui le 'goût' qui s'appuie essentiellement sur les sciences et la logique : de l'observation de la nature, laissant peu de place à la rêverie et à la fantaisie, annonçant une aire 'pragmatique' et bourgeoise qui en refusant l'ignorance n'a fait que mettre en valeur la sienne propre.
Le texte de Voltaire est visible ici ou ici. Il a donné lieu à des comédies ayant le même titre jouées dès la même année, comme celle-ci.
Dernière photographie : Le Temple du Goût, Comédie. " A La Haye, par la Compagnie. 1733. " Il s'agit d'une parodie de l'ouvrage de Voltaire du même nom, où le protagoniste se rend au temple du goût. Avant d'y arriver il est confronté aux faux goûts. Dans le temple sont représentés les écrivains, peintres musiciens et autres artistes étant dignes selon l'auteur d'être placés dans cet édifice. Dans l'avertissement de l'édition de Beuchot, on peut lire au sujet de cette comédie : « Voltaire, dans sa lettre à Thieriot, du 9 février 1736, attribue cette comédie à Delaunay; mais elle est de l'abbé d'Allainval. Quoique portant l'adresse de la Haye, elle avait été imprimée à Mantes, chez Tellier, qui, quelques années auparavant, avait été condamné au carcan par coutumace, pour avoir imprimé les Nouvelles ecclésiastiques. Lorsqu'il eut obtenu sa grâce, les jésuites lui firent imprimer la comédie antijanséniste intitulée la Femme docteur, afin, lui dirent-ils, de réparer le mal qu'il avait fait par l'impression des Nouvelles ecclésiastiques. Dans la comédie de d'Allainval, Voltaire figure sous le nom de Momus; un personnage appelé Kafener est évidemment Falkener, à qui est dédiée Zaïre; voyez tome Ier, du Théâtre. Beaucoup d'épigrammes furent lancées contre le Temple du Goût. Boindin, qui se reconnut dans Bardus ou Bardou, avait aussi fait une comédie qu'il intitula Polichinelle sur le Parnasse, et qu'il lut en plein café …. »
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