Le mois de mars

ViolettesMars300lmPhotographie de gauche : Violettes odorantes (Viola odorata).

Photographie de droite : Fleurs de Tussilage (Tussilago farfara)

Comme l'écrit Pline l'Ancien au début du livre XXIV de son Histoire naturelle : « Les forêts les plus profondes et toute la nature, même lorsqu'elle présente son visage le plus sauvage, sont riches elles aussi en remèdes, car la nature, cette sainte mère de toutes choses, en a répandu partout pour l'usage des humains, et il n'est pas jusqu'aux déserts où l'on n'en puisse découvrir de très salutaires. » (traduction de M. François Rosso, Médecines douces de l'Antiquité – Pline l'Ancien – La Vertu des arbres, Paris, Arléa, 1999)

Une des fleurs emblématiques de ce mois de mars est la violette odorante. Les primevères roses ou jaunes ont des fleurs plus voyantes et, contrairement à la première que l'on trouve dans les bois, aiment les lieux plus clairs. Une autre fleur caractérisant ce mois est la jonquille qui apparaît alors comme les flammes d’un printemps toujours latent. Les lamiers pourpres fleurissent toute l’année mais particulièrement en mars. Les endroits herbeux et ensoleillés sont souvent parsemés de tapis colorés de pâquerettes, véroniques, pissenlits, lamiers ; autant de teintes printanières vertes, jaunes, bleues, rouges et blanches. Le lamier blanc commence à fleurir en mars, comme la dorine à feuilles opposées, appelée aussi cresson doré, qui a de petites fleurs vertes légèrement dorées. Celles blanches de la cardamine hérissée parsèment les terrains nus et herbeux de tons gouttes de lait. La giroflée commence à épanouir ses jolies fleurs jaunes orangées. Les scilles à deux feuilles en ont d'autres le plus souvent bleues. Celles de la pulmonaire sont rouge-violet et bleues, couleurs saphirs et rubis condensés de rosée 'diaprant' l’espace de teintes brillantes, avec sur les feuilles des étoiles perles d’albâtre d’une voie lactée à portée de main et soyeuse. Des trésors qui sommeillent en hiver apparaissent ainsi. On peut rencontrer la petite bourrache aussi appelée nombril-de-Vénus. L’herbe est rehaussée des boutons rosés des pâquerettes qui s’ouvrent aux rayons du soleil, montrant leur blancheur et leur cœur d’or. La couleur jaune se lève avec le soleil des ficaires, des narcisses et les piaillements chauds d’oiseaux aux teintes de feu, aux tons du levant et du couchant. Le regard s’élance avec leurs vols vers le printemps ; mais ces efforts réitérés et avortés par le froid et les giboulées fatiguent. Cependant, du haut de la montagne du cœur les saisons s’étalent sans briser la chaleur du ciel compatissant. Un être naît, un autre meurt ; mais rien ne fait obstacle aux rires du printemps, de Nature, cette jeune adolescente en ses bosquets scintillants de volupté et de sève dont elle est gorgée et prête à éclater en mille fleurs colorées, parfums, effluves, lumières, matières, solutions aqueuses … La biche ou le chevreuil dont la terre encore humide conserve les traces sont remplis de cette sève et bondissent comme par magie à travers les chemins et au milieu des bois et des terrains ouverts. L’ajonc d’Europe ouvre ses fleurs jaunes à odeur d’amande. Le prunier myrobolan et le prunellier fleurissent. A la fin du mois les géraniums herbe-à-Robert apportent une nouvelle couleur rose-mauve. On ne mesure pas toujours la magie de certaines choses simples qui nous entourent et nous semblent acquises définitivement comme le ciel, le soleil, la lune, l'eau, les étoiles, la terre ... Nous les croyons de droit, éternelles, et ne les goûtons pas toujours à leur juste valeur. Qu'y-a-t-il de plus cher pour l'homme ? C'est si précieux qu'il est impossible d'y mettre un prix. N'est-ce pas cela la véritable richesse ? Nous sommes parés de joyaux qu’on ne peut porter, et qui pourtant nous ornent merveilleusement. Il y a la terre et les étoiles, la lune et le soleil, et tout ce qui surgit est notre vêtement.

Aujourd'hui les violettes odorantes sont beaucoup plus rares qu'il y a trente ans pour en faire des bouquets, comme c'est le cas pour beaucoup d'autres plantes. Durant l'Antiquité Les couronnes de violettes servent pour leur beauté, l’odorat des fleurs et d’autres usages, par exemple durant les banquets car elles sont réputées éviter aux buveurs d’être saoul. La moutarde des champs peut être cueillie quand les fleurs sont encore en boutons verts ; elles éclosent alors dans le vase en petites fleurs jaunes, jolies et délicates.

Pour des usages médicaux, le mois de mars est surtout conseillé pour la récolte des parties souterraines des plantes qui concentrent les principes actifs. Parmi les médicinales citons la bourse à pasteur (partie hors sol), la racine de bugrane (la variété : Ononis spinosa L), la carline (protégée), l'écorce de chêne (Quercus robur L. du celtique quer beau et cuez arbre), les souches du chiendent, les feuilles et racines de la grande consoude, les parties aériennes de la dorine, les feuilles et fleurs de la ficaire (après dessiccation) ainsi que pour un usage externe seulement son suc frais et son tubercule récolté après floraison, les feuilles de gui,  les fleurs et feuilles de pâquerettes, les feuilles de petite pervenche, les racines de pimprenelle, le rhizome de polypode commun, les fleurs de prunellier, la pulmonaire, les parties aériennes de la stellaire, le rhizome de la tormentille, et bien sûr la violette odorante etc. Les usages médicinaux des plantes demandent un savoir-faire qui ne s'improvise pas car certaines sont dangereuses. Il existe de très bon livres sur ce sujet. Leur récolte aussi ne doit pas se faire à la légère, tout d'abord parce qu’il est indispensable d'être entièrement sûr de ce que l'on cueille, certaines plantes étant toxiques voire mortelles. On utilise que certaines parties des plantes médicinales d'autres étant dangereuses, et sous certaines conditions (fraîches ou séchées, cuites etc.). Il y a des moments spécifiques de cueillette : avant ou après floraison etc., et d'autres plus appropriés pour retirer le plus de principes actifs.

tussilage300lmCueillir des plantes sauvages pour un usage culinaire demande moins de travail mais aussi d'être sûr à 100 % de ce qu'on utilise. Il y a certaines prescriptions à suivre comme ne pas ramasser les plantes des villes, près des routes ou autres endroits pollués pour la consommation. Des maladies peuvent être apportées par des excréments d'animaux ; mais cela est rare. Tremper les herbes dans de l'eau mélangée à du vinaigre est un moyen de désinfecter la plante. Contre les vers intestinaux, certaines plantes sauvages sont vermifuges comme l'alliaire officinale dont on trouve les feuilles dès le mois de mars. Sinon l'ail est un très bon vermifuge. Le scientifique François Couplan est une sommité dans le domaine des plantes sauvages comestibles et ses livres une source inépuisable de renseignements. Voici quelques recettes de saison : salade stellaire ; salade de mâche doucette ; salade stellaire aux œufs et faines dorées (celles-ci se récoltent en automne) ; croustillants de pissenlit (pain de seigle grillé frotté d’ail, salade de pissenlit, servie avec du cidre) ; crudités à la sauce sauvage (ortie, oseille, yaourt, assaisonnement) ; bouillon d’ortie (oignon, ortie, lait ou fromage, ortie, pomme de terre) ; velouté de stellaire (pommes de terre et stellaire) ; potage aux plantes sauvages (huile, oignon, oseille, légumes sauvages : orties … on peut ajouter des pommes de terre et de la crème fraîche) ; pâtes à la crème d’ortie (ortie, oignon, ail, crème fraîche, huile d’olive, fromage) ; pâtes fraîches aux orties (ajouter aux œufs, la farine et le sel une infusion d’ortie) ; crème de pissenlits (racines de pissenlits, oignon, farine, lait). On utilise pour un usage culinaire les feuilles de l'alliaire officinale, les jeunes feuilles tendres de l'aubépine, de la berce, les inflorescences de la capselle bourse à pasteur. Les souches séchées et broyées du chiendent pourraient servir à la fabrication de pain, et hachées et grillées elles seraient un succédané du café. Les bourgeons des conifères sont bons (il faut éviter le if dont les fruits sont toxiques). D'autres bourgeons d'arbres et d'arbustes sont particulièrement bénéfiques. Au mois de mai je donnerai une recette délicieuse de feuilles de grande consoude. Les jeunes feuilles de ficaire encore tendres cueillies avant la floraison (après toxiques) sont utilisées pour des salades printanières. Les jeunes pousses de gratteron s'ajoutent aux salades, de même que les feuilles de laiteron (les jeunes feuilles de même que les fleurs et les boutons floraux) et de la mâche doucette. Les jeunes pousses de laitue sauvage se consomment ainsi que les feuilles cuites. Les feuilles et les jeunes pousses d'ortie (toutes les espèces) sont agréables. Une délicieuse soupe d'orties consiste simplement à faire une soupe de pommes de terre et d'oignons avec de l'eau, du sel et du poivre et d'ajouter juste au moment de mouliner les feuilles ou jeunes pousses d'ortie puis un peu d'huile d'olive. Pour d'autres recettes et afin d'enlever leur pouvoir urticant il suffit de les mettre en contact avec de l'eau bouillante très rapidement afin que la plante conserve sa valeur nutritionnelle notamment au niveau des protéines importantes dans celle-ci. Les feuilles et les fleurs de pâquerette s’ajoutent aux salades. Les jeunes feuilles de pimprenelle serviraient à assaisonner des potages. Le pissenlit dent-de-lion se mange entièrement, de la fleur à la racine en passant par les feuilles : Les feuilles et les fleurs complètent des salades et les racines (cuitent dans du vinaigre) aussi. Les jeunes feuilles fraîches et fleurs de la pulmonaire accompagnent potages et salades ; de même que les fleurs (avec la tige) de tussilage. Les feuilles et fleurs de violettes odorantes sont délicieuses fraîches et sentent bon. On fait des bonbons maison avec les fleurs. Selon les régions on rencontre des plantes différentes, parfois endémiques (n'appartenant qu'à cet endroit). Dans le midi on ramasse la racine de chicorée sauvage ou l'asperge sauvage parmi beaucoup d'autres variétés.

Poème
Jouan Tsi (210-263)
Chant des pensées
« La rosée pure gèle en givre,
L’herbe fleurie sèche en brousaille.
Qui dit que le sage est sage
S’il n’accepte telle vérité ?
Avec Song et K’iao, à cheval sur les nues,
Respirons l’éternité ! »

(La qualité de la traduction est primordiale dans la poésie chinoise. Ce poème provient d'un livre particulièrement inspirant : La Montagne vide : Anthologie de la poésie chinoise, 3e-11e siècle de Patrick Carré et Zéno Bianu, 1987)

© Article et photographies LM

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