Article écrit par Guénolée Milleret de La Vendeuse d’images.
Nous le savons, les bals costumés ont connu un engouement considérable, au 19e siècle, notamment sous le Second Empire. Il est vrai qu’au milieu de ce siècle, le genre du grand opéra connaît un véritable triomphe. Le souci d’authenticité historique et stylistique porte à son paroxysme la somptuosité des costumes. N’oublions pas que le théâtre et l’opéra sont l’équivalent, à l’époque, de notre télévision. Ils véhiculent les modes et exacerbent ce fameux goût pour le travestissement. Les bals costumés sont appréciés aussi bien dans les milieux populaires que dans la haute société. Mais c’est bien sûr à la cour impériale, sous le Second Empire, qu’ils sont les plus somptueux.
Fermez les yeux.
Nous sommes le lundi 9 février 1866. Sa majesté l’Impératrice donne un bal costumé au Palais des Tuileries. La souveraine porte une robe inspirée du 18e siècle, conformément à la fascination qu’elle porte pour la reine Marie-Antoinette. Peut-être est-elle vêtue, d’ailleurs, de cette robe de taffetas jaune ornée de rubans bleus et de nœuds noirs, dans laquelle elle s’est faite portraiturée par Franz-Xaver Winterhalter, en 1854… Les cheveux poudrés de blanc, Eugénie « à la Marie-Antoinette » ordonne l’entrée des ruches bourdonnantes sous des flots de bouillonnés de mousseline blanche. Nos danseuses-abeilles butinent de droite et de gauche, l’une s’approchant d’un rare Pierrot, l’autre virevoltant vers un fier grand seigneur de l’époque de Louis XIV. Puis l’essaim se recompose dans un bruyant froissement de taffetas et de satin, pour exécuter un ballet aérien.
Dans les bals masqués de la haute société, Arlequins, Colombines et Pierrots se font rares. Les costumes à la mode sont ceux de la Suisse ou de la province de Normandie. On aperçoit là, une élégante Bernoise, toute corsetée de velours noir ourlé d’or, relevant avec grâce sa traîne de satin cerise pour se diriger vers son fier Andalous, vêtu en culotte et veste de velours gros bleu, ornées d'effilé grelots, arborant un fier chapeau de feutre noir à bord gouttière et pompons noirs.
Le ballet se poursuit, alors que trois rangs plus loin, dans l’assistance, semble se désintéresser du spectacle un noble gentilhomme du temps de Louis XIII, absorbé par la conversation d’une mystérieuse égyptienne vêtue d’une tunique en voile de religieuse blanc, découvrant un corselet de satin bleu pâle recouvert de bandelettes. Brusquement, la mystérieuse au parfum d’exotisme se retourne et dévoile une bottine blanche avec cothurnes en galon d'or... Son attention se dirige vers un costume breton composé d’une veste, d’un plastron et de guêtres en velours vert et d’un pantalon large en casimir couleur bois. Aurait-elle reconnu sous les traits du breton un lointain amant ?
Nos danseuses-abeilles se dispersent à nouveau. Méphistophélès, en pourpoint et culotte de satin noir, zébré de velours en bande et orné de crevés en foulard rouge, en profite pour s’extraire habilement de la conversation d’une Jardinière Trianon accompagnée d’une Grisette sous Louis XIV. Notre homme drape d’un grand geste inquiétant son manteau Crispin en drap rouge et se dirige vers une jeune Arlequine 1830, qui vient juste d’entrer en société. Elle masque le rouge de ses joues sous un large éventail. Elle porte une jupe en satin, à disposition de carreaux variés de couleurs, ornée au bas d'un cordon de plumes noires, un corsage drapé en satin maïs, aux manches courtes très bouffantes. A la vue de Méphistophélès s’approchant, elle est emprise d’un fort émoi, sa respiration s’accélère, son geste est nerveux. Saura-elle résister aux avances de ce brillant homme à la réputation de séducteur peu scrupuleux ?
Mais revenons à l’assistance : ici, une Miss Dianah en costume de chasseresse attend impatiemment d’honorer son carnet de bal. Là, sous les traits d’une paysanne d’Auvergne, une jeune femme a grand soin de faire valoir une croix de diamants qui la distingue. Plus loin, semble s’ennuyer une Merveilleuse esseulée, mal à l’aise dans une redingote de style Transition, à rayures blanches et maïs, sous un chapeau trop petit, peu seyant : elle aurait rêvé de ce somptueux costume de magicienne en gros grain bleu garni de bandes de velours rouges brodées d'arabesques, une écharpe en taffetas noir posée en sautoir sur la jupe…
Le ballet des abeilles s’achève. Eugénie « à la Marie-Antoinette » ouvre le bal au bras de ce comte hongrois fort distingué sous les traits de l’empereur. A leur suite, une fière danseuse russe coiffée d’une kokochnik s’élance à son tour, accompagnée de son cavalier en costume allemand du 15e siècle. C’est alors qu’entrent à leur tour, dans la danse, l’Alsacienne et son page, la laitière et son seigneur Louis XIII, une marinière et son breton, un toréador et sa soubrette Louis XV, une japonaise et son mexicain, Madame Polichinelle au bras d’un écossais, un circassien désespérément éperdu d’une persane… Le tourbillon des valses qui s’enchaînent offre le spectacle d’un monde rêvé qui, le temps d’une soirée, ferait fi des frontières géographiques et des contraintes du temps.
A l’écart du tourbillon des valses, dans l’encadrement d’une lourde tenture de velours vert mousse, la Fée des salons, vêtue d’une robe de mousseline immaculée et corsetée d’un rose délicat, observe ce ravissement. C’est son premier bal costumé, elle n’a jamais rien vu de plus beau. Petite déjà, elle se rendait accompagnée de sa mère à des bals pour enfants, les costumes y étaient tout aussi somptueux. Mais aujourd’hui, c’est son entrée dans le monde, elle est la Fée des salons.
Ne brisons pas le charme.
Photographie 1 : La planche du Follet de 1838 représentant la fameuse "Fée des Salons" ;
Photographie 2 : La planche du Musée des Familles de 1858 mettant en scène, entre autres, le costume de magicienne à gauche de la bergère Trianon en rose, et à l'extrême droite, le costume breton ;
Photographie 3 : La planche du Journal des Demoiselles de 1892 montrant l'Arlequine 1830 et à gauche, une danseuse russe.
Guénolée Milleret