Article écrit par Guénolée Milleret de La Vendeuse d’images.
Que peut bien évoquer ce mot étrange, introuvable dans le dictionnaire ? Il existe bien des mots ou expressions imagées, dans le vocabulaire des modes du 18e et 19e siècles, qui, à la faveur de quelque indice, permettent de soupçonner leur interprétation dans le costume. Or, ce que nous inspire le « canezou » demeure bien obscur… Comment ce mot un brin « barbare », avouons-le, pourrait-il définir un charmant vêtement, tout droit sorti des trousseaux de nos aïeules ? Le « canezou » mérite bien un curieux détour.
Le « canezou » apparaît dès 1800. Il s’agit d’une pièce de lingerie, un léger corsage, sans manches, souvent en mousseline ou tissu très léger, que l’on porte par dessus la robe ou le corsage et qui s’arrête à la taille. Nous convenons volontiers de l’étrangeté du mot, le vêtement qu’il définit ne l’est pas moins : la lingerie, depuis la Renaissance, se porte sous le corset. Son rôle est de protéger la peau de la raideur des cors ; sa particularité est qu’on la nettoie, contrairement au reste de la garde-robe. Or, ce « canezou » qui n’en demeure pas moins une pièce de lingerie, n’est pas porté dessous mais par dessus le corsage. Un mot étrange pour un vêtement méconnu…
La Vendeuse d’images, détient dans ses collections, de nombreux exemples de ce vêtement et notamment une représentation de 1805 (Journal des Dames et des Modes, planche n° 657, 1ère photographie) : « canezou » porté sur une robe du matin. On trouve des exemples antérieurs dès 1800 dans ce même Journal des Dames et des Modes.
Bien que le « canezou » soit défini comme une pièce de lingerie, on en trouvera des déclinaisons, sous le Premier Empire, dans des tissus moins légers, tels que le velours ou le taffetas. A partir de la Restauration, le « canezou » renoue essentiellement avec les mousselines, les batistes, les tulles, ou autres blondes et organdis. Il peut être très sobre ou très ornementé, ainsi que le montre l’illustration représentant un canezou de tulle brodé en laine et bordé de dentelle (Journal des Dames et des Modes de 1829, planche n° 2689, 2ème photographie).
En parallèle, il évolue vers un vêtement plus couvrant, parfois avec des manches, toujours brodé, plissé, bouillonné ou garni de fines dentelles. Il peut aussi être montant sur le décolleté et faire office de guimpe. Dès 1850, il dépasse la taille et arbore parfois de larges basques. On le confondrait presque avec une « basquine », imaginons-la garnie de lourdes broderies de chenille, conformément au style « tapissier » : on s’éloigne à grands pas de l’univers de la lingerie…
Il n’en demeure toujours pas moins délicat et léger, dans un tulle de soie aérien, sur une toilette de bal en plein Second Empire (Musée des Familles, Décembre 1857, planche n° 3, 3ème photographie). On remarque d’ailleurs qu’il orne aussi bien la robe d’après-midi que la toilette de réception, ou la robe de bal. Il est donc omniprésent dans la garde-robe, pourtant discret en se fondant dans la tenue : on trouve, en effet, des représentations de robe « formant canezou ». Et il ne s’arrête pas là, notre « canezou », puisqu’on le déclinera même en « fichu-canezou » ou « pélerine-canezou »…
Le « canezou » aura vu se succéder toutes les modes, en s’adaptant, pour se fondre avec les multiples silhouettes qui se succèderont tout au long du 19e siècle. Qu’on abandonne la robe néoclassique pour retrouver le corset ? Il demeure. Qu’on sacre « reine » la crinoline pour l’abandonner au profit de la tournure ? Il perdure. Qu’on donne à la femme des allures de liane sous la Belle Époque ? Il résiste. Il ne disparaît qu’à l’aube du 20e siècle, alors que la mode amorce ses profondes mutations.