Le gommeux est un élégant du XIXe siècle. Il est habituellement représenté coiffé avec la raie sur le milieu ou avec un haut-de-forme aux bords plats, souvent avec les cheveux blonds du blondin quelquefois un peu ondulés sur le dessus. Son visage ressemble à celui d’un poupon ou d’une femme. Il est maquillé, avec une petite moustache et le col très haut. Il porte des vêtements assez serrés aux épaules étroites et un pantalon retroussé ou à pattes d’éléphant. Son costume est sombre ou à carreaux. Il se chausse de bottines effilées parfois relevées (réminiscences de modes médiévales comme nous le verrons une prochaine fois) ou de petits souliers pointus à la manière des muscadins. Il tient un parapluie qu’il n'ouvre pas, une fine canne, une badine, un stick (canne mince et flexible à l’usage des cavaliers) ou une canne-mascotte au bec recourbé.
Voici la retranscription entière du chapitre intitulé ‘Le Gommeux’ du livre de Bertall (1820-1882) : La Comédie de notre temps (vol. 1, 1874, pp. 111-115). L’intérêt de ce passage réside non seulement dans le fait qu’il parle du gommeux mais aussi qu’il y est fait mention de nombreux autres genres de français copurchics. Dans un autre article, j'essaierai de faire un premier résumé de cette lignée dont j'ai décelé des ancêtres au Moyen-âge ; et en cherchant un peu plus, je suis sûr d'en trouver encore de plus lointains. Dès son avènement, les contemporains du gommeux le considèrent comme le représentant de cette longue suite :« À chaque époque de l'histoire française, un nom plus ou moins fantaisiste a servi à désigner ceux que l'élégance, la prétention, ou le succès, ou le chic, suivant l’expression moderne, mettaient particulièrement en évidence. Les mignons, au temps de Henri II et Henri III. Les beaux fils, au temps de la Fronde. Les menins, au temps de Louis XIV. Les roués, au temps de la Régence. Les merveilleux, sous Louis XV. Les incroyables, au temps du Directoire. Les fashionables, à l’époque des alliés. Les dandys, sous la Restauration. Les lions et les gants jaunes, sous Louis-Philippe. Sous le dernier règne, nous avons vu surgir des dénominations plus bizarres encore. Alors que les petites dames commençaient à circuler régulièrement au Bois et recevaient la dénomination de biches, les jeunes beaux qui les suivaient ou poursuivaient, et ceux qui se façonnaient d’après leurs allures, ont reçu le nom de daims. De daims est venu peu après celui d e gandins. Puis les petites dames sont devenues des cocottes. Et les jolis petits messieurs, des cocodès. Les allures grêles et mourantes que se plaisaient à prendre les cocodès, ont donné à Nestor Roqueplan, ce Parisien émérite, l’idée de les intituler petits crévés. Le mot a prévalu. – Les cocottes sont devenues dès lors des crevettes. De même, que l’on s’honorait d’être appelé jadis ou incroyable, ou lion, ou fashionable, ou dandy, ou cocodès, on s’est honoré d’être nommé petit crevé. La guerre ayant démontré que les petits crevés se battaient aussi bien et savaient mourir sur le champ de bataille aussi bravement que les autres, le mot qui semblait contenir une accusation de faiblesse ou d’impuissance est tombé en désuétude. Aujourd’hui, les jeunes gens qui jouent la comédie du chic se nomment des gommeux. C’était Léon Gozlan qui avait donné droit de cité au lion, Nestor Roqueplan au petit crevé. C’est le journal la Vie parisienne qui a eu la puissance d’inaugurer le gommeux. Les jeunes gens élégants font partie de la gomme, les gens très-chic sont de la haute-gomme. On a cherché à se rendre compte du motif qui a conduit à cette dénomination épatante, comme on dit parmi ces messieurs. Comme s’il était nécessaire d’avoir un motif réel pour quelque chose en France ! Certains historiens prétendent que le terme a pris naissance dans un des clubs et débordé de là sur les autres et de là dans la Vie parisienne, d’une habitude réglementaire, qui consiste à passer certains noms à la gomme sur les listes des joueurs, parmi les membres du club, lorsqu’il a des observations à faire sur leur moralité. Au jeu ou ailleurs, ceux dont le nom n’a jamais été effleuré par la gomme sont des gommeux. Une origine plus simple et plus naturelle a été découverte, et nous la livrons à l’érudition des linguistes futurs. Lorsqu’un homme perd sa position, sa fortune, ou sa place, ou son rang, on dit qu’il est dégommé. S’il est dégommé par suite de cette catastrophe, il faut en conclure, ce n’est pas douteux, qu’il était gommé précédemment. Le gommé ou gommeux est l’antithèse du dégommé. Celui donc qui est bien en vue, qui brille, qui est envié pour sa toilette, sa position, son genre et son chic, est un gommeux. Si cette version ne satisfait pas complètement l’ami lecteur, et il serait difficile, nous avouons ne pas en avoir d’autre à notre disposition. Et l’on prétend qu’il est facile d’écrire l’histoire ! Quelle que soit son origine, le gommeux, en ce moment, est en possession incontestable de l’héritage laissé par la dynastie des incroyables, des cocodès et des petits crevés. Qui sait combien de temps durera son règne, et à quel héritier bizarre et fantaisiste il passera la main ! ».
Le personnage du gommeux se retrouve dans la littérature de la fin du XIXe siècle comme dans les livres de Gyp. Les journaux aiment à le parodier. Dans La Caricature (n°102) du 10 décembre 1881, il est présenté comme l’héritier de toute une lignée d’élégants commençant avec les incroyables. Sa journée est décrite (détail sur la dernière photographie) : " Le matin, dès l’aube, vers 11 heures, recevoir son tailleur qui est aussi son homme d’affaire, se lever, rendre visite à son coiffeur et faire sa provision d’esprit pour la journée dans les journaux du matin. Midi. – Déjeuner au cercle. – Petite promenade hygiénique au Bois. – Visite à Noëmi, à Lurette et à Tulipia. 2 heures. – Promenade dans les expositions d’art (il faut bien suivre la mode). – Achat de quelques bibelots pour Noëmi, Lurette et Tulipia. 4 heures. – Retrouver les camarades chez Tortoni pour connaître les petits scandales du jour. 5 heures. – 2e visite au coiffeur pour renouveler sa provision d’esprit dans les journaux du soir, feuilleter le dernier roman en vogue pour pouvoir sciemment le déclarer infect. 8 heures. – Aller voir la pièce en vogue : au Français avec maman, aux Bouffes avec Noëmi, au Palais-Royal avec papa, à l’Opéra en famille. 11 heures. – Conduire en soirée la tante à héritage. A minuit. – Aller chercher Tulipia à la sortie de son théâtre, souper au cabaret, courir se montrer à la soirée de Mme X… et de Mme Z… finir la nuit au cercle à perdre quelques cents louis. – 6 heures du matin, coucher, repos bien gagné. "
Photographie 1 : « Le gommeux ». Illustration pleine page de La Comédie de notre temps : La civilité - Les habitudes - Les moeurs - Les coutumes - Les manières et les manies de notre époque de Bertall (1874).
Photographie 2 : « Politique et diplomatie (haute gomme) » ; « Coupe de cheveux et barbe du gommeux (petite gomme). » ; « Le bout d'ambre du gommeux. Le porte-cigarettes du boursier. » Illustrations provenant de La Comédie de notre temps ... de Bertall (1874).
Photographie 3 : Première page du chapitre intitulé « Le gommeux » de La Comédie de notre temps ... de Bertall (1874).
Photographie 4 : Petite chromolithographie publicitaire, de la fin du XIXe siècle représentant un gommeux « aujourd'hui » et son équivalent « en 1559 ».
Photographie 5 : Petite chromolithographie publicitaire, de la fin du XIXe siècle intitulée « Le Gommeux. » Il est à remarquer son habit à carreaux qui est dans la seconde moitié du XIXe siècle et la première du XXe une des marques de la jeunesse stylée comme au temps des zazous (pendant la seconde guerre mondiale) qui affichent des carreaux partout.
Photographie 6 : Petite chromolithographie publicitaire de la fin du XIXe siècle,représentant un gommeux faisant la cour à une grisette.
Photographie 7 : Photographie du XIXe siècle avec ce qui semble être un gommeux.
Photographie 8 : Journal La Caricature du 10 décembre 1881 (n°102) intitulé "La Genèse du Gommeux."
Photographie 9 : Détail de la double page intérieure du journal La Caricature du 10 décembre 1881.