Pour une fois, voici un titre en tibétain. J’ai fréquenté quelques Tibétains et Bhoutanais, surtout leurs enseignements, et ai donc quelques rudiments concernant leur culture. གསོ་བ་རིག་པ (Sowa-Rigpa) veut dire « médecine » en tibétain. Plus précisément sowa peut être traduit par « guérison » et rigpa par « science ». Mais comme beaucoup d’expressions et de mots importants tibétains, on a généralement trois niveaux de sens. Ici nous sommes dans le relatif. Au niveau intermédiaire de ce qui nous est généralement invisible, ou du moins se situant à un autre niveau (par exemple du domaine du corps subtil), sowa peut se traduire par « nourrissement » et rigpa par « conscience ». Enfin, à un troisième niveau, rigpa est la sagesse ultime et naturelle, la pure conscience, l’auto-réalisation inhérente (conférer notamment les enseignements dzogchen). Il s’agit là d’un exemple de la subtilité de la médecine tibétaine, toujours bien vivante de nos jours, comme le sont les autres médecines venues d’Asie. C’est pour cela que j’aurais aimé que l’exposition, qui se déroule en ce moment au Musée Guimet à Paris, jusqu'au 18 septembre 2023, et intitulée Médecines d’Asie, l’art de l’équilibre, fasse davantage le lien avec les diverses pratiques médicales en Asie aujourd’hui. Elles sont d’une richesse immense dont j’ai pu avoir quelques petits aperçus par mon expérience même. Pour ma part, elles m’ont permis de maintenir un corps et une âme en ‘bonne’ santé. J’ai expérimenté (comme patient) l’acupuncture et la diététique pratiquées par un moine japonais, la médecine tibétaine (sagesse, pilules, acupuncture, massage et yoga) et indienne (yoga). Je prends aussi plaisir à fréquenter des herboristeries (voir cet article) et ai une connaissance des plantes sauvages françaises (voir Écologie du Sentiment). Ces quelques expériences de la médecine asiatique, très sporadiques, m’ont donné une idée de cette richesse.
On peut dire que ces médecines sont traditionnelles. Cela permet à certains de les opposer à la médecine moderne. Pourtant toutes les médecines sont complémentaires, et même toutes se ressemblent énormément, voire sont les mêmes, ont un fond commun, ne serait-ce que celui d’essayer de guérir ou de maintenir en bonne santé. Lorsqu’un médecin s’écarte de se fond commun, il s’éloigne de la médecine. Il n’y a pas de mauvaises sortes de médecines, seulement de mauvais médecins, et même de mauvais patients, car ces derniers sont responsables d’eux-mêmes. J’ajoute les mauvaises circonstances qui ne permettent pas d'accéder à la médecine adéquate au bon moment. Le médecin met à la disposition du patient la science qu’il a acquise et son expérience, voire sa sagesse, mais c’est au patient d’y ajouter sa raison. Qui se souhaite du mal ? Le patient est le premier intéressé ! Un emblème symbolise le lien entre les médecines asiatiques et occidentales, notamment françaises : le caducée dont la forme est celle des trois principaux canaux dont on retrouve la description notamment dans l’ayurveda (médecine traditionnelle indienne) et la médecine tibétaine, et dont le bon fonctionnement est une base à la bonne santé. L’importance de ces canaux est aussi décrite dans l’hindouisme, le bouddhisme et sans doute ailleurs.
Comme je l’ai dit précédemment, la médecine est liée à la sagesse. Cette dernière guérit en effet. Du coup, elle est aussi liée aux vertus. Comme on le constate dans cette exposition, certaines médecines asiatiques font une part belle aux religions, au surnaturel, voire à la superstition. Pour la religion et la superstition, peut-être cela a-t-il un effet placebo… mais la superstition est incontestablement une mauvaise chose, un mauvais médicament.
Au sujet du médicament, on peut lire dans cette exposition concernant l’ouvrage chinois datant de « 25 – 200 » et intitulé en français Classique de la matière médicale de Shennong, que ce livre classifie des remèdes en trois groupes : ceux de catégorie supérieure nourrissant la force vitale (ming) non toxiques ; ceux de catégorie intermédiaire nourrissant la nature innée (xing) pouvant ou non être toxiques ; ceux de catégorie inférieure traitant les maladies et très toxiques. La chose première dont on doit prendre soin est le terrain (la force vitale), les environnements extérieurs et intérieurs. Attendre que la maladie arrive pour prendre soin de soi a des conséquences délétères.
« L’art de l’équilibre » est aussi celui de la mesure. Comme le disent ces deux adages antiques : Μηδὲν ἄγαν (Mêdèn agan) et Γνῶθι σεαυτόν (Gnỗthi seautόn), « Rien de trop » et « Connais-toi toi-même ». Ils sont liés au temple d’Apollon en Grèce et largement cités pendant toute l’Antiquité. L’húbris (ὕβρις) est par contre la démesure.
Pour résumer, je trouve que cette exposition est présentée à point nommé, à une époque où la médecine dite « moderne » fait face à d’énormes défis, à un déséquilibre particulièrement dommageable dû en particulier à une marchandisation outrée et immorale, à une pollution extraordinaire à tous les niveaux de ‘nos’ environnements et à une profonde méconnaissance des médecines dites « douces » ou « traditionnelles »... Mais les bons médecins sont là. La vertu, l'amour, le savoir et la sagesse restent naturellement cachés des comportements obscènes.
PS : Il est à noter aujourd'hui, une belle vente d'objets d'art indo-tibétains par la maison Bonhams, visible ici et ici.