Je ne suis pas du tout un spécialiste du goût, mais écrire sur lui m'en donne une saveur, même si je suis très éloigné d'en avoir. J'aime écrire, comme autrefois un épistolier le faisait à un ami. Mon plaisir est dans l'écriture même. Là, pas de rendement, pas de propagande, pas de retombées, juste des mots lancés dans le vent, comme ceux venant du coeur, chantonnés par une bouche et s'échouant dans l'oreille de l'esprit qui l'émet.
Si je ne suis pas du tout un spécialiste du goût, ce que je sais, c’est qu’il avait beaucoup d’importance autrefois… en particulier le « bon goût ». Il n’est plus d’actualité. Par contre, le mauvais goût s’étale tous les jours dans la vie contemporaine. Évidemment, le goût est une notion subjective… subjectivité qui tout de même a ses limites, qui sont celles de l’être humain.
Avoir du goût, ce n’est pas seulement savoir choisir et agencer ce qui donne le plus de plaisir à nos sens, c’est aussi et avant tout trouver ce qu’il y a de meilleur, dans tous les sens du terme. Il faut y ajouter ce supplément d’âme qui fait toute la différence.
Avoir du goût n’est pas suffisant, encore faut-il donner de la saveur. Le goût est intelligence et la saveur est partage. Un individu de goût se contente de peu mais cherche toujours la qualité. Il est une personne de qualité. Si cette dernière se contente de peu pour elle, elle partage beaucoup et toujours la qualité. Elle n’est pas un personnage de surface, dans la montre comme on disait autrefois, c’est-à-dire l’apparence. Ce qu’elle donne à voir, à attendre… elle y ajoute un ‘souvenir’ agréable, un savoir goûteux que l’autre peut conserver et dans lequel il a la possibilité de puiser constamment. Il est comme un vin qui est bon lorsqu’on le boit, se garde longtemps en bouche apportant de nouvelles saveurs en continuant de surprendre, laisse un bouquet agréable même longtemps après ouvrant l’esprit à d’autres ‘plaisirs’ et s’accordant avec ceux-ci merveilleusement. Surtout, il doit apporter une bonne santé, ne pas l’altérer comme le font certains vins au goût fin mais contenant par exemple du sucre raffiné et des résidus de pesticides. La personne de goût propose ce qu’elle peut faire de mieux. Bien sûr elle ne peut faire des miracles, et c’est à chacun de disposer. On apprécie avec la mesure parfaite, ajoute de la grâce, ou au contraire transforme même ce qu’il y a de mieux en un poison.
La saveur apporte de la longueur dans la jouissance. Le goût est tel un interrupteur que l’on met en marche, et la saveur comme la lumière qui en découle. L’idéal est que le goût apporte une saveur qui ne s’éteigne pas et dont l’autre puisse disposer aussi longtemps qu’il le souhaite, s’il a l’intelligence pour cela. Au sujet de la jouissance, Montaigne écrit : « Qui n’a jouïssance qu’en la jouïssance […] il ne luy appartient pas de se mesler à nostre eschole : plus il y a de marches et degrez, plus il y a de haulteur et d’honneur au dernier siege ; nous nous debvrions plaire d’y estre conduicts, comme il se faict aux palais magnifiques, par divers portiques et passages, longues et plaisantes galleries, et plusieurs destours. »
Certains trouvent que jouir consiste à accumuler les jouissances, ce qui est très dans l'esprit bourgeois particulièrement intéressé par le nombre, la quantité. Mais ainsi de quoi jouit-on vraiment ? Cela ne fait que laisser un goût amer à longue échéance et rend pauvre, voire misérable quand c’est le moment de rendre des comptes. Savoir savourer des choses qui nous ont été données, comme simplement le fait d’être en vie, est déjà un programme immense, non ? Pourquoi toujours vouloir davantage ? Je crois même que la meilleure des jouissances est de s’oublier et de ne faire uniquement que le bien. Seul le bien est véritablement bon. Apporter ce bien… ce bon… cette bonté… est ajouter de la saveur au goût et n’est que le prolongement de cette intelligence.
La bonté a moins à voir avec la morale qu’avec la vertu, de même qu'une saveur au palais à moins à voir avec la recette qu’avec celui qui l’a accomplie.