Clarté, musique et couleurs

Merveilleuses et merveilleux

Estampe gravée par Eugène Gaujean (1850 – 1900).

La réalité… on l’écrit aussi… Le mouvement crée la réalité et l’écriture est un de ses rythmes. Que l’on trouve ce que je dis stupide ou pas, dans tous les cas, on contribue à la création de la réalité…

Évidemment, tout cela n’est que tergiversations… Je n’ai jamais été autrement qu’au premier jour de ma naissance ! C’est un peu comme la respiration : Finalement elle ne change pas tant que cela avec le temps… mais elle est nécessaire. C’est ainsi que j’écris par nécessité… comme je respire… J’écris au rythme de ma respiration et de mon coeur… parce que tout bouge et change dans l’immuable…

Dans un précédent article, j’évoque la question du simulacre décrit par les épicuriens, ce qui consiste en une image (simulacrum) extrêmement ténue émanant de l’objet ou se situant entre lui et nous comme un miroir, ou se reflétant en nous, ou la manifestation de deux ou trois de ces éléments à la fois… généralement les trois.

Une des manifestations qui résultent de ces simulacra est la réalisation d’associations qui se font dans notre esprit. En psychologie moderne on considère cela comme des expressions neurologiques auxquelles pour certaines on donne des noms et des définitions comme « synesthésie » ou « chromesthésie ». Ces phénomènes peuvent permettre de comprendre les liens qui se font et les réalités qui s’opèrent, certes de manière extrêmement parcellaire… mais c’est déjà ça !

La synesthésie est littéralement une union de sensations, ce qui consiste à lier de manière non intentionnelle une sensation à un autre sens, par exemple des notes de musique entendues à une couleur, un graphème (lettre ou nombre) à une couleur, un nombre à une position dans l’espace…   Des sensations, visions (personnalités, jours, mois…) se trouvent ainsi associées à des couleurs, ou des positions dans l’espace, ou des formes particulières, etc. Davantage que de simples sensations, il faut parler d’une harmonie de sensations (ou expériences) associée à une ou plusieurs autres harmonies. Les rêves expriment ces images avec un lien plus libre à la réalité, mais agissant aussi avec cette dernière, par imprégnations de la réalité sur le rêve et du rêve sur la réalité.

D’après Diogène Laërce, chez Zénon et les stoïciens on distingue la représentation (φαντασία) de l’image (φάντασμα). Le mot φάντασμα est dans la représentation, l’action de montrer, l’apparence, ainsi que l’action de se figurer par l’imagination. Le terme de φάντασμα correspond à l’image qui se forme dans l’esprit que l’objet renvoie. Il signifie aussi « songe », « vision », « apparition », « fantôme ». Les deux termes ont pour racine φαντάζω (faire voir en apparence, donner l’illusion. Se montrer, apparaître, jouer le rôle de…). Cette même racine a donné φανταστής, voulant dire « qui aime la parure, l’étalage ». On y trouve une idée de lumière, φανός, (lumineux, brillant, lampe). Voici ce passage reproduit sur le site Remacle :

« Joignons-y quelques détails particuliers sur leur science introductrice, et citons les paroles mêmes de Dioclès de Magnésie ; il s’exprime ainsi dans l’Excursion des Philosophes : “Les stoïciens traitent en premier lieu de la représentation et de la sensation, parce que le critérium, ce par quoi nous connaissons la vérité des choses, est un mode de la représentation, et aussi parce que le jugement qui exprime la croyance, l’aperception, la notion, jugement qui précède tous les autres, ne peut s’accomplir sans la représentation. En effet, ce qui précède dans les phénomènes internes, c’est la représentation; vient ensuite la pensée, dont le propre est d’exprimer les impressions qui résultent de la représentation et de les rendre sensibles par la parole.”

La représentation diffère de l’image : l’image est une conception de l’intelligence, telle que celles qui se produisent dans le sommeil ; la représentation est une impression faite sur l’âme, et par là il faut entendre une simple affection, comme le dit Chrysippe dans le dixième livre du traité de l’Âme ; car on ne peut admettre que l’impression ressemble à l’empreinte d’un cachet, puisqu’il est impossible de concevoir qu’il y ait eu en même temps plusieurs empreintes superposées en un même point. La représentation vraie est celle qui, produite par un objet réel, est gravée, empreinte, imprimée dans l’esprit de telle sorte qu’elle ne puisse être produite également par un objet non réel. Parmi les représentations, les unes sont sensibles, les autres non : sensibles celles qui nous sont fournies par un ou plusieurs sens ; non sensibles celles qui émanent directement de la pensée, par exemple celles qui portent sur les choses immatérielles et sur tous les objets qu’embrasse la raison. Les représentations sensibles sont produites par un objet réel qui s’impose à l’intelligence et force son acquiescement ; toutefois il y a aussi des représentations purement apparentes, des ombres, qui ressemblent à celles produites par des objets réels.

Les représentations se divisent encore en rationnelles et irrationnelles : rationnelles, celles des animaux raisonnables ; irrationnelles, celles des êtres dépourvus de raison. Les représentations rationnelles sont les pensées; les autres n’ont pas de nom particulier. Ils les distinguent aussi en artistiques et non artistiques ; en effet, une image est vue tout autrement par un artiste que par celui qui ne l’est pas. »

Dans l’article sur les simulacres, j’insiste sur l’importance de l’image dans notre société et cela depuis très longtemps.

Il me semble que chacun est en interprétation (représentation ou image) continuelle de la réalité, de manière le plus souvent inconsciente… et je ne parle pas là d’une interprétation intellectuelle… mais dans des simulacres de réalité individuels et collectifs. Comme l’écrit Épicure : « La fausseté ou l’erreur sont toujours dans l’opinion que nous avons sur l’objet qui vient émouvoir nos sens ». Il ne s’agit pas de juger quel qu’être vivant que ce soit qui voit la réalité selon sa représentation, son image ou un simulacre, ni la représentation, l’image ou le simulacre qui lui est envoyé, mais d’envisager ce phénomène général du simulacrum et de voir comment chacun crée son harmonie à partir d’une base commune qui est sans doute simplement lumineuse : une clarté se ‘concrétisant’ en divers éléments des plus subtils aux plus grossiers.

Certains philosophes de l’Antiquité considèrent que le monde est créé à partir du feu. Peut-être par « feu » entendent-ils « lumière ». Nous serions tous, et les choses dans leur ensemble, des êtres ou manifestations de lumière ‘concrétisés’. Il se dégage de cela une harmonie, ou plutôt des harmonies, que je trouve intéressant d’étudier.

Cette lumière se scinde par le rythme et ainsi se décompose, notamment de trois manières : en sons, couleurs et formes.

La même lumière est source d’apparences différentes, un peu comme celle du projecteur permet de voir divers films. Avant de se concrétiser, la lumière elle-même se divise. Par exemple, celle qui donne le kaloskagathos grec est la même que celle à l’origine de la fin’amor du Moyen-Âge ou de l’élégance à la française du XVIIe siècle… Dans ces mêmes cas on se dirige vers, ou se laisse diriger par la même lumière, elle-même une fragmentation de la lumière primordiale. Dans la religion chrétienne on donne à diverses manifestations de cette fragmentation lumineuse des noms d’anges et de démons… pour en arriver à ce qui est de l’ordre de la matière. Les anges sont l’expression des sirènes dont parle Platon… musiques célestes…

Il faudra que je parle plus en détail de la musique et des couleurs et de tous les autres rythmes qui font la mode et des modes (au masculin). J'aime beaucoup cela, mais ne suis pas du tout un spécialiste, et n'ai même pas l'intelligence pour les aborder. Par exemple, je n'ai jamais rien compris à la musique, aux tons, demi-tons, etc. C'est une des raisons pour laquelle je m'intéresse tellement aux petits-maîtres, car ils vivent les rythmes pour beaucoup sans vraiment les comprendre et pour beaucoup aussi faisant semblant de bien les connaître.

Étudier ou se laisser fondre dans la musique, l’harmonie des couleurs, les mouvements de l’âme, la danse, la nature… être soi-même… enfin tous les rythmes harmonieux, c’est être dans la lumière. Évidemment qui dit « lumière » dit aussi « obscurité ». Ce jeu-là même est harmonie. Et quand on se perd, on retourne à l’humilité première…

Merveilleuses & merveilleux