Braveries, robes déguisées et congruences

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessus : Gravure allemande du XVIe siècle, montrant un aspect de la mode masculine à cette époque : chapeau plat avec panache (plumes) et sur la représentation de dos il est haut et rond ; barbe et moustaches, ces dernières peuvent être très grandes ; manteau court en damas ou brocart à haute encolure ; chemise à col découpé (début de fraise) ; pourpoint à haut col et chiquetures (taillades) ; le haut-de-chausses (parfois appelé « braies ») a de nombreuses taillades (crevés) et la braguette est proéminente, sans doute une bourse (petit sac dans lequel on garde de menus objets comme des pièces) nouée ; chausses et bas-de-chausses tenus par des jarretelles en ruban ; et chaussures aussi tailladées, alors que sur la représentation de dos il porte des bottes sans talon, peut-être ce qu’on appelle des « bottes fauves » c’est-à-dire en cuir jaune et très étroites, portées par les galants (amoureux), à moins qu’il s’agisse de bas-de-chausses en bottes ; il a des gants, une grosse bague sur un doigt de la main gauche, et tient dans la droite un mouchoir.

En m’intéressant aux domaines de la mode et de l’élégance, je découvre d’anciens mots français aujourd’hui oubliés, comme « braverie ». Ce dernier signifie de l’élégance dans l’habillement, voire de la magnificence.

Avant d’appeler « français » la langue française, on la nomme « roman », c’est-à-dire « langue de Rome ». Le terme de « roman » est plus approprié que celui de « français », car la langue française est en très grande majorité issue du latin, avec seulement quelques rares mots venant des Celtes et des Francs. Parmi les premiers grands écrits l’utilisant, on compte la Chanson de Roland, texte aussi appelé Roman de Roncevaux, des adaptations de belles histoires de l’Antiquité qui donnent au XIIe siècle Le Roman de Thèbes, le Roman d'Énéas et le Roman de Troie, des romans de chevalerie d’origine celtique (bretonne) comme ceux de Chrétien de Troyes (vers 1130 – vers 1185), et d’autres sortes comme le Roman de Renart (XIIe siècle). Comme on appelle aussi ces œuvres des « romans », on donne alors le nom de « français » à la langue.

Dans ces romans, on a quelques descriptions de vêtements médiévaux. Ceux-ci sont à peu près les mêmes chez les femmes et chez les hommes, jusqu’au XIIIe siècle : chemise, chausses, braies (surtout pour les hommes), robe ou cotte, surcot, mantel. La robe survit jusqu’à aujourd’hui, mais en Occident seulement pour les femmes ou certaines activités (religion, justice…). Par contre, la chemise est encore très présente… surtout chez les hommes, même si, à partir de vers le début du XXe siècle et surtout après la seconde guerre mondiale, elle devient beaucoup plus courte et ne ressemble plus à la tunique comme autrefois.

À partir du XIIIe siècle, le vêtement est de plus en plus cousu et les modes changent de plus en plus rapidement, avec un feu d’artifice de formes, de couleurs, de fantaisies. Cela vient en grande mesure d’un goût prononcé pour la création, la poésie qui s’exprime aussi dans l’art du vêtement : de la guise. La « guise » est une manière, une fantaisie, un goût, une coutume, une habitude, une apparence… Ce mot se prend aussi pour la mode et la façon de s’habiller : « la nouvelle guise » est la mode nouvelle. Un déguisement est une façon différente de se vêtir de celle qui est habituelle.

Au Moyen Âge, on appelle « robe déguisée » un vêtement féminin ou masculin très original par sa richesse inventive, mis par la noblesse ou d’autres lors d’une fête, d’une assemblée, ou d’un autre moment important. C’est essentiel pour comprendre le goût dans la mode française pour l’invention, l’extravagance et la féerie, tout autant que pour la qualité, le bon ton et la belle manière. Cela se traduit aux XIVe et XVe siècles par des vêtements comme la houppelande, une longue robe masculine ou féminine avec de larges et pendantes manches, des vêtements colorés, brodés, des chaussures incroyables, des chapeaux et coiffures féminines très excentriques. Le XVIe siècle est tout autant innovant et truculent, avec par exemple ses habits rembourrés, le XVIIe avec ses grandes perruques et ses rubans, le XVIIIe avec ses robes à panier… Les exemples à ces époques ne manquent pas ! Et je ne parle là que de vêtements, alors que je pourrais le faire aussi pour les autres parties de la mode.

L’exubérance est donc de mise dans les codes sociaux et appréciée à sa juste valeur. Il ne s’agit pas de n’importe laquelle. Il est difficile d’expliquer cela. Il y a de la fraîcheur dans cette originalité. Je me rappelle un film de vers les années 1940 où un père ouvrier achète avec sa fille (une jeune femme) et pour celle-ci un chapeau très fantaisiste, en regardant son enfant comme portant le dernier grand chic. Il s’agit non seulement d’être dans le ton mais aussi un peu en avance sur celui-ci ou en décalage, de l’éclairer. Le sujet s’aborde tout autant avec humour que sérieux, avec imagination que goût, avec fantaisie qu’intelligence ou cœur… et toujours avec plaisir et joie. La préciosité n’est pas seulement dans la richesse matérielle, mais dans bien d’autres domaines. La fantaisie du vêtement est alors vue comme une richesse, une capacité d’invention de celui ou celle qui le porte, une intelligence.

Le déguisement n’empêche donc nullement la congruence, au contraire. Il faut que les éléments de la vêture soient congruents (ou congruants), comme on dit dans l’Ancien Régime, c’est-à-dire adéquats, exprimant une harmonie, quelque chose de plus qu’un simple coordonné.

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