Drôles de pistolets XIV : Le bœuf à la mode merveilleuse et incroyable

Merveilleuses et merveilleux

À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, plusieurs caricatures représentent « le bœuf à la mode ». Elles se moquent des merveilleuses, incroyables et autres nouveaux riches qui prennent le costume étriqué (« ginguet ») de la nouvelle mode. Voici des passages d’une chanson du « Citoyen Aubert » décrivant cet animal :

« […] Lorsque je lui [le Français] vois comme à ces lourdeaux,
Des habits carrés à très-large dos,
Dans petits souliers, mettre pieds fort gros,
Je dis c’est (le Boeuf) à la mode.

Maintenant l’on voit un homme bien fait,
Sous l’habit carré paraître mal fait,
Culotte tombant à demi-molet,
Et chaussure qui l’incommode,
Son menton caché d’un large mouchoir,
Qui dans un repas lui sert de bavoir,
Fait lorsqu’il s’aperçoit dans un miroir,
Qu’il se voit (en Boeuf) à la mode.

L’autre jour un rentier se promenait,
Près d’un nouveau riche il le reconnaît,
Il voyait Picart, son ancien laquais,
Dans un phaéton [voiture à cheval, très légère et découverte à la mode alors chez les merveilleuses et les incroyables] fort commode ;

[…] Nos Merveilleuses par des goûts nouveaux,
Portent courte taille au milieu du dos,
Une ceinture montant jusqu’en haut,
Et robe, en chemise commode ;
Cheveux tortillés comme un tire-bour[re],
Leurs yeux quelquefois sont privés du jour,
Secouant la tête elles font tour à tour,
Tout comme le Boeuf à la mode.

Pour toutes ces femmes à phaéton,
Le plumet de paon n’est plus de saison,
Un balai de paille pend sur leur front,
De même un chapeau fort commode ;
Un châle effroyable par sa grandeur,
On dirait un drap, sauf à sa couleur ;
Des pendants d’oreille de la longueur,
Des cornes du Boeuf à la mode. […] »

Cette chanson se poursuit, aussi gentiment, en décrivant le maquillage des merveilleuses, leurs chapeaux et leurs coiffures.

Photographie ci-dessus : Gravure de vers 1797, avec un bœuf habillé en merveilleuse, gravée par « L C Ruotte » (Louis Charles Ruotte : 1754 – 1806), d’après un dessin de « Swagers », sans doute Frans Swagers (1756 – 1836), peintre originaire d’Utrecht, aux Pays-Bas, mais travaillant à Paris jusqu’à la fin de sa vie. Beaucoup de ses peintures représentent des paysages lacustres ou des marines. L'arrière-plan de cette estampe rappelle son pays natal. Quant à Louis Charles Ruotte, il grave par exemple La Rencontre des incroyables (1797).

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