J’avais vingt ans dans les années quatre-vingts, époque de la new-wave, de la musique industrielle, du second degré, du « je danse comme un robot », du désespoir de l’homme machine… C’est en 1982 qu’est sorti le film Blade Runner de Ridley Scott, adapté du roman de Philip K. Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (titre original : Do Androids Dream of Electric Sheep ?, après le succès du film parfois réédité sous le titre Blade Runner). J’apprécie beaucoup l’esthétique de ce film, les styles qui s’y épanchent. C’est l’histoire d’un homme dont le travail est d’éliminer des « répliquants » rebelles, des machines répliques fidèles des êtres humains. Il tombe amoureux d’une répliquante qui ne sait pas qu’elle l’est, qui s’est construite, ou plutôt à qui on a donné, tout un monde avec sa mémoire, ses vieilles photographies, etc. L’être humain est-il autre chose qu’une sorte de machine ? Est-il possible d’être davantage ? Dans le film, on s’aperçoit finalement que le héros lui-même est un répliquant qui ne le sait pas non plus !
L’être humain est fragile. Il suffit de se sentir respirer, d’entendre battre son cœur. On ne peut vivre sans continuellement respirer, sans que le cœur batte, comme le tic-tac d’une horloge. Cette conscience porte à l’humilité et au respect de toutes les formes de vie portées par des rythmes qui tous sont d’une grande fragilité. De nos jours, on ressent même la fragilité de la terre toute entière sous les coups que lui donne l’homme. Je lisais dans un texte de Platon que par grand calme on peut entendre le bruit que fait la terre dans sa rotation. Difficile de pouvoir le faire aujourd’hui où, même en pleine nature, on entend des avions. On ne s’entend pas même respirer ; on n’entend même plus notre cœur battre du fait de notre affairement.
En France, on accordait beaucoup d’importance aux sciences, en particulier au siècle des Lumières. Ce pays fut la patrie d’un nombre considérable d’inventions jusqu’à la fin du XIXe siècle. La photographie et le cinéma en sont des exemples. L’Hexagone regorge encore de bibliothèques spécialisées, d’institutions culturelles, de musées… Il s’agit d’une véritable passion française pour la culture et les sciences. Des observateurs des XVIIIe et XIXe siècles le faisaient déjà remarquer, comme l'Anglaise Lady Morgan qui écrivait dans son Paris en 1829 et 1830, tome II publié en 1830 – 1831 : « Paris est devenu une grande université ; chaque quartier a ses écoles ; les jardins publics eux-mêmes sont des lieux d’étude ; et l’on pourrait diviser la société en professeurs et élèves ; en orateurs et auditeurs, en philosophes et disciples. » Louis Sébastien Mercier le disait aussi dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, ajoutant que de nombreux cercles scientifiques, sociétés, académies non seulement se formaient régulièrement mais avaient de très nombreux visiteurs. Il s'agissait d'une passion qui attirait même les femmes à la mode comme l'écrivait Lady Morgan : « Les Françaises joignent au talent de causer agréablement celui d’écouter avec la plus imperturbable patience. Cette réflexion m’a été particulièrement suggérée dans les nombreuses séances littéraires et scientifiques auxquelles je les vis assister. Pour moi, de telles réunions sont de purs objets de curiosité ; pour elles, ce sont des sujets d’intérêt profond. Je m’y rendais pour voir ce qu’étaient ces sortes d’assemblées ; elles y cherchaient de l’instruction par le moyen qui m’a toujours paru le plus fastidieux. Quand nous arrivâmes à la séance publique de la société Philotechnique qui se tenait dans l’une des salles dépendantes de l’Hôtel-de-Ville, je ne fus pas peu surprise d’y voir un grand nombre de chapeaux fleuris, mêlés aux têtes chauves, aux cheveux gris et aux autres formes symboliques du temps et de la sagesse. L’assemblée, très-nombreuse, était remarquable par la diversité des âges qui la composaient. Au fond de la belle salle oblongue, une sorte de théâtre était élevé où l’on avait placé le fauteuil du président, le pupitre des lecteurs, et des sièges de chaque côté pour les étrangers et les hôtes les plus distingués. Le corps de la salle, occupé par des banquettes, était rempli d’une foule mêlée et très-pressée. »