Prier, c’est rendre grâce et demander la grâce. La grâce est nécessaire, vitale même. Sans elle, rien ne se fait de bon, et c’est sans doute pour cela que le monde contemporain, qui en manque cruellement, nous joue un très mauvais spectacle.
Manger est nécessaire à l’être humain. Durant ce moment, il montre, par ce qu’il ingurgite et de la façon dont il le fait, de quel genre il est, quelle grâce le soutient, quels sont ses rythmes. Se nourrir doit être une communion, un partage, et ce partage ne peut se réaliser que si aucun être sensible n’en souffre. Personnellement je suis végétalien, et de plus allergique au gluten, ce qui ne me facilite pas les relations sociales. Cependant, je ne peux concevoir que pour me nourrir je fasse du mal à d’autres êtres sensibles.
De nos jours, il est difficile de trouver des aliments de qualité. Tout d’abord, presque tous ceux proposés à la vente sont industriels. Même les produits bios sont souvent empaquetés dans du plastique. Les ajouts de sucre, sel et autres adjuvants aux nourritures industrielles en font de véritables petites bombes chimiques ! Même lorsqu’on essaie de manger des produits simples, il est difficile, voire impossible, de connaître leur provenance. C’est le cas pour les végétaux dont il n’est jamais indiqué le nom de l’espèce (avec son nom latin). On ne sait donc pas s’il s’agit d’une variété récente ou ancienne, etc. À ce sujet, j’ai une anecdote très intéressante m’étant arrivée :
J’ai travaillé pendant un temps au Sénat, pour un sénateur socialiste. Je dois dire que je ne suis d’aucun parti politique… bien qu’aimant la politique… et c’est pour cette raison que je n’ai pas cherché à rester à la Haute assemblée. À cette époque, je fréquentais une AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), où je discutais souvent avec un paysan. Un jour, celui-ci me dit qu’il faudrait faire une loi obligeant les vendeurs de fruits, légumes et autres plantes, d’indiquer le nom de celles-ci. Il pensait que cela empêcherait notamment la propagation des plantes OGM, les gens pouvant se renseigner sur la plante. Trouvant que c’était une bonne idée, je profitais d’un projet de loi passant au Sénat où il était question d’agriculture, pour écrire un amendement allant dans ce sens, que je proposais au sénateur. Celui-ci l’accepta, de même que le collaborateur du parti socialiste… Même l’administrateur du Sénat en charge de ce projet de loi le trouva intéressant, ce qui m’étonna beaucoup. Je m’attendais maintenant à une opposition des grands groupes de l'alimentation, mais qu’elle ne fut pas ma surprise de constater que la boîte de messagerie du sénateur contenait seulement sur ce sujet un message de la Confédération paysanne vent debout contre cet amendement, prétextant des raisons loufoques. Puis ce fut un second message de leur part avec d’autres raisons aussi étranges. Finalement, quelques jours après, un troisième message lançait un nouvel argument : obliger d’indiquer le nom de la plante empêcherait les agriculteurs proposant des espèces locales non référencées de les vendre. Le parti des écologistes, qui était alors intégré au parti socialiste au Sénat, ‘tomba’ contre mon sénateur, jusqu’à ce que celui-ci céda en retirant cet amendement. Même le paysan qui m’avait donné l’idée, s’était fait convaincre par ses confrères que c’était une très mauvaise chose. Pourtant, au contraire, je pense toujours que c’est une très bonne idée ; d’abord parce que le consommateur a le droit de savoir ce qu’il mange, ensuite parce qu’évidemment cela empêcherait de vendre des plantes manipulées génétiquement. Et puis cela ne nuirait pas aux espèces locales… contrairement à l’argument lancé… au contraire ! Du reste, il existe des dérogations pour les races primitives et variétés agricoles naturellement adaptées aux conditions locales et régionales et menacées d’érosion génétique, et je n’ai jamais entendu parler d’une interdiction de vente de variétés anciennes ! Je pense que même parmi les espèces non OGM, mais relativement nouvelles et homologuées, beaucoup sont mauvaises. Je m’en suis rendu compte en devenant intolérable au gluten. Ne mangeant que des produits bio, j’en ai déduit que le problème était sans doute dans les variétés des plantes céréalières que je mangeais et la façon dont on les cultivait. Mais impossible de savoir desquelles il s’agissait. Par exemple, pour le blé, il existerait cent-cinquante variétés inscrites au Catalogue officiel français des espèces et variétés de plantes cultivées créées par dix entreprises de sélection et près de cinq-cent-trente au Catalogue européen. Celles-ci peuvent très bien être sans OGM et en agriculture bio. Ce que cette anecdote nous apprend aussi, c’est que la véritable écologie n’est pas toujours là où on le croit… au contraire… Si dans cette histoire je ne m’attendais pas à une chose, ce fut que la Confédération paysanne et les écologistes soient contre une idée plus que merveilleuse par sa simplicité et son efficacité !
Donc, nous ne savons souvent pas ce que nous mangeons… en particulier les citadins. Même ceux qui ont leur jardin potager doivent faire attention aux variétés cultivées. La nourriture est tellement frelatée que de nombreuses maladies contemporaines lui sont liées : allergies, surpoids, diabète, rhumatismes, etc. L’obésité devient même fréquente. Face à cela, l’industrie alimentaire a trouvé une parade : Faire de l’obésité non seulement une norme mais une mode. Plusieurs films et téléfilms américains sont sortis ces dernières années mettant en valeur les gens obèses et fustigeant ceux qui pourraient être critiques vis-à-vis de cet état. Plusieurs acteurs américains sont même devenus progressivement obèses ! Pourtant, mis à part quelques rares cas congénitaux ou liés à d’autres maladies, l’obésité est une maladie souvent en relation avec un manque d’hygiène alimentaire. Le nier, ce n’est certainement pas aider les personnes qui en souffrent.
À cela s’ajoutent diverses formes d’égoïsmes alimentaires. Par exemple, en région parisienne, la plupart des épiceries vendant des produits régionaux ont disparu, remplacées par des supermarchés et des épiceries exotiques. Nous savons que si nous voulons aider notre environnement, nous devons manger local… Dorénavant, il est devenu très difficile de le faire. Personnellement, je consomme beaucoup de plantes sauvages que je cueille dans des forêts et campagnes à l’écart des grandes urbanisations depuis plus de vingt années. Je ne peux même imaginer faire autrement en étant végétalien, car où sinon trouver des aliments de qualité ? À chaque mois quelque chose de nouveau ! Au mois de mars, je passe du temps à récolter la sève de bouleau pour la consommer en cure, et cueille de la violette odorante si elle est abondante (ce qui est de moins en moins le cas). En avril, je ramasse des jeunes pousses de fougère aigle et les prépare pour les manger. Je consomme aussi les feuilles de certains arbres, comme celles des tilleuls qui font une merveilleuse farine. Au mois de mai, je réalise des beignets de fleurs de sureau noir, de fleurs d’acacia, de feuilles de consoude ou de jeunes pousses d'armoise. En juin, je cherche des fraises sauvages, merises, cerises, groseilles, etc. En juillet, beaucoup de plantes aromatiques sauvages fleurissent comme des menthes, l’origan, le serpolet, l’ail, etc. Août est le mois des fruits : mûres, pommes, cenelles, prunelles, baies de sureau noir, cornouilles, fruits de l’alisier torminal, cynorrhodons, noisettes, etc. Septembre est celui des champignons. En octobre, de nouveaux fruits se ramassent, comme les châtaignes, faines, noix… Toute l'année, même en hiver, je me fais des salades et soupes aux plantes sauvages, délicieuses et toujours surprenantes. Et ce ne sont que quelques exemples d'usages alimentaires 'sauvages' parmi de nombreux autres.
Si ce que l’on mange est important, la manière de le faire l’est aussi. En France, il existait un véritable art de la table, comprenant des usages de savoir vivre, de savoir déguster, de savoir partager, de savoir servir, de savoir être servi, etc., et une quantité d’objets liés à cet art de la table. Notre pays excellait dans la fabrication de ces objets, particulièrement dans l’orfèvrerie, mais aussi dans la céramique et la verrerie, sans compter des productions alimentaires de qualité.
Pour conclure cette prière : une pensée pour ceux qui ont faim. La faim est une chose affreuse que l’on ne peut comprendre qu’en ayant été confronté à celle-ci. Autrefois, des famines sévissaient en Occident. Elles ont été arrêtées avec l’introduction de la pomme de terre, aliment complet et très facile à cultiver. C’est resté un des aliments les moins chers jusqu’à il y a une trentaine d’années. Aujourd’hui, dans certaines épiceries bios, le kilo de pommes de terre nouvelles peut approcher les 5 € !
La surpopulation mélangée à l’industrialisation de la production agricole et aux diverses pollutions, créent un mélange dangereux… qui vaut bien une petite prière !
Je souhaite un bon appétit à chacun et de la grâce !