Drôles de pistolets II

De tout temps certains ont critiqué la folie des êtres humains. Nous sommes à une époque qui n’a jamais été aussi folle, non pas parce que les hommes sont plus insensés, mais parce qu’ils ont à leur disposition des moyens technologiques qui permettent de démultiplier leur déraison d’une manière jamais égalée. Emporté dans cette machine, j’aime à me rappeler des manières colorées, nanties d’extravagances, des richesses à portée de chacun, ne nécessitant rien si ce n’est un peu de fantaisie. Évidemment, cela n’apporte aucune solution à cet imbroglio actuel. En existe-t-il seulement, si ce n’est une prise de conscience individuelle ? Mais cela me relaxe ; et j’espère que cela fait de même pour vous. Les sujets sont vieillots, et plus de mode ; cela est fait exprès, car la ‘vraie’ mode n’est selon moi jamais à la mode ; elle est toujours en avance, même quand elle est en retard ! Et puis franchement, on ne trouve plus de sujets aussi amusants dans les rues parisiennes actuelles.

Voici donc un article faisant suite à celui-ci, avec d’autres drôles de pistolets, toujours dessinés par Alfred Grévin (1827 – 1892). Ce dernier produit de nombreuses séries sur la vie ‘à la mode’ de son époque, comme « Les Parisiennes », « Canotiers et canotières », « Au bal masqué », « À travers Paris », « À la mer », « Scènes de la vie privé », « Nos petits gandins », etc. Il crée des affiches, par exemple celle de la pièce La famille Benoiton qui lance les benoitonnes. Il illustre un livre d’Edouard Siebecker sur les Cocottes et petits crevés (1867). Etc. Bien sûr, il n’est pas le seul à faire cela. Beaucoup d’autres artistes exécutent des séries caricaturant des merveilleuses et des merveilleux. La lithographie, nouvelle technique d’impression qui se développe au XIXe siècle, permet de publier à grande échelle ces estampes. Les revues illustrées de caricatures pullulent alors, et deviennent des témoignages complémentaires aux journaux de mode, qui eux conservent l’impression d’images gravées représentant des personnages dans des poses plutôt ‘rigides’. Ces gravures de mode sont donc finalement beaucoup moins ‘dans le vent’, dans l’instant, la mode prise sur le vif, que le sont les lithographies du XIXe siècle que je présente parfois dans ce blog, comme dans cet article ! Pourtant, personne encore ne considère des artistes comme Grévin, Bertall, Gavarni, Millaud ou Cham aussi comme des illustrateurs de la mode de leur époque, mis à part votre serviteur, qui découvre chez eux des informations pertinentes et amusantes sur les merveilleuses et les merveilleux du XIXe siècle !

Photographies ci-dessus : Les personnages proviennent tous de caricatures d'Alfred Grévin.

Les Petits-maîtres de la Mode

Ci-dessus : « Actualités, – par A. Grévin. » « Le jeune vicomte de ***, avant de partir pour Longchamps, jette un dernier sourire de satisfaction à son armoire à glace. » L’appellation de « jeune vicomte » est sans doute donnée de manière humoristique, afin de ridiculiser les ambitions de ce genre de gandin, comme on le fait aux XVIIe et XVIIIe siècles avec les faux « petits marquis ». Son « armoire à glace » est un simple petit miroir adossé à un placard vide. Son ‘château’ est une masure sous les toits. Il est de bon ton alors d’ajouter un immense ruban coloré au chapeau. Cette lithographie provient du Petit journal pour rire, comme la suivante.

Ci-dessous : « Nos petits gandins, – par A. Grévin. » « - Soyons sérieux, que diable ! Comment ! Toi riche, tu épouses une femme sans l’sac ! Oh ! Lala !!.. J’veux qu’avant six mois elle t’appelle… andouille. » On remarque la tenue du personnage de gauche, avec son petit chapeau enrubanné, sa veste à grand col, cintrée et à manches s’évasant largement, sa chemise à grand col ouvert, son pantalon très serré et ses hautes bottes. La tenue du second est au contraire très lâche, décontractée. À l’époque de cette lithographie et de nos « drôles de pistolets », les tenues masculines sont très originales et variées. Le personnage de gauche a une allure très fine, féminine et ‘efféminée’, et son visage est glabre ; cela contraste avec l’apparence de son interlocuteur, grand, plus corpulent, à la barbe fournie et à la tournure très détendue, les deux mains dans les poches de son pantalon, ce qui commence donc à se faire à l’époque. Le contraste est une caractéristique de la mode masculine d’alors.

Les Petits-maîtres de la Mode

Ci-dessous : Un drôle de pistolet (à gauche) plus ancien, de l’époque Directoire (1795 – 1799). Il s’agit d’une gravure. Les incroyables et les merveilleuses sont le sujet de nombreuses caricatures, tellement que l’on peut dire que c’est à leur époque qu’est lancée la caricature de mode représentant les merveilleuses et les merveilleux du jour et leurs nouvelles modes extravagantes. Ces estampes deviennent très populaires, et la foule aime à venir regarder chez les marchands les nouvelles parutions, comme on peut le voir ici, ici, ici, ici et ici. Par la suite, le calicot est une caricature prisée des premières lithographies imprimées à grande échelle ; puis s'ajoutent le bas-bleu, la lorette, le lion, le gandin, le gentilhomme, etc.

Les Petits-maîtres de la Mode
Merveilleuses & merveilleux