Leo & Pipo est un collectif composé de deux artistes dont vous avez sans doute croisé les œuvres, surtout si vous êtes Parisiens, sous la forme d’autocollants disposés dans des endroits ‘stratégiques’ de la ville, ou de collages de photographies anciennes représentant généralement des personnages en pied.
Il y a, dans leur travail, une volonté poétique de ramener à la vie le passant pris dans les mailles du monde contemporain voué à la circulation, déambulant d’un point à un autre et habillé de la tête aux pieds, et jusqu’au cerveau, de bitume, béton, rhétoriques médiatiques, consommation, idées prémâchées et autres chaînes sans fils, comme le portable auquel il est attaché comme le prisonnier d’autrefois à un boulet. Nous sommes dans une sorte de préhistoire de l’humanité, et les personnages qu’ils mettent en scène semblent plus ‘évolués’ que nous le sommes aujourd’hui avec toutes nos technologies !
Les images que j’ai choisies pour cet article sont empreintes d’une certaine élégance qui, je trouve, manque dans les rues contemporaines. L’utilisation de personnages photographiés depuis les débuts de la photographie (XIXe siècle), jusqu’aux années 1940, rappelle un temps d’avant le tout technologie, le nucléaire et une mondialisation intensive qui broie les individualités, les cultures, les particularités… dans une même soupe. Le monde d’aujourd’hui est noyé dans les images et un langage hégémonique anthropophage qui coupe le monde de la réalité du présent pour le faire rentrer dans celui de Big Brother. On détruit d’un côté ce que l’on reconstruit numériquement. La réalité, c’est une perte phénoménale de richesses : cultures, langues, paysages, monuments, espèces animales et végétales, etc. Les personnages photographiés semblent être des espèces éteintes, ou en voie d’extinction… Le sont-elles ? En particulier la pause qu’ils affichent, est en contradiction avec notre monde du passage, où les gens courent, circulent de plus en plus vite, sans jamais s’arrêter. L’art de la rue accroche le regard, accompagne le mouvement du passant pour le détourner, dans ce travail vers une sorte de suspension dans le temps et l’espace, teintée d’une certaine ironie, d’un décalage. Ces photographies, par essence figées, créent donc du rythme, un mouvement double du passant qui découvre ces œuvres : une sorte d’arrêt sur image et un retour dans un passé pas si lointain dans le temps, et pourtant très éloigné d’aujourd’hui. Cela nous renvoie aussi à notre propre posture dans la société, au ‘ridicule’ de nos certitudes, etc. Comme la musique enveloppe dans son rythme, ce travail visuel enveloppe le mouvement du passant dans son propre rythme, un autre rythme proposé par l’œuvre. L’art des rues s’exprime généralement dans la rapidité, la furtivité du geste interdit, la surprise… C’est le cas aussi par cette utilisation de papier imprimé placardé, parfois additionné de pochoir, etc. Il s’agit d’un art ‘rebelle’, mais d’une rébellion qui ne casse pas tout… au contraire… une rébellion contre l’uniformité de notre temps…
Si les sujets sont ‘vieillots’, la démarche elle ne l’est pas du tout. D’abord les supports employés sont ceux d’aujourd’hui, du temps présent : photographie, numérisation, collage, art de la rue… Ces œuvres s’inscrivent dans une démarche postmoderne, que j’appellerais « antemoderne », utilisant des images empruntées au passé pour en faire quelque chose de nouveau ! Collées sur les architectures, elles ressemblent à des revendications poétiques, des slogans figés… à des manifestes sans parole placardés sur les murs. Ce sont des manifestes artistiques sans texte !
Le travail de Leo & Pipo est aussi visible dans un livre, publié en 2016 et intitulé : « Leo & Pipo : Papier-fantôme ». À travers leur association, ils se consacrent à d’autres domaines artistiques comme la musique et la vidéo. Des projets d’expositions sont aussi en marche……