Fabriquer de beaux vêtements est une chose délicate, demandant des savoir-faire nombreux, beaucoup de méticulosité. On ne peut les aborder sans avoir à l'esprit les divers talents mis en jeu, les petites mains ayant participé à leur création, ceux qui les ont portés, la mode du temps… C'est un tout. Pour une exposition cela doit être aussi un défi. Pour celle intitulée Fashion Forward, 3 siècles de mode (1715-2016) qui se déroule jusqu'au 14 août 2016 au Musée des Arts décoratifs à Paris, les talents déployés ne sont pas tous du même niveau. Ceux qui ont choisi le titre, le mécène et fait les photographies disponibles dans le catalogue et pour la presse ont été de toute évidence mal choisis.
L'exposition traite presque uniquement de la mode française. Pourquoi un titre en anglais ? Pourquoi utiliser le mot 'fashion' plutôt que celui de 'mode' internationalement connu depuis des siècles et utilisé depuis l'Antiquité ? Certes ce terme vient de l'ancien-français 'façon'. Mais son utilisation ici dénote un manque d'inventivité, de poésie. On est là plus dans un concept d'arts appliqués, de commerce internationnal, ce qui dévalue beaucoup ce qu'est la mode dans son ensemble, notamment vis-à-vis du jeune public. Pourquoi aussi avoir écrit 'trois' en chiffre et pas en lettres comme cela se fait en bonne écriture 'françoise' ? Dernièrement je suis allé à une conférence sur les petites mains de la mode française organisée au CNRS à Paris par l'Institut du Temps Présent par Histoires de Mode, où la conférencière parlant parfaitement le français a choisi de faire son intervention en anglais !! Une autre chose sur le titre : L'exposition ne parle pas de mode mais de mode vestimentaire. La seconde fait partie de la première. Comme je l'ai déjà écrit dans ce blog et au début de mon livre, la mode concerne tous les nouveaux rythmes : musiques, danses, styles, littératures, arts, arts décoratifs, manières de parler, de se coiffer, de se raser, de se maquiller, de s'habiller, de bouger, de sentir, lieux en vogue, etc. Dans ces nouveaux rythmes les habits occupent une place de choix. Ils sont un des signifiants les plus apparents de la mode que l'on suit, car on les porte sur soi (comme la coiffure...) et sont directement reconnus par autrui. Mais, je le répète, ce ne sont pas les seuls.
Quant aux photographies du catalogue sur fond gris, elles ne font pas honneur à la beauté des habits présentés.
Enfin le choix du mécène, une chaîne internationale de magasins de prêt-à-porter, est de très mauvais goût ; surtout que l'on finit par lui et par la fabrication en série que l'on mélange à la haute couture. Le prêt-à-porter n'a pas apporté que du fâcheux, cherchant même parfois à se surpasser. Mais depuis la fin du sur-mesure pour tous (années cinquante) et la mercatique ambiante et phagocytante de ces trente dernières années, la mode est aujourd'hui moribonde... tellement que l'on n'ose même plus prononcer son nom. C'est plutôt une vision nihiliste de conclure avec une grande enseigne de cette marchandisation outrée ; mais à l'image de ce qu'est la mode textile de nos jours, où l'art de la haute-couture sert juste de paravent afin de cacher la réalité du prêt-à-porter.
Ce qui est vraiment dommage, c'est de ne pas avoir cherché à faire la promotion de la création et du savoir-faire français actuels ; surtout que ce musée des arts de la Mode des Arts décoratifs a été fondé en partie par l'industrie française du textile. Rappelons que si la mode française a eu une telle influence c'est en partie par le soutien, l'amour de tout un peuple pour un vivre ensemble s'exprimant d'une manière harmonieuse et délicate à travers elle. Depuis les souverains jusqu'aux petites mains, tous concouraient à faire en sorte que la mode française fût la plus belle… merveilleuse, insurpassable… un délice, et que sa confection fût la meilleure. Cette exposition est à l'image de celle juste en face, dans le même musée, toute entière à la gloire d'une poupée américaine toujours en vente ! Ce n'est pas comme cela que l'on va aider la fabrication française. La France, en particulier par son service public, dont rappelons-le ce musée fait partie, ne crée plus de valeur. Elle vit sur son passé, qu'elle consomme (on consomme notre patrimoine comme la nature sans en assurer sa pérennité) sans désormais inventer son avenir...
Ceci dit cette exposition est très belle et vaut vraiment le détour. Les habits sont magnifiques et présentés avec des éléments décoratifs d'époque les mettant en valeur. Des effets de miroirs en flaques permettent de mieux les voir et donnent de la profondeur. Même la dernière partie sur le XXe siècle est, je trouve, réussie avec ses immenses rideaux de fils de soie derrière lesquels on distingue la belle architecture de la salle, ses podiums en escaliers et son sol aux reflets d'acier. Cependant il est nécessaire de dire que les habits présentés après les années cinquante sont portés par très peu de gens, voire faits pour ne pas l'être. Il s'agit davantage de créations d'artistes en tissus servant de devanture à un énorme commerce de prêt-à-consommer international.
Mais la mise en scène est jolie et presque tous les habits, je le répète, de très grande qualité. Personnellement j'aurais mis des tableaux et gravures représentant des gens à la mode d'alors afin de donner une vision plus complète de la façon de porter ces vêtements. Une robe à panier du XVIIIe siècle c'est quelque chose... mais avec en plus la coiffure en étages c'est époustouflant. Une redingote d'incroyable c'est bien, mais c'est mieux avec la culotte ou le pantalon qui va avec, la cravate, la perruque en oreilles de chien ou à la Titus, le chapeau... Mais bon là je chipote. Cette exposition montre tout de même près de trois cents pièces provenant du fonds Mode des Arts décoratifs constitué de plus de cent cinquante mille œuvres, textiles et costumes anciens, pièces de haute couture, accessoires chapeaux et souliers, sans compter d'importants fonds de dessins et photographies, d'archives de créateurs etc.
Enfin pour vous en dire plus sur cette exposition, voici des photographies prisent durant le parcours... sans commentaire car je n'ai pas beaucoup de temps, entretenant ce blog seul et bénévolement, et en particulier centrées sur le XVIIIe siècle pour les mêmes raisons.