La subtilité

Dans un livre du XVIIIe siècle, dont je n’ai pas noté la référence, est donnée une anecdote sur une fête organisée à cette époque ayant pour sujet les quatre Âges de l’Humanité. Pour chaque Âge était préparée une festivité spécifique, toutes se déroulant en même temps. Pour l’Âge d’Or, cela consistait en un banquet pastoral, avec des aliments naturels, etc. Pour l’Âge de Fer, c’était un banquet avec des mets contemporains et des plaisirs recherchés comme on savait en donner durant ce siècle. La partie consacrée à l’Âge d’Or était désertée par les convives, alors que tout le monde s’était précipité vers l’Âge de Fer.

J’évoque cette anecdote, car elle exprime tout à fait la difficulté qu’il y a à transmettre certaines choses ; je veux dire par là à évoquer certaines subtilités. Le goût… le ‘bon’ goût… le goût savoureux… ne s’enseigne pas… il se savoure… se révèle… se trouve… Comment expliquer les souffles d’une bienfaisance inouïe de l’Âge d’Or ? Pour ceux habitués à ce qu’on leur montre les choses, c’est impossible. À notre époque, c’est particulièrement le cas, où tout est dans la monstre (le fait de montrer) mais très éloigné du goût… de la subtilité. Certes, on peut voyager dans l’espace… mais on le fait comme n’importe quel autre animal ‘nuisible’ cherchant à se répandre tout en détruisant l’harmonie du lieu d’où l’on provient.

« Bon » et « bien » sont presque devenus des gros-mots ou complètement vidés de leur sens pour devenir des outils de manipulation. Il suffit d’écouter ce qu’une personne nous dit faire de bien, pour être à peu près certain que cela cache le contraire. Ainsi détruisons-nous tout en expliquant pourquoi cela est bon. On est dans l’explication. L’art du XXe siècle a lancé cette manière, en faisant apprécier ses plus horribles créations par une analyse sophistique, une rhétorique ‘s’amusant’ à faire passer de la laideur pour de la beauté ou du génie. On est très loin de l’adage qui dit que l’art consiste à dissimuler l’art : Ars [est] celare artem.

La beauté subtile n’est pas ostentatoire. Même si elle n’est jamais laide, elle n’est pas toujours visible au premier coup d’œil… en tout cas pas à des âges comme le nôtre… Par contre, elle l’est dans des âges davantage ‘purs’, baignés dans la véritable élégance. Comme le dit le Petit-Prince de Saint-Exupéry : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » Pas besoin de chercher des palais loin de nous… Il y en a en nous ; ne serait-ce que celui de notre bouche, dans lequel on goûte !

Davantage que la beauté d’une chose, c’est l’harmonie d’un ensemble qui en fait sa valeur. Par exemple, une personne pourra être belle en apparence mais avec un esprit mauvais, ou un méchant individu pourra posséder une magnifique demeure du XVIIe siècle, etc. Comme dans une préparation culinaire : il suffit d’un mauvais ingrédient pour tout gâcher. Mieux vaut être modeste mais rester harmonieux.

Les « époques », que j’évoque dans cet article, ne se situent pas seulement dans le temps.

Ces choses ne s’expliquent pas et ne doivent pas l’être, car forcer c’est ne faire ressentir que de la douleur… là où il n’y en a aucune.

Merveilleuses & merveilleux