Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle Paris était un centre important artisanal et manufacturier. Pendant tout le XIXe siècle l’artisanat et même l’industrie se sont rependus dans la ville en particulier dans les quartiers du marais et du XIe arrondissement. Il en reste des traces, avec des ateliers encore conservés, des usines, des magasins ainsi que des bâtiments. La présence de ces industries nécessitait de loger les ouvriers. Certaines rues de ces quartiers sont parfois en partie ou totalement constituées d’immeubles identiques construits pour abriter ces familles.
J’habite au Cité Griset donnant sur la rue Oberkampf, entre Parmentier et Ménilmontant, qui comprenait une et peut-être plusieurs fabriques métallurgiques. En face de mon appartement une immense usine a été réhabilitée en de très grands appartements. C’est un lieu amusant car tout a été conservé tel quel ; même les ascenseurs de l’usine sont toujours utilisés.
Photographies ci-dessous : Cité Griset, avec une porte d'entrée donnant sur la rue Oberkampf, un cartouche sur l'immeuble au début de la cité indiquant la date de 1889 et l'usine transformée en appartements mais qui possède encore au rez-de-chaussée une entreprise de cartons pour emballages de luxe. Il est à noter que l'on donne le nom de griset à un ouvrier. On utilise ce terme moins souvent autrefois que celui de grisette. Voir cet article sur Les petites-mains de la mode française.
Sur Wikipédia on peut lire : « En 1760, la famille Griset est à l’origine de l’usine éponyme, la plus ancienne usine de sidérurgie de Paris, se spécialisant dans le laminage d’alliages non ferreux. Antoine Griset (1733-1807) installe ainsi son premier atelier dans le quartier du Marais. Puis, son petit-fils Antoine (1790-1857) ayant acquis de nouvelles parcelles dans le futur XIe arrondissement en 1825, l’atelier est transféré au niveau de l’actuel 123, rue Oberkampf, puis formera au fil des agrandissements de l'usine l'actuelle Cité Griset. C’est là qu’est élaborée la barre de platine dont fut tiré le mètre étalon exposé au musée du Conservatoire national des arts et métiers. »
J'ai lu, sans retrouver la référence, que l'usine avec ses briques rouges et ses poutres en acier avait été construite par Gustave Eiffel (1832-1923). Mais c'est à vérifier.
Photographies ci-dessous : prises un peu plus loin en direction de la place de la République. J'ai demandé à une personne sortant de cet immeuble si l'intérieur était dans le même style. Elle m'a répondu que non car tout avait été refait récemment.
Dans beaucoup d’endroits ces traces d’une activité artisanale, manufacturière ou industrielle ont été détruites. Dernièrement j’ai reçu un communiqué de presse sur un nouveau lieu : l’Hôtel Jules et Jim au 11 rue des Gravilliers, dans le Marais. J’ai regardé sur Google Map pour voir où cela se trouvait. Par chance j’ai pu, selon la disposition des vues, comparer le lieu pendant les travaux et tel qu’il est aujourd’hui. Cet hôtel a été construit à l’emplacement d’une ancienne usine de « polissage sur métaux » nommée R. Pochat. Il est à noter que d’après Wikipédia, cette rue « tire son nom d'ouvriers qui préparaient la cendre gravelée en incinérant des lies de vinaigre séché afin de préparer les tissus à la teinture ; ils s'appelaient des graveliers. »
Photographies ci-dessous : le 11 rue des Gravilliers pendant les travaux et aujourd’hui. En face au 14 (à l’angle) se trouve un ancien cabaret du XVIIe siècle.
Une fois n’est pas coutume, la ville de Paris a entrepris une vraie réhabilitation d’un lieu ancien. Il s’agit de la Cour de l’Industrie qui vient de rouvrir : une des dernières ‘cours’ industrielles parisiennes du XIXe siècle. Elle se trouve au 37 bis rue de Montreuil. Dès 1850, on y construisit une cité pour artisans du bois, à l’emplacement des jardins de la folie Titon édifiée en 1673, à l’actuel 31 rue de Montreuil, par un riche manufacturier (voir cette gravure), Maximilien Titon, dont c’était la maison de campagne, à une époque où la superficie de la capitale était beaucoup moins grande. Jean-Baptiste Réveillon y installa, en 1765, une manufacture royale de papiers peints. Ce fut de cet endroit que le 19 octobre 1783 le premier aéronef habité s’envola dans le ciel : la première montgolfière. Ce fut aussi de là et du quartier que la Révolution de 1789 débuta. Du 26 au 28 avril 1789 eurent lieu « l’émeute Réveillon », préliminaire à la Révolution ; elle se conclut par le pillage et l’incendie de cette folie. Elle fut totalement détruite en 1880.
Dans les années 1970, les ateliers délaissés ont été investis par des artistes intéressés par des surfaces importantes et des loyers modérés. En mauvais état et menacé de démolition en 1991, l'ensemble de la cour et des bâtiments fut classé l'année suivante et racheté par la Ville de Paris en 2003. Il bénéficia d’un important programme de rénovation et de réhabilitation mené par la Semaest. Bien que le lieu fut particulièrement vétuste, le choix a été fait de garder le plus d’éléments d’origine. Nous ne sommes donc pas dans du façadisme (voir les articles de ce blog sur ce sujet) mais dans une logique de conservation tout en redonnant vie à ce lieu. Cela fut le résultat d’un long dialogue avec tous les protagonistes et notamment entre les architectes et les artisans y résidant à travers l’association Ateliers Cours de l’Industrie. Pour une fois voilà un bon exemple !
Ce sont aujourd’hui près de cinquante ateliers qui sont logés autour des trois cours, avec les traditionnels menuisiers et doreurs témoins de l’activité dédiée aux meubles sur toute la longueur du faubourg Saint-Antoine et les environs, ainsi que des photographes, plasticiens, relieurs, céramistes, etc.
Photographie ci-dessous : « Cité de l’ameublement » : rue donnant sur la rue de Montreuil et parallèle à la rue Titon.
Photographie ci-dessous : « Ici s’élevait l’hôtel sur lequel était fixée cette plaque ». Cette inscription se trouve rue Titon.
Photographie ci-dessous : Inscriptions au 31 bis rue de Montreuil : « Ici était l’entrée de la Folie Titon... »
Photographies ci-dessous : Cours de la Cour de l’Industrie.
Photographies ci-dessous : Atelier de Loïc Kerisel, ébéniste d’art.
Photographies ci-dessous : Atelier d’Yves Fouquet, sculpteur, ornemaniste, fabricant notamment de cadres en bois et en restaurant d’anciens.
Photographies ci-dessous : Atelier Peruke de confection de coiffures artificielles. Gravure du XVIIIe siècle semble-t-il intitulée « The French Lady in London » (« La Dame Française à Londres »).
Photographie ci-dessous : Le parquet de cette salle résume l’action sur ce lieu : garder ce qui peut l’être et remplacer le reste. On peut comparer la différence entre marcher sur un parquet ancien et un moderne.
Photographies ci-dessous : La corniche que l’on aperçoit est peut-être d’avant la Révolution. Il ne reste rien de ce qui était derrière, qui a cependant été remplacé par un bel escalier en bois de qualité.